Nicole Pignier – Paysanne dans l’âme

Avec Jean-Éric Fissot, paysan, ferme de la Côte d’or, Veyrac, Haute-Vienne, nous arrivons à la rencontre de son « chêne qui soigne », fin 2021. Photo Nicolas Fay.

Portrait de Nicole Pignier, scientifique au parcours atypique, dont la connaissance des paysages nourriciers a des racines profondes. Professeure d’écosémiotique à l’université de Limoges, elle vient de publier Paysages nourriciers, un dialogue entre cultures et de savoirs.

Par Brice Etoundi Ondoa, Elsa Fleur Miyo’o Mintsa, Fatima-azahrae Tairi

Nicole Pignier est professeure d’écosémiotique à l’université de Limoges et auteure de Paysages nourriciers, un dialogue entre cultures et de savoirs (Connaissances et savoirs, 2023). Dans cet ouvrage, elle explore ce qui, de la graine au paysage, fait lien nourricier entre les humains, la terre/Terre et tous les vivants. Partant de ses recherches participatives liées aux initiatives paysannes contemporaines, elle apporte des indicateurs nouveaux pour faire (agri)culture nourricière de paysages, de relations, de créativité, d’une économie à la mesure de la terre/Terre et non plus dans la démesure. Portrait d’une chercheuse scientifique au parcours atypique et dont la connaissance des paysages nourriciers a des racines profondes.

Nicole Pignier a grandi dans les campagnes limousines : « Ce sont les lieux paysans qui m’ont élevée. C’est au pied des arbres que j’étudiais la philosophie. » Elle contribue aux travaux de la ferme familiale, vit les tensions entre résistance paysanne forte de ses savoirs situés mais dépendante d’intermédiaires et adoption de la logique agro-industrielle fondée sur le profit à tout prix. Cette dernière impose ses volontés aux plantes, en partant des semences, appauvrit le sol, incite les exploitants à oublier les complexités vivantes qui les relient à la terre/Terre. Au lieu de cela, pour chaque arbre qu’ils coupent, les paysans qui tentent de résister portent un point d’honneur à en planter d’autres, ils expriment un avis critique sur l’arrachage des haies, l’utilisation massive des engrais et produits de synthèse. Elle se souvient d’ailleurs d’Amédée, ce paysan qui disait en parlant de certains voisins : « Ils nous feront bouffer de la merde ! » avec un son accent typique du Limousin. Cette réalité va semer en Nicole Pignier la graine de ses recherches en écosémiotique.

Une carrière à contre-courant

Au parcours nourri de multiples passions, la chercheuse débute en littérature en tant qu’enseignante de Lettres dans le secondaire, dans le Nord-Pas-de-Calais. Elle rédige un mémoire de maîtrise sur l’imaginaire dans la trilogie de Pan de Jean Giono puis un mémoire de DEA en littérature médiévale. De retour en Limousin, elle fait un doctorat en sémiotique littéraire. Sa thèse questionne la manière dont les correspondances épistolaires amoureuses de philosophes des Lumières épris de liberté, justice, sciences et art renouvellent le romanesque. Par la suite, enseignante de communication à l’Institut universitaire de technologie du Limousin, elle s’intéresse à l’expression de l’ethos des artistes dans le design graphique des sites web. Devenue enseignante-chercheuse à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Limoges, elle développe une sémiotique du design numérique. Elle fonde en 2012 la revue internationale Interfaces numériques où l’évolution consumériste des technologies est en question.

Ces années-là, elle lit Les Battements du temps puis Retrouver l’Aube. Ces deux ouvrages du biologiste Jean-Claude Ameisen provoquent un déclic :  le désir de comprendre ce qui, dans nos aptitudes perceptives, nous relie à l’oikos, terme grec qui a donné le préfixe « éco » désignant notre maison terrestre, vivante. Nicole Pignier développe alors un courant français de l’écosémiotique, une discipline qui questionne les bases vivantes de nos aptitudes perceptives ; les dynamiques organiques, corporelles comme notre verticalité, nos échanges sensoriels avec l’extérieur, les rythmes… Son compagnonnage en lieux paysans l’a conduite à cette découverte : un paysage anthropisé (re)devient nourricier pour les humains et la terre/Terre quand nous nous ajustons à lui en laissant s’exprimer notre base vivante au lieu de la nier, de l’oublier en nous enfermant dans des mondes techno-symboliques d’où émergent un non-sens, une anesthésie.

Avec Laurent Pénicaud, paysan, ferme Terra libra, Linards, Haute-Vienne, nous déambulons au sein de ses paysages nourriciers, début 2022. Photo Nicolas Fay.

L’écosémiotique revisite le lien entre science et société

Si Nicole Pignier n’est pas militante, elle a la conviction profonde que l’avenir de notre monde dépend du soin que nous portons à nos aptitudes perceptives qui nous permettent de « co-énoncer avec le vivant » sans anthropomorphisme. Pour ce faire, elle sonde le lien à l’oikos dans les initiatives paysannes, qui, entre Limousin et Béarn, cultivent des semences paysannes et élèvent des espèces animales rustiques. S’inspirant pour sa méthodologie de François Laplantine, sociologue, et de Tim Ingold, anthropologue, elle travaille en compagnonnage avec les paysannes, paysans. Elle s’imprègne des actes, des lieux fréquentés, des paroles des paysans, elle mise sur le temps long, parfois plus de dix ans de coopération, elle est attentive aux porosités entre les mondes paysans, culturels, éducatifs, elle coopère à des rencontres paysannes dans des théâtres, cinémas, lieux publics, déambulations extérieures comme les sentiers mégalithiques. Elle fait alterner moments d’imprégnation, d’analyse où elle explore les limites, les ambiguïtés, les forces résilientes, de restitution et reprise. Elle est attentive aux cheminements individuels et collectifs, en accord avec le processus de la vie ; jamais fixé dans une identité stable mais en perpétuel devenir. 

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