Michel Cantal-Dupart – Le point triple et l’architecte

Michel Cantal-Dupart, architecte, l'un des initiateurs du projet Banlieues 89. Photo Eva Avril.

Par Héloïse Morel

Vers le “point triple” du côté de Nabinaud. Confluence de la Brousse et de l’Auzonne. Photo Marc Deneyer.

Il ne s’agit pas ici de L’Abeille et l’Architecte, ouvrage de 1978 écrit par François Mitterrand. Il s’agit du regard tout en perspective de Michel Cantal-Dupart, urbaniste, porteur du projet Banlieues 89, sur Mitterrand. Il témoigne après la matinée consacrée à la décentralisation lors du colloque organisé par l’université de Poitiers. «Je suis architecte, ma façon d’avancer et de faire des recherches, c’est d’aller sur place et voir comment les gens réagissent par rapport à l’architecture. La vision en perspective est centrale, j’adore ce mot car autant en français qu’en anglais, il a deux sens : le sens géométrique et celui économique : la vision de demain.» Mitterrand avait cette connaissance. Lors d’un voyage en Tchécoslovaquie en 1988, il interroge le ministre des Affaires étrangères et ses convives sur le balcon du palais de Bratislava : «Où est le point triple ?» Personne n’était capable de le lui dire, relate Michel Cantal-Dupart. «Tout le monde pensait que c’était le Danube puisqu’il sépare les pays, mais Mitterrand savait que le point triple s’était déplacé ! Il se trouvait en pleine terre, de l’autre côté du Danube. Comment il le savait ? Pourquoi ? C’était incroyable ! J’étais fasciné par sa connaissance en géographie.»

L’allée de tilleuls de Toutvent. Photo Marc Deneyer.

De Saint-Vincent-sur-Jard à Nabinaud

Chaque président a sa perspective. Pour Clemenceau, l’architecte présente la maison de pêcheur de Saint-Vincent-sur-Jard : «Il la préférait à son château, il fallait une maison plus humble.» Idem pour Charles de Gaulle avec Colombey : «Il s’agissait d’une ancienne brasserie à laquelle il avait ajouté une tour dans laquelle il avait placé son bureau au rez-de-chaussée. Il disait qu’il voyait toute la France. Pendant longtemps, j’ai pensé qu’il parlait de l’Alsace et la Lorraine mais non. Mais la ligne perspective depuis son bureau passait par la cathédrale de Bourges jusqu’à l’estuaire de la Gironde !»

Quant aux lieux de François Mitterrand, ils sont multiples. De la Charente à la Bretagne en passant par la Nièvre et encore la Drôme«Sa vision ressemble un peu à la carte du Tendre de Madeleine de Scudéry. Pour Mitterrand, il s’agit d’une vision amoureuse de la France, au-delà de l’homme des paysages et des territoires, il y avait un amour des gens, il allait à leur rencontre.» Parmi les lieux charentais, son Jarnac natal avec le trou dans le mur qui permettait de communiquer de la maison des parents à celle des grands-parents. Toutvent surtout, la maison de ses grands-parents. «L’allée de tilleuls est formidable ! Il y a surtout le point triple là-bas, c’est la rencontre entre l’Auzonne, la Dronne et la Brousse. C’était son jeu, son territoire. Et Nabinaud qui se trouve à côté de Toutvent.» Dans son testament, François Mitterrand signale qu’il peut y avoir quatre messes : Notre-Dame de Paris, Jarnac, Château-Chinon et Nabinaud. «L’important c’est d’aller chercher dans l’enfance. Lorsque les grands-parents ont vendu Toutvent, ça a été un drame.» 

L’église romane de Nabinaud. Photo Marc Deneyer.

L’urbaniste et le président

Michel Cantal-Dupart rencontre François Mitterrand en 1976 à Villeneuve-sur-Lot. «Nous avions travaillé sur les bastides et présentions une exposition dans la tour de Paris à Villeneuve. Pour accéder au dernier niveau, il faut emprunter une échelle de meunier. Le maire et le conseil municipal reste au troisième étage et je me retrouve seul avec le premier secrétaire du parti socialiste. Je me dis qu’il faut que je dise quelque chose car ça ne se reproduira pas ! Alors je lui raconte : “Regardez toutes ces bastides, elles sont toutes construites sur le même plan et elles sont toutes différentes. Alors que nos grand ensembles ont tous été fait par des architectes différentes, et ils se ressemblent tous.” Il me regarde et ne dit rien… Il reprend ma formule lors d’une convention à Clermont-Ferrand l’année suivante ! En 1980, il organise un colloque à Pau sur la rénovation urbaine. C’est la prise de conscience au niveau du PS.» 

Les grands projets politiques de la ville sont lancés en 1984. L’association Banlieues 89 était alors un électron libre, issu de mai 68 et menée par Roland Castro et Michel Cantal-Dupart. Le but est de faire une révolution en banlieue contre la logique des grands ensembles. «Nous étions sur plusieurs projets dont les Trois-Cités à Poitiers. Il s’agissait de réunir ces trois cités qui partaient dans tous les sens. Nous avons construit un parc et installé un lieu culturel, une antenne de la mairie. Ça s’est développé et ça a fait un centre actif. Idem pour Bègles qui était deux communes. Pierre Mauroy était premier ministre et il réussit à réunir tous les maires (RPR, PS, PC), il me dit : “Je rêve de faire ça depuis 1981.” Il fallait passer par la vision évolutive de la ville car tout le monde était face à ce mur. […] Tout le travail qui a été fait en France est assez méconnu. Mitterrand a vu les grands projets, il avait la vision d’un planificateur et celle d’un grand homme d’État en pensant faire des plus faibles les plus forts.»

 

Voir également sur le projet Banlieues 89 : entretien avec l’architecte Roland Castro réalisé par Pascal Guillot pour les Cahiers d’histoire.

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A propos de Héloïse Morel
Rédactrice à L'Actualité Nouvelle-Aquitaine. Coordinatrice du pôle Sciences et société, histoire des sciences de l'Espace Mendès France.

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