Sébastien Laval – Les métamorphoses du Vietnam
Par Jean-Luc Terradillos
Sébastien Laval aurait-il un surnom vietnamien qu’un seul ne suffirait pas. Il en faudrait au moins 54, comme les 54 ethnies, dont 53 minoritaires, qui peuplent le Vietnam. C’est le premier à avoir accompli un tel travail qui tient à la fois de l’ethnophotographie et du reportage, une aventure artistique et humaine guidée par la passion pour un pays en pleine mutation qu’il fréquente depuis plus de vingt ans. Le musée d’ethnographie de Hanoï présente la première série sur Pa Then dès 2006 : succès immédiat.
Avec le soutien de la région Poitou-Charentes, en particulier Paul Fromonteil, ancien vice-président, et Sylvain Pothier, ainsi que des ministères des Affaires étrangères et de la Culture, Sébastien Laval a emprunté des chemins de traverse, souvent escarpés, du Nord au Sud du pays, à la rencontre de la diversité. Il révèle les innombrables facettes d’une belle humanité en pleine métamorphose. Sébastien Laval travaille avec humilité, avec rigueur, mais sans a priori, au plus près de l’humain. On perçoit nettement la relation de confiance qu’il noue avec l’Autre. Et le temps qu’il prend pour établir cette relation n’est pas compté.
En 2014, l’année croisée France-Vietnam fut un point d’orgue avec des expositions au Sénat, au musée d’Aquitaine à Bordeaux, à la maison de l’architecture à Poitiers, et au Festival de Hué – festival qui l’invita aussi en 2008, 2010 et 2016.
Depuis le numéro spécial Explorateurs et grands voyageurs (n° 73, été 2006), L’Actualité relate différentes étapes de ce voyage au long cours. L’exposition à Saint-Benoît (jusqu’au 23 novembre 2017) est l’occasion d’interroger Sébastien Laval sur des aspects inédits de sa pratique au Vietnam.
L’Actualité. – En 1995, quel fut le premier choc au Vietnam ?
Sébastien Laval. – Quand je suis sorti de l’avion à Hanoï, j’ai pris une énorme bouffée de chaleur, d’humidité et d’odeurs que je retrouve systématiquement quand j’y retourne, et à toutes les saisons. Ce pays a une odeur très particulière. Mais ce qui a rendu cette première expérience très forte c’est la rencontre avec deux Vietnamiens, Nhan, et Dong Sy Hua, qu’on appelait Vieux Crabe, de vrais passionnés de leur pays qui étaient dans la transmission et le partage. Tous deux avaient vécu la guerre. Au bout d’un mois, quand je suis remonté dans l’avion, je me suis promis de revenir. Promesse que je me fais à chaque fois.
Ces deux Vietnamiens avec lesquels le courant passe immédiatement ont donc donné des clés ?
Oui mais je n’ai peut-être pas tout décodé tout de suite. Et vingt-deux ans après, je n’ai peut-être pas encore tout décodé. Ils ne sont plus là tous les deux, et maintenant c’est peut-être moi qui, avec ce travail photographique, ait quelques clés à transmettre de temps en temps.
En retournant au Vietnam, je voyais que certaines choses changeaient très rapidement avec le développement et l’ouverture du pays. D’où l’idée d’entreprendre un travail là-dessus. Cette idée-là a évolué dans le temps. Je ne travaille plus de la même manière aujourd’hui que lorsque j’ai commencé ce travail sur les ethnies en 2005. En avançant petit à petit, j’ai pu approfondir ma connaissance des Vietnamiens et du terrain, et mieux cerner ce vers quoi je voulais aller.
Au début, j’étais tourné vers le passé, vers le mode de vie en train de disparaître. Peu à peu, j’ai compris que ce qui m’intéressait vraiment c’était d’essayer de comprendre comment ils vivaient l’instant et les transformations dans leur quotidien. C’est devenu évident en discutant avec les trois ethnies de la province de Thua Thien Hué, les Co Tu, les Ta Oi et les Pa Ko, qui avaient déjà connu des transformations radicales de leur mode de vie. J’ai décidé de les photographier dans ce présent-là. Mais s’ils veulent me montrer des objets, des vêtements et du patrimoine propres à leur population, très bien, je prends aussi.
Dans les premières photos chez les Pa Then, il y a des images en couleur où l’on découvre de superbes costumes. Pourquoi avoir choisi de poursuivre le travail en noir et blanc ?
Pour sortir de l’aspect folklorique que je voulais montrer au début. Rapidement, j’ai compris que ce n’était pas le folklore qui m’intéressait mais les visages, les regards, les peaux, les matières. Il y a des costumes très bariolés, très beaux, mais dans une photo en couleur l’œil se focalise là-dessus alors qu’avec le noir et blanc il regarde d’abord le visage.
Pourquoi n’avoir pas continué à photographier à la chambre ?
En 2005 chez les Pa Then, dans le village de Nam Bo situé sur les hauts plateaux près de la frontière chinoise, j’ai fait des images à la chambre avec le négatif récupérable (Polaroid), mais c’était très compliqué de faire sécher le film dans certains villages, au risque de tout perdre du fait du climat rude. Je partais avec des idées toutes faites sur ce que je voulais montrer, j’ai tâtonné et je me suis ravisé pour être plus performant, plus réactif, plus rapide. J’ai donc continué avec un Hasselblad que j’avais adopté en 1997. J’étais très à l’aise pour travailler en lumière naturelle avec cet appareil de format 6x6, pour cadrer à main levée, y compris pour des portraits. Avant je travaillais avec des boîtiers Canon et Leica.
Dans certaines photos, on voit un jean ou un tee-shirt portés avec un costume traditionnel.
L’un des premiers signes visibles de l’évolution de ces populations c’est le vêtement. Quand j’arrive dans un village pour faire des images, je me présente au chef de village, j’explique ce que je veux faire et on discute. Quand je demande à une personne si elle veut bien être photographiée – c’est oui la plupart du temps – elle me dit : Comment voulez-vous que je sois photographiée ? Je réponds : Comme vous voulez.
Certaines personnes vont se mettre un coup de peigne, faire un brin de toilette, changer de chemise ou de robe, d’autres restent comme elles sont. C’est le cas de cette jeune fille Na Nhi qui porte un jean sous sa tunique traditionnelle. On ne voit pas qu’elle a un téléphone portable dans la poche arrière.
Le vêtement a un rôle distinctif encore présent dans certaines régions et pour certaines populations. Dans le centre du Vietnam, pratiquement plus personne ne porte de vêtement traditionnel.
Très vite aussi, je me suis rendu compte qu’il fallait photographier les pieds, les mains, les outils, les intérieurs des maisons, les architectures, les véhicules, les villages et le paysage qui change parce que partout on construit des routes. Les gens qui habitaient dans les villages perchés dans la montagne descendent maintenant au bord des routes, les moyens de communication sont plus simples, de sorte qu’ils ont accès plus rapidement accès à l’échange, au marché, à la consommation, ça change tout. Avant il leur fallait des heures de marche.
Comment s’est opéré le retour à la couleur, avec notamment les photos de Hanoï la nuit ?
J’ai toujours fait un peu de couleur parce que je savais que j’en aurai besoin un jour et que cela apporterait une autre lecture et un complément. Dans mes premières images du Vietnam, il y a plus de photos en couleur qu’en noir et blanc, et il y a déjà quelques photos nocturnes d’Hanoï. J’avais été frappé par certaines lumières la nuit.
En décembre 2007, avec mon premier boîtier numérique, je vais faire un tour dans les rues parce que j’ai toujours adoré la nuit à Hanoï et je fais une série de photos. Là, je procède à l’opposé de ce que je faisais avec les ethnies puisque je travaille avec un boîtier 24x36, en couleur, sur pied, avec une ouverture d’objectif très fermée pour avoir un maximum de définition. Le résultat m’a convaincu de continuer à montrer cette ville autrement. En 2012, cela donnera une exposition à l’Institut français d’Hanoï. Beaucoup d’Hanoïens sont venus voir cette exposition qui a eu bonne presse. Cela a changé leur vision de certains lieux.
Cette série vient compléter le travail sur les ethnies parce c’est une manière montrer la ville, avec son histoire, ses paradoxes, où même la nuit l’activité humaine est toujours présente ou suggérée.
Comment est venue l’idée de faire des vidéos ?
J’ai toujours aimé filmer. En 2000, un ami m’avait prêté une caméra avec laquelle j’avais fait un film sur un village de la baie d’Ha-Long mais j’ai fait aussi des images de Hanoï et dans la montagne avec une caméra super 8.
Maintenant c’est plus facile avec l’appareil photo numérique qui me permet de filmer un peu comme je photographie, avec les mêmes réglages, la même profondeur de champ, le même cadrage. Pour les expositions c’est un bon complément, car cela apporte des couleurs, des gestes, des mouvements, des sons.
Sébastien Laval – Vietnam – Pa Ko, Moments de la vie quotidienne chez les Bru Van Kiu, les Pa Ko et les Co Tu, dans le centre du Vietnam, février 2014.
L’objectif est maintenant de faire un nouveau livre qui retrace cette aventure ?
Je prépare un livre qui permettra de rencontrer les 54 populations du Vietnam mais pas seulement, qui permettra aussi de comprendre comment j’en suis arrivé à vouloir travailler là-dessus, de 1995 à 2005, c’est-à-dire les premiers reportages sur Van Gia, Dien Bien Phu, Hanoï…– et de montrer l’évolution du pays sur la durée. Il y a tellement de choses que j’aimerais pouvoir montrer dans les expositions qu’il faut un livre.
C’est aussi un rapport au temps, du temps de pause de la photo à celui de la vie. Je me suis construit à travers ça aussi. C’est vingt-deux ans de ma vie, la moitié de ma vie.
Je me souviens d’un soir en 1995. On était parti de Dalat le matin et on allait à Phan Thiet. On longeait la côte avec une vieille Jeep, on s’était arrêté à Ca Na sur une plage, un endroit magnifique avec des gros cailloux dans la mer. J’ai fait des photos sur la route d’un jeune homme en vélo, de trois femmes sur une moto et d’une charrette chargée de bois tirée pas des bœufs, et quand je les revois je me dis qu’à ce moment-là j’étais loin d’imaginer où pourrait me mener cette route.
À voir
Avec Philippe Bouler, Sébastien Laval a publié en 2016 Huê, la ville des pierres qui pleurent, Vietnam News Agency Publishing House. (ISBN 978–604-945–552‑0)
Pour le festival de Hué en 2014, création de la compagnie Carabosse (installation de feu) et photographies de Sébastien Laval sur le pont Trang Tien (403 m de long) qui enjambe la rivière des Parfums au cœur de la ville, et reportage de France 3.
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