Sensibles préhistoires

Ami Drach and Dov Ganchrow, BC-AD ; contemporary flint tool design, Centre Pompidou, Mnam. Photo : Audrey Laurans / Dist. RMN-GP.

Par Anastasia Dona

Aux origines du monde, il y a l’art, nous raconte le Centre Pompidou, dans une exposition immersive et sensorielle, intitulée Préhistoire, une énigme moderne.

Crânes, coquilles, silex, art pariétal : de l’inédit pour le Musée national d’art moderne. La Préhistoire, qui fut la grande oubliée de l’exposition mythique des primitivismes au MOMA dans les années 1990, est enfin célébrée ici, à Paris. Art contemporain, science et histoire se mêlent dans les vitrines.

Le propos est le suivant : la préhistoire est une idée moderne, un bouleversement intellectuel entraîné par les grandes découvertes du xixe et du début du xxe siècle dans le domaine. En réponse, sur les fondations de la stupeur, naquit tout un pan de l’art moderne et une influence durable sur les motifs artistiques.

Il faut se figurer qu’il fallut attendre le xixe siècle pour faire tomber un tabou majeur : il y eut un monde avant l’Homme, et ce, pendant des millions d’années. Un grand vide donc, au moment où la révolution industrielle bat son plein. Une possibilité que tout s’écroule aussi, et qu’une autre vie nous remplace.

La compréhension des strates, la découverte de fossiles par les premiers paléontologues, donnèrent le vertige à leurs contemporains. Quand Cézanne représenta la montagne Sainte-Victoire, ce sont bien les couches géologiques sur lesquelles il s’appliqua.

Et puis, tout s’enchaîna : les premiers artefacts de main d’humains, de Cro-Magnon, que l’on pense l’œuvre d’artistes isolés dans un monde hostile, furent mis au jour. Aussitôt contredit par les plus bouleversantes des créations humaines collectives : la grotte d’Altamira, en 1879, fut d’abord comprise comme une supercherie avant que tous se rendent à l’évidence : l’art était partout au Paléolithique.

Le dispositif expographique, lui, contribue à nous plonger dans cette atmosphère de mystère. Nous frayons dans l’espace des salles comme on traverserait Lascaux, en alternance de pénombre et de puits de lumière, entourés de peintures pariétales monumentales, reconstitutions fidèles ou Anthropométries de l’époque bleue de Klein.

Une des œuvres majeures de l’exposition est une verrière du musée entièrement repeinte à l’argile par Miquel Barcelo, artiste qui fut aussi chargé de superviser le travail de reconstitution dans le fac-similé de la grotte de Chauvet, dont l’original fut peint voici quelques 35 000 ans.

«Il n’y a en art, ni passé, ni futur», Pablo Picasso.

La Vénus de Lespugue, sculptée dans l’ivoire il y a 25 000 ans, est cubiste. Picasso et Giacometti possédèrent tous deux des moulages en plâtre de la statuette, que nous pouvons ici contempler à notre tour. Elle permet aussi aux commissaires (Cécile Debray, Rémi Labrusse et Maria Stavrinaki) d’attirer notre attention sur le terme employé. Aussi différentes que soient ces statuettes, par leurs formes, leur taille, leurs matériaux, elles ont été flanquées d’un terme «classique» de l’histoire de l’art : vénus. On ne sait pourtant toujours pas aujourd’hui quelles étaient leurs exactes fonctions et signification profonde.

Croquis représentant la Vénus de Lespugue, Bulletin de la Société préhistorique de France, p. 82, Tome XXI, N°3, 1924, source gallica.bnf.fr, Bibliothèque Nationale de France

Une voix résonne à l’autre bout du parcours, presque familière, et nous interpelle jusqu’à un écran : un film de Marguerite Duras, Les mains négatives, où elle évoque l’art pariétal sur des images du Paris grouillant d’automobiles de 1979.

Un monde abîmé par la pollution humaine qui génère le mouvement du Land Art aussi, ne pouvait être absent de l’exposition. Robert Smithson, passionné de géologie comme Cézanne, va comme un artiste du Stonehenge néolithique, ériger ses œuvres de pierre en pleine nature dès la fin des années 1960.

En évoquant et anthropocène et culture populaire, l’exposition cherche à épuiser son sujet en mettant à l’honneur de grands artistes contemporains, notamment Giuseppe Penone et les frères Chapman, dans une installation ludique faite de dinosaures en plastique fluorescents.

L’exposition Préhistoire, une énigme moderne fut l’indispensable espace de méditation sur l’existence de l’été. Croisée au détour du parcours, cette phrase de Marx : «Le temps est tout, l’homme n’est plus rien ; il est tout au plus la carcasse du temps», peut faire office de prolongation à cet exercice.

Anthropométrie par Yves Klein, performance vidéo du 20 mars 1983, INA.

Cet article a été réalisé lors d’un séminaire de médiation et d’écriture journalistique dans le cadre du master histoire de l’art, patrimoine et musées de l’université de Poitiers.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.