Philippe Marchand – Niveau de protocole « Conseil général »

Philippe Marchand, ancien ministre de l'Intérieur de Mitterrand (1991-1992). Photo Eva Avril.

Par Jean-Luc Terradillos

Charentais… plutôt Saintongeais. Parce que la Saintonge c’est l’absence totale de frontière entre Cognac et Saintes, c’est-à-dire entre les deux Charentes, comme le souligne Philippe Marchand, ancien élu de Charente-Maritime, avocat devenu ministre de l’Intérieur (1991–1992), invité à témoigner lors du colloque de l’université de Poitiers sur François Mitterrand et les territoires.

Deux ou trois fois par an avec Michel Crépeau, il accompagnait François Mitterrand dans l’île d’Aix. « Nevers c’est la greffe, mais le pied, les racines, c’est la Saintonge », disait le Président.

Au point de parfaire son patois. « Il prétendait que je savais à peu près parler le patois picto-charentais. Lui, moins. 

— Quand on nettoie l’écurie, comment vous dites ? 

— Formoger M. le Président !

— Ah, formoger ! »

Le Fort de la Rade sur l’île d’Aix. Photo Jean-Luc Terradillos.

Revoir Fort Boyard

« Il savait que j’étais né à Angoulême, nous avions quelques points familiaux en commun.

Il parlait de Fort Boyard : 

— Je me souviens, j’étais très jeune, nous allions en vacances à Châtelaillon, les Charentais aiment beaucoup Châtelaillon ainsi que les gens du Limousin. Quand je jouais dans le sable, je voyais Fort Boyard.

Quelque temps après, coup de téléphone du chef de cabinet de l’Élysée, Glavany, au préfet. 

— Il faudrait que vous envisagiez avec Marchand la possibilité pour le président de la République de visiter le Fort Boyard.

J’ai dit au préfet : 

— J’ai un petit bateau dans l’île d’Oléron mais je ne l’emmènerai pas dans mon petit bateau parce qu’on ne peut pas aborder Fort Boyard.

Le directeur de cabinet : 

— On doit pouvoir y atterrir par hélicoptère.

— Faites l’essai vous-même et après on verra.

Il part avec l’hélico de la  sécurité civile et il m’a dit : 

— Le seul moyen c’est d’être hélitreuillé ! […]

Quand il est venu, nous avons fait un point fixe au-dessus de Fort Boyard et le Président n’a pas été hélitreuillé. »

 

Fort Boyard. Photo Dominique Truco

La légion d’honneur de Pierre Robin, charron, à Saint-Thomas-de-Conac

Philippe Marchand a le chic pour égayer un auditoire – moment de respiration nécessaire dans un colloque universitaire – en égrenant les anecdotes de ce genre. Petits faits qui démontrent l’ancrage saintongeais de François Mitterrand.

« Je déjeunais à l’Élysée, et je lui dis sous forme de boutade :

— M. le Président, je n’ai jamais demandé de Légion d’honneur pour quelqu’un mais je trouve qu’il y a un véritable scandale : Robin n’a pas la Légion d’honneur !

Robin c’est un artisan de Saint-Thomas-de-Conac, qui était fabricant de charrettes à bras. La fameuse roue de Robin était un chef-d’œuvre. Le Conseil général en avait envoyé une au Japon. […] Le Noël suivant, Jack Lang me téléphone :

— Tu sais, il faut que tu annonces à M. Robin qu’il est chevalier de la Légion d’honneur.

— M. Robin, c’est Marchand. J’ai reçu un coup de téléphone de Latche. Vous êtes chevalier de la légion d’honneur. 

— Encore un coup de François ! 

Je le convoque à ma permanence et je lui fais faire une lettre de remerciement au Président de la République, je lui dicte et en fin de lettre : « M. le Président, je suis à votre entière disposition pour aller à Paris afin que me soit remise de vos mains la Légion d’honneur. » 

Coup de téléphone du cabinet : 

— Le Président n’est du tout d’accord, il veut lui remettre à Saint-Thomas-de-Conac. Mais n’en parlez pas au préfet, n’en parlez à personne.

— Grasset va faire un infarctus s’il n’est pas prévenu.

— Bon, alors il sera en civil.

— Quel niveau de protocole ? 

— Niveau Conseil général. 

Il est arrivé, avec un peu de retard parce qu’il avait fait tout un circuit, en passant par Saint-Dizant-du-Gua… Il était dans un bonheur total. Il n’était plus Président de la République à ce moment-là, il était redevenu conseiller général. »

Cantonales à Archiac

Début 1985, Philippe Marchand s’attend à perdre son siège de président du Conseil général de Charente-Maritime. Les socialistes ont présenté des candidats contre les radicaux de gauche… La droite est passée. Le vendredi précédant le premier tour, il reçoit un appel téléphonique de François Mitterrand qui juge la situation «préoccupante» dans le département. Philippe Marchand lui répond :

— Ce n’est pas préoccupant c’est catastrophique !

— Mais il faut regarder ça de plus près, il ne faut pas toujours croire les Renseignements généraux. Regardez, à Archiac… 

(Philippe Marchand précise : Archiac, petit ville en Grande Champagne, complètement à droite, mais il y avait un conseiller général radical charentais, qui s’appelait Jean Gendron.)

— À Archiac, je pense que Gendron va s’en sortir.

— M. le Président sans doute… Moi, je crois que ça va être difficile.

Et Gendron s’en est sorti ! Il connaissait les élus locaux et surtout les conseillers généraux de la Saintonge d’où qu’ils soient. Conseiller général, c’était un mandat pour lui de référence. »

Vote de la loi ATR

Avec autant de verve, Philippe Marchand raconte son expérience de ministre délégué puis ministre de l’Intérieur qui a porté la loi relative à l’administration territoriale de la République. Cette loi de 1992, considérée comme l’acte III de la décentralisation, a été votée en première lecture avec une seule voix de majorité, grâce à un amendement sur la départementalisation des services d’incendie et de secours. Éloge de la négociation en politique : « Avec une certaine habileté parlementaire on peut passer un texte en évitant le 49.3. »

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A propos de Jean-Luc Terradillos
Journaliste, rédacteur en chef de la revue L'Actualité Nouvelle-Aquitaine.

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