Gilbert Mitterrand – Comment François Mitterrand a apprivoisé Latche

Gilbert Mitterrand, fils de François Mitterrand et ancien député et maire de Libourne. Photo Eva Avril.

Par Elsa Dorey

En bas à gauche de la carte de France, chercher Bayonne sur la côte basque. Suivre la côte en remontant vers Capbreton, qui débouche sur le lac d’Hossegor, parallèle à la côte. En pénétrant un peu plus la forêt des Landes, surgissent entre deux arbres Soustons et son étang. Sur la rive ouest, à un kilomètre, Latche, un lieu-dit niché dans les Landes qui signifie lac en gascon. À peine six toits de tuiles dépassent d’un océan de pins maritime. Parmi eux, l’ancienne résidence secondaire de François Mitterrand qui a vu défiler en son temps une belle brochette de chefs d’états étrangers.

Incollables en géographie

Enfant, Gilbert Mitterrand, le fils cadet de François et Danielle Mitterrand, passait de mémorables moments avec son père et son frère à contempler des cartes, en y cherchant du doigt un lieu ou un autre. Lors du colloque de l’université de Poitiers tenu fin mars 2017 à l’Espace Mendès France, il raconte : « Il y avait une carte murale dans notre chambre, avec un côté illustré et l’autre muet. Le soir venu, il fallait retrouver telle forêt, telle ville, tel affluent, tel confluent, puis le localiser sur la carte muette. Nous étions incollables en géographie française. Et quand nous prenions l’avion, nous étions tous devant le hublot pour vérifier, par exemple, que la Gartempe fait bien un virage en épingle à cet endroit. C’était un jeu. Il avait un vécu physique, un amour incommensurable de la géographie. »

Rendez-vous manqué avec l’île de Ré

L’histoire de Latche est un hasard qui commence dans l’île de Ré, en août 1949. Puisque François Mitterrand a vécu son enfance en Poitou-Charentes, il était évident pour lui qu’il n’y avait d’océan que là-bas ! Le couple et ses enfants de deux ans et cinq mois s’embarquent donc pour passer l’été sur l’île. Mais le beau temps n’est pas au rendez-vous… pas plus que le jeune papa : ministre des Anciens Combattants, il est sans arrêt convoqué à Paris. « Ma mère a passé un été pourri et s’est jurée qu’elle n’y remettrait plus les pieds », résume Gilbert Mitterrand. Lorsqu’en 1950, François Mitterrand demande à Danielle si elle a réservé une location sur l’île de Ré, elle lui répond d’un ton sec que « c’est déjà complet. »

Sous le charme d’Hossegor

Christine, la sœur de Danielle, l’invite alors dans sa maison d’Hossegor. L’été est radieux, François Mitterrand tombe sous le charme « de la douceur, de la couleur des cieux, des odeurs » et décide d’y revenir tous les ans. Quelques années plus tard, s’étant lié d’amitié avec le maire de Moliets-et-Maa, celui-ci lui propose de s’éloigner un peu de l’Hossegor touristique et de lui faire découvrir un coin plus tranquille. À Latche, il lui fait visiter une ancienne maison de gemmeurs du XVIIIe siècle et sa bergerie attenante, en ruine.

Mais suite à la signature du sous-seing en juin 1965, voici que le propriétaire, baron d’Etchegoyen, traîne des pieds. Car en septembre 1965, François Mitterrand se présente aux élections présidentielles contre le général de Gaulle. Furieux, le propriétaire refuse de signer l’acte de vente. L’entourage de François Mitterrand est scandalisé par son attitude et le presse de porter plainte contre le baron. Pas question. « On ne commence pas à entrer chez les gens en leur faisant un procès », leur répond-il avec un certain sens du compromis. Le temps fit son œuvre, le baron finit par vendre et la maison fut retapée.

Journal pour Anne, 1964–1970 de François Mitterrand, Gallimard, 2016, p. 70.

Latche, la sérénité

Latche était un lieu d’évasion, et procurait à François Mitterrand le sentiment que cette terre et lui s’étaient mutuellement apprivoisés. « Lorsque vous vous promeniez avec lui, ce n’était pas une balade pour une balade, pour discuter et prendre des nouvelles, explique Gilbert Mitterrand. Vous sentiez qu’il s’imprégnait des arbres, du vent, du coucher du soleil et des odeurs. Il tirait de ces moments à Latche une vraie sérénité dans laquelle il puisait ses forces reconstituait ses ressources. » Un moyen aussi pour lui de prendre du recul. « Même les pires informations qu’on pouvait recevoir y semblaient un peu amorties. C’était une distance propice avec les échos du monde. »

À table, la famille déjeune rarement seule. « Il y a les sphères que François Mitterrand ne veut surtout pas voir se rejoindre, et celles qu’il s’ingéniait à faire se rencontrer. » Ainsi, de nombreux hommes politiques ont profité d’un repas pour échanger avec le chef d’état, le protocole en moins. « On partageait toutes les discussions, sauf les plus pointues qui se déroulaient dans sa bergerie. Il croyait beaucoup dans la relation personnelle qui fondait les actes politiques. » 

Gorbatchev chante Le temps des cerises

Gilbert Mitterrand se souvient de la venue de Mário Soares, chef d’état portugais, Felipe Gonzales, chef du gouvernement espagnol, Willy Brandt, chancelier fédéral d’Allemagne, son successeur, Helmut Schmidt, et le suivant, Helmut Kohl, sans oublier Shimon Perez, premier ministre israélien, Mikhaïl Gorbatchev, président de l’URSS. « C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai vu Gorbatchev chanter Le temps des cerises. » Il fait la connaissance de Tancredo Neves, président élu du Brésil qui mourut avant son investiture. « Avant sa prise de fonction, qu’il n’effectuera finalement jamais, il voulait venir en Europe voir deux personnes, François Mitterrand et le pape. »

Ce défilé ne se limite pas aux hommes politiques. François Mitterrand prend plaisir à faire venir des écrivains, des scientifiques, des journalistes, des botanistes, des historiens. « Il se demandait si l’eau avait une mémoire, comment les mêmes atomes composent des molécules différentes, comment distinguer un chêne pédonculé d’un chêne tauzin ou d’un chêne liège… », se souvient son fils. Dans le livre de Marie de Hennezel, Croire aux forces de l’esprit, François Mitterrand lui explique qu’il préfère la spiritualité à la religion, l’éthique à la morale, l’église de la question à celle de la réponse, la quête au dogme. « Mon père était curieux de tout, c’est ainsi qu’il faut le voir. Il ne s’enfermait jamais dans des certitudes, et Latche lui permettait de réfléchir à l’avenir. »

This post is a part 21 of François Mitterrand et les territoires post series. 
⎘ Next post in the series is Sylvie Guillaume – Quelles singularités ?.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.