Affiche de campagne de 1981 : l’esprit de clocher
Par Elsa Dorey
Le regard tourné vers l’horizon, François Mitterrand prend la pose, serein. Derrière lui, on aperçoit un petit village du Morvan, Sermages, dominé par une église. Aujourd’hui, aucun candidat à l’élection présidentielle ne se risquerait à se présenter à côté d’un symbole religieux sur une affiche de campagne. Pourtant, celle-ci a sûrement contribué à son élection en 1981. Rien à voir avec sa première candidature en 1965, où le candidat mise sur le progrès, la France moderne en transition. À cette époque, l’affiche phare de sa campagne le montre devant un pylône électrique et une usine crachant une épaisse fumée. Le chemin parcouru par le futur président et le virage de sa stratégie de communication sont évidents.
Un spirituel né catholique
Mais pourquoi poser devant une église ? « François Mitterrand était plus spirituel que religieux, plus éthique que moral », rappelle Gilbert Mitterrand, son fils cadet, à la tribune du colloque de l’université de Poitiers dédié à l’ancien président organisé fin mars à l’Espace Mendès France. « Et il était gallican, c’est-à-dire qu’il refusait que le pape se mêle des affaires de l’État », ajoute Michel Charasse, vice-président de l’Institut François Mitterrand. Cet ancien ministre du Budget a toujours refusé de rentrer dans une église par conviction anticléricale, y compris pendant les obsèques de l’ancien président. Paradoxalement, c’est lui qui balaye d’une phrase les mauvaises langues rappelant que François Mitterrand est né dans une famille catholique. « Il ne s’agissait pas pour lui de mettre en valeur une religion. »
La parole donnée au peuple
Selon l’ancien ministre, le symbole est plus subtil. « La Révolution a transformé les paroisses en communes sans rien y changer mais dans toutes les communes il y a une église et de cette église sont parties les idées nouvelles qui ont fait 1789. » Une référence aux 60 000 cahiers de doléance de la Révolution française. Ceux-ci permettaient de faire remonter les plaintes et les souhaits des Français pendant les États généraux convoqués par le roi. Ces cahiers ont souvent été rédigés par les seules personnes qui, à l’époque, savaient lire et écrire : les curés. Une façon de rappeler cette période de liberté de parole donnée au peuple. « Pour lui la France, que ce soit une ville ou un village, c’était toujours une église, une cathédrale, et une mairie en face, ajoute Michel Charasse. Il pensait que c’était l’image que les Français avaient de la France. » C’est l’église du village élevée par le candidat au rang d’égérie de l’échelle locale et de la province que François Mitterrand affectionnait tant.
L’homme ou les idées
Retour en arrière. Pendant la campagne de 1974, il ne s’oppose pas seulement à Valéry Giscard d’Estaing mais aussi aux cadres du Parti socialiste. « À cette époque, le socialisme est assez impersonnel, c’est avant tout un combat, une lutte qu’on incarne, explique Pierre-Emmanuel Guigo, doctorant à Sciences Po Paris. Les affiches de l’époque représentent les travailleurs ou les symboles du socialisme, avec la rose et le point. » Sur l’affiche la plus caractéristique de cette campagne électorale, il est représenté crispé dans un petit cadre en bas de l’affiche, toute la place étant occupée par le message politique. Cette affiche sera l’occasion d’un duel entre les représentants du Parti socialiste, prônant la mise en exergue des convictions et du slogan du parti, et l’équipe de campagne du candidat, partisane d’une mise en avant du candidat. Valéry Giscard d’Estaing qui, pour sa part assume totalement la personnification du pouvoir, gagne les élections.
Valéry Gisgard d’Estaing un brin monarque
Ainsi, en 1981, il n’est pas question de faire les mêmes erreurs. François Mitterrand joue pleinement la carte de l’homme au fait des turpitudes de la « petite patrie de France ». L’affiche de campagne de son opposant, Valéry Giscard d’Estaing à nouveau, raconte quant à elle une toute autre histoire. Celui-ci prend la pose devant une mappemonde, sur laquelle la France est à peine visible. « Il voulait incarner la grandeur de la France et la fonction présidentielle en se plaçant au-dessus des citoyens, en s’adressant au monde », explique Pierre-Emmanuel Guigo. Le François Mitterrand « ancré dans son territoire » affronte alors le Valéry Giscard d’Estaing « un brin monarque », et l’emporte.
Garantir les victoires nouvelles
Sur l’affiche, le ciel arbore les couleurs du drapeau français. Dans la partie bleue s’étale en lettres blanches un autre élément de son succès : son fameux slogan de campagne, La force tranquille. Une manière de rassurer les électeurs face à la campagne du président sortant, Valéry Giscard d’Estaing, qui insistait sur les dangers de l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir. La formule est empruntée à Léon Blum. Dans un discours diffusé à la radio du 5 juin en 1936, alors qu’il vient d’être nommé président du Conseil suite à la victoire du Front populaire aux élections législatives, Léon Blum déclare qu’« un grand avenir s’ouvre devant la démocratie française », en parlant des réformes qu’il souhaite mener. Et de continuer ainsi : « J’adjure, comme chef du gouvernement, de m’y engager avec cette force tranquille qui est garantie de victoires nouvelles. »
L’église romane typique de la campagne française
Le ciel n’est pas la seule retouche apportée à la photo d’origine. « On a dit qu’il avait supprimé la croix de l’église, mais ce n’est pas vrai ! Il a supprimé le clocher en entier », s’étrangle Michel Cantal-Dupart, architecte. Gommer le clocher de l’église, c’est effacer son aspect gothique austère et la transformer en une chaleureuse église romane. L’architecte, à l’époque membre du comité de soutien du candidat, ne voit pas cette transformation d’un bon œil et finit par en toucher deux mots à François Mitterrand. « Il m’a répondu ceci : “Les gens savent que ces campagnes sont en train de changer, et cette église les rattachent à leur mémoire.” Dans sa tête – et on sait bien aujourd’hui que c’était vrai – c’était un trait d’union entre une France et une autre. »
Souvent, les candidats aux élections doivent jongler entre la proximité exigée par les électeurs et la grandeur qu’ils doivent incarner. « Comme tous les présidents, Mitterrand va mettre en scène son ancrage dans les territoires. Mais si cette image fonctionne aussi bien, c’est qu’elle n’est pas factice, rappelle Pierre-Emmanuel Guigo. Elle résonne avec son propre parcours et ses goûts. »
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