Miscellanées d’odeurs

Marie Tijou, Éléphante, 29,7 x 21 cm, 2013. Dessin de la couverture du numéro 129 consacré aux odeurs (Juillet, août, septembre 2020).

« Prise de possession par l’odorat d’un appartement »

Habiter Venise pendant plusieurs mois, un rêve… réalisé par Jean-Paul Kauffmann dans cette ville qui l’a happé voilà plus de cinquante ans, un peu par hasard, sur le retour d’un voyage a priori bien plus excitant. Il décrit parfaitement ce «phénomène typiquement vénitien» : «Le beau se cache de lui-même, peut-être parce qu’il paraît déjà vu. La volonté de regarder finit pas se perdre. Parce qu’il y a trop à voir, on finit par ne plus voir.» Durant ce séjour, il cherche à entrer dans les innombrables églises fermées au public, dont certaines n’ouvrent que lors de la biennale d’art contemporain. D’où le titre : Venise à double tour, récit qui nous emporte comme un roman d’aventure ou une enquête policière où les cadavres seraient des chefs‑d’œuvre abandonnés, mais aussi comme une dérive psychogéographique intime et littéraire. Voici le moment où il entre dans l’appartement loué sur l’île de la Giudecca.

J’ouvre la porte. L’odeur… J’adopte ou répudie une maison en fonction des effluves qu’elle dégage. On peut tromper momentanément l’olfaction au moyen de parfums artificiels, de bougies aromatiques, mais cela ne dure pas. Une habitation revient toujours à son haleine d’origine. Elle est imprimée dans les murs. Les meubles, les lampes, les tapis, les livres de la bibliothèque répandent leur bouquet propre qui donne une odeur générale plus ou moins harmonieuse. Tout est dans l’harmonie. 

Une fragrance dissonante, un relent désagréable même infime peut indisposer puissamment le sens olfactif.

J’ai retrouvé aussitôt dans l’appartement de la Giudecca l’empreinte que j’avais aimée la première fois. Rien d’exceptionnel pourtant. Cela sent le vieux tissu, un fond de bois de santal, un parfum poudré, hors du temps. Cette prise de possession par l’odorat d’un appartement qui n’est pas le mien est de bon augure. Tendues de tissus Fortuny, ces pièces vont constituer mon poste de contemplation opérationnel pendant plusieurs mois.

Venise à double tour, de Jean-Paul Kauffmann, éd. des Équateurs, 2019, Folio 2020.

Ces extraits littéraires sont proposés en supplément du numéro d’été de la revue (n° 129) qui évoque les odeurs, des neurosciences à l’histoire.

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