Miscellanées d’odeurs
La reine de la Neva
Anna Akhmatova (1889–1966), poétesse russe du mouvement acméiste, est de celles qui attendent, solitaire. Enracinée dans sa langue, elle ne migre pas. Même lorsque son mari est tué en 1921 et son fils arrêté. Surveillée, elle apprend avec la poétesse Lydia Tchoukovskaïa ses poèmes par cœur (qui composent Requiem). La poète Iossif Brodsky écrit juste après sa mort en 1966 : «Le visage d’Anna Akhmatova est la seule chose magnifique qui nous reste au monde.»
Petite chanson
Le soleil se lève.
Je chante l’amour.
À genoux au potager,
Je désherbe l’oseille.
J’arrache, je jette…
Qu’on me le pardonne
Une fille aux pieds nus
Pleure près de la barrière.
J’ai grand peur de ce que hurle
La voix du malheur.
Odeur de l’oseille morte
Plus forte toujours, plus chaude.
J’aurai pour ma récompense
Une pierre au lieu de pain.
Au-dessus de moi, le ciel.
Dans mon cœur, ta voix.
Je suis venue là, moi, la fainéante,
Qu’importe où je vais m’ennuyer !
Sur la colline un moulin somnole.
On peut se taire ici des années.
Au-dessus des liserons secs
L’abeille passe d’un vol mou.
Près de l’étang, j’appelle l’ondine.
Mais l’ondine est morte.
L’étang, le large étang se remplit
De boue couleur de rouille. Il s’envase.
Sur le frémissement du tremble s’est posée
La lumière légère de la lune.
Je note tout. Tout me paraît nouveau.
Les peupliers ont une odeur humide.
Je me tais. Je me tais. Je suis prête,
Ô terre, à être terre comme toi.
Soir, 1912.
Anna Akhmatova, Requiem. Poème sans héros et autres poèmes, Poésie Gallimard, 2007.
Ces extraits littéraires sont proposés en supplément du numéro d’été de la revue (n° 129) qui évoque les odeurs, des neurosciences à l’histoire.
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