Suivre le lapin blanc
Par Étienne Ruhaud
Tous les deux comme trois frères, Le cactus car il capte, Ce vide lui blesse la vue… Il semble décidément que Denis Montebello ait la magie des titres. Délibérément racoleur, ou plutôt ironique, celui-ci évoquerait davantage la grosse artillerie littéraire, l’un de ces volumes didactiques publiés chez First (L’Histoire de France pour les nuls, etc.), qu’un ouvrage subtil, sensible, publié au Temps qu’il fait. L’auteur s’en explique, assume son choix dès le second chapitre, pour nous offrir une liste glanée sur Internet, généralement de respectables livres de gare, parmi lesquels Le philosophe qui n’était pas sage. Parmi eux, essentiellement des livres à l’effet feel-good garanti (p.9), soit des récits pour vous évader, vous aérer l’esprit sans sortir de chez vous (idem).
Loin de constituer un manuel de creative writing, avec des recettes pour générer des ventes, Comment écrire un livre qui fait du bien ? aurait de quoi déconcerter l’amateur de thrillers ou de romans sentimentaux. Ce dernier serait en droit de protester, de hurler à la tromperie, d’exiger un remboursement. Nulle histoire de tueurs en série, de flic incorruptible ou de périple amoureux en Asie, ici, mais bien plusieurs récits qui s’entrecroisent, selon un art de la fugue propre à l’écrivain, qui enchaîne diverses pistes, comme s’il voulait se perdre, et nous perdre, dans la forêt de sa mémoire. Diverses réminiscences affluent ainsi : des voyages en TGV, des rencontres avec d’autres prosateurs, ou tout simplement des souvenirs livresques et cinématographiques qui s’entremêlent au fil de chapitres eux-mêmes élégamment titrés : «Un roman d’une longueur raisonnable», «Le rôle de la titrisation dans la contagion de la crise financière», etc.
Élaguer, avec le sourire
Conscient de sa propre difficulté à élaguer l’arbre textuel, l’homme évoque en filigrane un mystérieux feuillu, de ceux dont les branches donnent envie de s’y pendre, et qui, comme le flux de pensées, envahissent l’espace, le cerveau, la maison. Comment, dès lors, dégraisser, aller à l’essentiel, au menu, pour paraphraser un autre titre ? Faut-il faire appel à ces deux professionnels, roués bûcherons, qui surfacturent avec le sourire, et vous laissent avec un végétal tout aussi encombrant ? Faut-il se perdre sur Google, à Gourgues, en Belgique, dans je ne sais quelle géographie imaginaire ? Ou faut-il tout simplement s’en remettre à Denis Montebello, féru d’étymologie, digresseur invétéré, mélancolique humoriste ? Nous opterons pour cette dernière option. Nous n’avons pas le choix, de toute manière. Il nous faut accepter de suivre ces chemins qui ne mènent nulle part, chers à Heidegger. Et peut-être que la poésie est là, dans ces mauvaises herbes qui encombrent l’intrigue. Qu’il nous faut accepter, sans jalouser ni mépriser les faiseurs de best-sellers, l’autre voie originale que nous propose le guide, en nous laissant porter par les impressions de voyage, les nouvelles en germe, les anecdotes. Car, comme l’admet notre Lapin blanc (p. 83) : Pour prévenir votre fuite, j’ai de belles histoires à raconter. Elles vous feront trouver belle la route. Elles la rendront émouvante ou drôle, comme vous voudrez, et surtout plus légère.
Comment écrire un livre qui fait du bien ?, de Denis Montebello, éditions Le Temps qu’il fait, 2018, 120 p., 15 €
Jean-Luc Terradillos a chroniqué ce livre dans la version papier de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, n° 120, p. 17, sous le titre «Et si tout commençait aujourd’hui ?»
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