Gilbert Mitterrand – Le nom du père et du fils
Par Elsa Dorey
« Il n’y a jamais eu de “je ferai de toi un député, mon fils”. Cela paraît assez extraordinaire, mais nous n’en avons jamais parlé. » Invité comme témoin au colloque de l’université de Poitiers dédié à l’ancien président organisé fin mars à l’Espace Mendès France, Gilbert Mitterrand se défend d’avoir été poussé par son père à réaliser une carrière politique. À l’entendre, celle-ci lui est tombée dessus sans qu’il l’ait appelée de ses vœux. Il a pourtant été député de 1981 à 1993, puis de 1997 à 2002, et maire de Libourne de 1989 à 2011.
Retour quelques décennies en arrière. En 1958, le petit Gilbert, qui a soufflé ses neuf bougies, est envoyé chez ses grands-parents, à Cluny. Lorsqu’il revient à Paris, des années après, François Mitterrand commençait sa campagne de candidature à l’élection présidentielle de 1965. « Au lycée, tous les jeunes de mon âge étaient hyper politisés, il y avait les bobos et les fafas. J’étais la cible de toutes les questions et réflexions. Mais moi, je débarquais de ma campagne, la politique, ce n’était pas mon horizon ! »
Politique à la table familiale
« L’avantage de s’appeler Mitterrand quand on ne comprend rien à la politique, c’est que d’emblée, soit on vous aime, soit on vous déteste ! » Tout de même, le jeune homme ne compte pas rester sans voix devant les critiques de certains camarades. À la table familiale, il prête alors une oreille attentive aux échanges, particulièrement lorsque des personnalités y sont invitées. « Petit à petit, vous prenez conscience, vous répétez ce que vous avez entendu et vous finissez par construire votre propre raisonnement. »
Dans les premiers temps, son engagement politique se résume à se poser en « défenseur de son père ». Puis un jour, alors que les élections législatives de 1973 approchent, Roger Fajardie, membre du bureau exécutif du Parti socialiste et ami très proche de son père, lui demande un service : « Si la politique t’intéresse, nous aurions besoin d’un coup de main. Il faudrait que tu sois candidat suppléant dans un endroit où nous avons un souci. » En l971, le congrès d’Épinay a permis au Parti socialiste d’agréger la SFIO et la Convention des institutions républicaines. L’année suivante, le programme commun bâti entre le PS, le Parti communiste français et le Parti radical de gauche est signé. Mais en 1973, neuf candidats PS aux élections législatives refusent le programme commun. Dans les circonscriptions concernées, le parti a donc écarté ces leaders socialistes et présenté des candidats, certes inconnus des citoyens, mais qui se pliaient aux règles du jeu… en espérant qu’ils fassent les meilleurs scores possibles.
Deux mois de campagne dans le Beaujolais
Voici donc Gilbert Mitterrand, encore étudiant en droit à Paris I, à l’affiche à côté d’André Soulier, candidat du programme commun à Villefranche-sur-Saône, non loin de Cluny et de Solutré, dans le beaujolais. « On allait à l’abattoir : Gérard Ducray, républicain et secrétaire d’état au tourisme se présentait en face de nous, sans compter les communistes allaient faire leurs voix. » Joseph Rosselli est ici le fameux candidat socialiste « ancestral », déjà maire de Belleville-sur-Saône et conseiller général : un poids lourd. « Tout nous promettait d’être quatrième. » Pendant deux mois, du haut de ses 24 ans, Gilbert Mitterrand s’est rendu dans toutes les communes de la circonscription, une par une. « J’y ai pris goût : je me suis formé politiquement ainsi, et nous avons fini deuxième ! »
Même si l’enseignant se présente à nouveau en 1978 comme suppléant, sans succès, il n’envisage toujours pas une carrière dans la politique. Bientôt il se marie. Son premier enfant est en chemin, il souhaite être muté à Bordeaux ou à Pau pour se rapprocher de sa femme qui réside à Hossegor. La politique n’est plus qu’un souvenir. Cependant, sachant qu’il voulait s’installer dans le sud-ouest, Roger Fajardie le sollicite une fois de plus : « Il y aurait une circonscription à prendre du côté de Libourne. » Le député sortant de cette circonscription n’est autre que Robert Boulin, ministre et maire depuis presque vingt ans. « Imprenable ! »
Envoyé au « casse-pipe »
Gilbert marque une pause. « Si vraiment il y avait eu un plan de carrière avec un père népotiste, il m’aurait envoyé à Château-Chinon, où il a été maire de 1959 à 1981. C’était plus simple. Mais non, je suis allé au casse-pipe ! » En face de Robert Boulin, un candidat socialiste, Pierre Lart, maire de Sainte-Foix-la-Grande. À chaque élection, celui-ci était confirmé au congrès départemental de ratification des candidatures. Au niveau national pourtant, cette circonscription était toujours cédée aux radicaux de gauche. « Roger Fajardie a dû se dire qu’en m’envoyant, je n’allais peut-être pas gagner, mais qu’au moins, on pourrait revendiquer cette circonscription comme revenant au Parti socialiste. »
Quelques évènements vont ensuite le conduire à être élu. Tout d’abord, le décès de Robert Boulin – dans des circonstances encore aujourd’hui non élucidées. Puis, François Mitterrand devient Président de la République. Même si le père n’a jamais encouragé le fils sur cette voie, porter le même nom que lui a certainement dû aider. « Sans compter que j’avais bénéficié de bons conseils et de bons exemples au cours de mes précédentes campagnes, souligne Gilbert Mitterrand. Et finalement, j’ai fait quatorze ans de mandat de député sous François Mitterrand, et sept ans sans. J’avais sûrement bien assimilé certains principes de base, pour un parcours politique à ma mesure. »
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