Miscellanées d’odeurs

Marie Tijou, Éléphante, 29,7 x 21 cm, 2013. Dessin de la couverture du numéro 129 consacré aux odeurs (Juillet, août, septembre 2020).

Sapho 1900

Pauline Mary Tarn (1877–1909), alias Renée Vivien, est une poétesse d’origine britannique qui compose en français. Symbolique, baroque, romantique, elle laisse une œuvre de plusieurs recueils de poésies, des nouvelles et romans. Colette fut sa voisine pendant un temps et rapporte cette scène dans Le Pur et l’impur (1932) :

« Elle porta à ses lèvres, entre autres, un verre empli d’un trouble élixir, où flottait une cerise harponnée d’un cure-dent… Je lui mis la main sur le bras :— Ne buvez pas…
Elle ouvrit grand les yeux, et les cils de sa paupière d’en haut touchèrent ses sourcils.
— Pourquoi ?
— Je l’ai goûté, dis-je avec embarras. C’est… Ce n’est pas buvable… Faites attention… C’est je ne sais quel vitriol…
Je n’osais pas lui dire que je soupçonnais une farce sournoise. Elle rit, montra toutes ses dents fraîches :
— Mais ce sont mes cocktails, mon pethtit Coletthe. Ils sont excellents.
Elle vida le verre d’un trait, ne haleta ni ne cilla, et sa joue arrondie garda sa florale blancheur. »

La Fourrure

Je hume en frémissant la tiédeur animale
D’une fourrure aux bleus d’argent, aux bleus d’opale ;
J’en goûte le parfum plus fort qu’une saveur,
Plus large qu’une voix de rut et de blasphème,
Et je respire avec une égale ferveur,
La Femme que je crains et les Fauves que j’aime.
Mes mains de volupté glissent, en un frisson,
Sur la douceur de la Fourrure, et le soupçon
De la bête traquée aiguise ma prunelle.
Mon rêve septentrional cherche les cieux
Dont la frigidité m’attire et me rappelle,
Et la forêt où dort la neige des adieux.

Car je suis de ceux-là que la froideur enivre,
Mon enfance riait aux lumières du givre.
Je triomphe dans l’air, j’exulte dans le vent,
Et j’aime à contempler l’ouragan face à face.
Je suis fille du Nord et des Neiges, — souvent
J’ai rêvé de dormir sous un linceul de glace.

Ah ! la Fourrure où se complaît ta nudité,
Où s’exaspérera mon désir irrité ! —
De ta chair qui détend ses impudeurs meurtries
Montent obscurément les chaudes trahisons,
Et mon âme d’hiver aux graves rêveries
S’abîme dans l’odeur perfide des Toisons.

La Vénus des aveugles, 1904.
Œuvre poétique complète de Renée Vivien, 1877–1909, éditions Régine Deforges, 1986.

Ces extraits littéraires sont proposés en supplément du numéro d’été de la revue (n° 129) qui évoque les odeurs, des neurosciences à l’histoire.

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