Jean Vigreux – Du centre droit à la rose

Jean Vigreux, professeur d'histoire à l’université de Bourgogne. Photo Eva Avril.

Par Héloïse Morel

«J’ai vu disparaître en trente ans la forêt celte du Morvan. Je représente ce pays, je n’ai rien pu faire pour le défendre. Que faire lorsque l’administration et la loi sont indifférentes ? Se battre assurément […]» Ainsi, François Mitterrand évoque le Morvan dans son livre L’Abeille et l’Architecte, paru en 1978. Cet extrait montre à la fois sa sensibilité à l’égard de cette région et ses forêts mais également la voie politique qui est la sienne : défendre les territoires. L’historien Jean Vigreux, professeur à l’université de Bourgogne, a présenté le mercredi 29 mars, lors du colloque de l’université de Poitiers sur François Mitterrand et les territoires, son parcours dans la Nièvre. Mitterrand arrive dans ce département en 1946 comme un homme du centre droit. «Il faut revenir sur ce parachutage, sur la question du pouvoir et celle des temporalités : 1946 précède 1981 mais 1981 n’est pas dans 1946.» En quelque sorte, la Nièvre est le cœur de sa trajectoire politique.

Les RG ne savent pas écrire son nom

«Son entrée politique se fait à Nevers, mais il préfère le granit du Morvan aux sables du val de Loire. Son attachement se traduit le 24 mars 1995 lorsqu’il déclare devant le Conseil général : “D’une certaine façon, je suis devenu Nivernais.” On ne naît pas Nivernais, on le devient. Lorsqu’il arrive, il a 30 ans, c’est le 10 novembre 1946, et c’est un parachutage réussi puisqu’il est accueilli par Henri Queuille et Edmond Barrachin qui lui ont préparé le terrain.» Mitterrand aurait eu le choix avec la Vienne mais finalement son dévolu va sur la Nièvre où il ne connaît personne. Un atout pour Edmond Barrachin qui lui aurait rétorqué : «Tant mieux, vous n’avez pas d’ennemis !» Ce qui a aidé Mitterrand à s’implanter, c’est le réseau. «Dans sa profession de foi, on trouve la mémoire de la Résistante qui intègre toutes les tendances, y compris celle vichysto-résistante. On trouve notamment Pierre Saury qui était un ancien personnel de la police de Vichy à Lyon. Aussi, son programme s’inscrit dans un anticommunisme prononcé. Et ça fonctionne bien puisqu’il est élu député dès 1946 alors que personne ne le connaît et que les RG ne savent pas écrire son nom.»

L’anticommunisme comme marqueur

En 1949, il gagne le canton de Montsauche en faisant campagne contre le communiste local, Jules Bigot. Ce dernier lui aurait dit : «Pour l’instant, monsieur Mitterrand, vous avez une grande gueule, mais quand les Russes seront à Toulon, vous la fermerez !» Ce à quoi Mitterrand répond : «Je me présente dans un canton très dur, je le sais. Je l’ai choisi pour battre un communiste, ça en fera un de moins !» Jules Bigot s’en défend : «Je passerai comme une lettre à la Poste !», et Mitterrand de rétorquer du tac-au-tac : «La Poste est fermée le dimanche !» C’est dans cette logique anticommuniste que Mitterrand, l’homme du centre droit, conquit la Nièvre. Ce sont les évolutions de la IVe et de la Ve République qui vont amorcer le tournant vers la gauche.

Le sabotier local

Camille Marchand est un bel exemple du réseau constitué par Mitterrand dans le département. Sabotier et maire de Gouloux, il va se lier d’amitié avec lui et va l’aider à reconquérir la Nièvre après la défaite de 1958. Par la suite, Mitterrand lui enverra toujours des cartes postales (137 recensées) du monde entier, par amitié. «C’est comme ça qu’il va devenir sénateur en 1959, en allant commune par commune, parlant patois, évoquant les sensibilités locales. Il va développer des réseaux comme celui des sociétés savantes en créant l’Académie du Morvan à Château-Chinon où il tisse un lien avec les universitaires ; ou encore en faisant revivre le Courrier de la Nièvre, journal qui avait disparu depuis 1883. Il va le diriger jusqu’en 1981. Le journal devient à un moment celui de la fédération socialiste de la Nièvre avec le poing et la rose.»

Laboureur de la Nièvre

Mitterrand va sillonner les routes de la Nièvre avec sa Traction puis sa DS. Le département est enclavé, sans grandes voies, il y a 70 km pour aller de Nevers à Château-Chinon. Le repositionnement à gauche de Mitterrand lui a facilité son implantation dans le territoire et la multiplication des mandats : député de 1946 à 1958 puis de 1962 à 1981, conseiller général de 1949 à 1981, président du Conseil général de 1964 à 1981, sénateur de 1959 à 1962 et maire de Château-Chinon en 1959. «Il s’allie aux communistes contre les socialistes de la SFIO. C’est là où la Nièvre devient un laboratoire de ce que sera l’Union de la gauche. Là, il comprend la logique de bipolarisation. La SFIO n’accepte pas Mitterrand pendant longtemps. En 1958, le journal fédéral socialiste de la Nièvre titre : François Mitterrand, de la francisque à la faucille et au marteau. La SFIO se retrouve “digérée” par la logique mitterrandienne.»
En 1981, il est élu Président de la République avec le soutien de son département, celui qu’il a utilisé comme laboratoire de sa politique à venir. C’est-à-dire, celle des réseaux, des territoires et sensibilités mais également celle de l’Union de la gauche et de la décentralisation.
«Son nom est rattaché à la chambre 15 de l’hôtel du Vieux Morvan à Château-Chinon. Cet ancrage atteint son paroxysme lorsqu’il achète un parcelle sur le mont Beuvray.» La presse pense alors qu’il s’agit du lieu où il souhaite reposer pour l’éternité. Ainsi Libération titrait le 9 septembre 1995 : Mitterrand: une tombe au mont Beuvray. L’ancien Président a acheté une parcelle sur ce site gaulois. Pour un franc.»

Voir également l’article de Libération du 9 septembre 1995 : Mitterrand: une tombe au mont Beuvray . L’ancien Président a acheté une parcelle sur ce site gaulois. Pour un franc.

L’article du Monde du 2 janvier 2006 : Les cartes postales du sabotier de Gouloux

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⎗ Previous post in the series is Henri Nallet – Le démineur agronome.
A propos de Héloïse Morel
Rédactrice à L'Actualité Nouvelle-Aquitaine. Coordinatrice du pôle Sciences et société, histoire des sciences de l'Espace Mendès France.

2 Comments

  1. Attention Nevers est séparée de Château-Chinon que de 70 km…

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