Bernard Collot – L’école du 3e type

Bernard Collot

Entretien Claire Marquis

De 1975 à 1997, Bernard Collot a été instituteur dans la classe unique de Moussac-sur-Vienne, village de 500 habitants proche de l’Isle-Jourdain, entre les rives de la Vienne et de la Grande-Blourde. Il y a développé une réflexion sur l’école et l’éducation, dont il rend compte dans un livre, L’école du 3e type, explorer un autre paradigme avec les enfants. Inspiré de la pédagogie Freinet, le discours de cet instituteur hors du commun n’est pas celui d’un gourou de la pédagogie mais celui d’un homme qui a essayé, testé, cherché. Et qui témoigne, la retraite venue, d’une autre éducation possible.

L’Actualité. – Être instituteur à Moussac… c’était comment ?

Bernard Collot. – Je suis arrivé à Moussac en 1975 alors que la seconde classe venait de fermer. La classe unique dont j’avais la responsabilité réunissait entre 10 et 35 enfants de 4 à 11 ans, y compris parfois les enfants de la communauté des gens du voyage, qui installaient leur campement à 50 mètres de l’école.

Arriver en classe unique c’est perdre tous les repères péniblement acquis en formation. C’est un vaste inconnu que de se confronter au « multi-âge »… J’ai décidé d’en faire un atout, un espace expérimental. Ce fut une grande liberté et l’occasion idéale pour changer de pratique.

 

L’école du troisième type, c’est le terme que vous employez pour décrire l’expérience que vous avez menée.

J’ai emprunté cette expression à un journaliste qui est venu un jour faire un reportage dans notre classe. Je dis aussi l’école de la simplexité, en référence aux travaux d’Alain Berthoz1, ou comment rendre simples les choses compliquées. En un mot, il s’agissait que les enfants deviennent autonomes et acteurs de leurs apprentissages. Il n’y avait pas de programme, pas d’horaires, pas de cahiers, pas de notes.

 

Une école sans programme, sans horaires, sans évaluations… ?

Les enfants pouvaient arriver à l’heure qu’ils voulaient. Certains étaient là dès 7h30 en même temps que le maître, d’autres plus tard… Ils travaillaient sur ce qu’ils choisissaient, sous forme de projet : chaque projet, quel qu’il soit, était prétexte à un grand nombre d’apprentissages. Dans le plaisir ! Et avec du sens !

Ils pouvaient sortir de l’école pour faire une enquête sur un métier du village par exemple. Ou bien aller seuls à la Poste envoyer un courrier à nos nombreux correspondants. Il y avait une salle de musique, on faisait dès 1983 de la télématique (envoi de messages informatiques par les télécoms), il y avait des jeux, des livres, des outils dans la classe.

 

Quel est alors le rôle du maître si les enfants travaillent en autonomie ?

L’adulte est garant de deux choses importantes. D’une part, faire en sorte que l’environnement de l’enfant soit riche, adapté. C’est la base de la pédagogie Freinet. Comme dans la vie, c’est en relation avec son environnement que l’enfant apprend. Les enfants auront besoin à tout moment d’un globe, d’une carte, d’un microscope, d’une balance : si tous ces objets sont facilement accessibles ceci induira leur utilisation !

L’environnement doit aussi être agréable, comme à la maison. Un bouquet de fleurs sur la table ne sert à rien pédagogiquement, et pourtant il change tout…

D’autre part, l’adulte doit faire en sorte que le groupe fonctionne. Mon rôle le plus important était de construire une cohésion entre les enfants. Se reconnaître, être reconnu par les autres, appartenir à un « système vivant », avoir une place mais aussi un pouvoir dans l’interdépendance avec les autres.

 

Dans l’école traditionnelle, l’évaluation prend beaucoup de place. Comment vous en êtes-vous affranchi ?

La note va de pair avec le programme. Le système éducatif a besoin d’avoir des chiffres à entrer dans des tableaux, pour pouvoir faire des statistiques qui expliqueront s’il est performant. On entre dans une logique de classement, classement de l’élève, classement de l’école, classement du pays. Ce système valorise les plus forts, on sait bien que ceux qui n’entrent pas dans le moule vont courber l’échine pour accepter les coups de bâton, ou bien se révolter et engendrer de la violence.

Quand on sort de ce paradigme, l’évaluation au sens de « notation » n’a plus de sens.

Un enfant a envie de faire un cerf-volant, mais il ne sait pas faire. Il se renseigne, cherche de l’aide, utilise un grand nombre de compétences et, ce faisant, s’en construit d’autres de toutes sortes (même si on ne sait pas lesquelles), il essaie, recommence… Comment s’auto-évalue-t-il in fine ? Le cerf-volant… vole !

 

Vous parlez des dysfonctionnements de groupe à régler, plutôt qu’appliquer des sanctions.

Oui, car s’il y a une sanction c’est qu’il y a un dysfonctionnement. Il faut comprendre le pourquoi de ce dysfonctionnement. Les grands viennent se plaindre au maître qu’un petit passe son temps à les embêter, à être « dans leurs pattes », à leur piquer leurs affaires… peut-être que le petit a envie de jouer avec les grands, de partager des choses avec eux ? Cela peut paraître simpliste mais en discutant, en échangeant les points de vue, en cherchant des solutions ensemble, il n’y a pas besoin de sanction.

 

Et les parents dans tout cela ?

La veille de la rentrée, je rencontrais les parents pour leur expliquer la démarche. Puis, tous les mois, nous nous réunissions pour parler des constats, poursuivre la stratégie en route ou bien l’adapter. Les parents acceptaient d’être dans le dialogue, de réfléchir ensemble. L’école était ouverte aux parents pour qu’ils se rendent compte de la pédagogie utilisée. Ils étaient encouragés à faire des critiques au maître. L’idée était d’être dans le consensus plutôt que dans le compromis.

La seule garantie que je leur apportais était que leur enfant arrive au collège et puisse suivre facilement. Et je m’engageais qu’en cas de problème, je m’en irai. Il n’y avait pas de pression.

Il est impossible de faire l’école sans les parents. Ils sont le recours de l’enfant, son besoin, son lien. L’école de doit pas déresponsabiliser les parents.

 

L’Éducation nationale voyait-elle d’un bon œil votre expérience ?

Le premier inspecteur qui est venu à Moussac a été abasourdi : « Je n’ai jamais vu ça ! Je ne peux pas faire de rapport ! Je reviendrai l’an prochain. » Il est revenu, a honnêtement constaté l’évolution des enfants, ce qu’il a conclu dans son rapport. Bien souvent, les enseignants se mettent dans une posture d’élève, de soumission, face à leur supérieur hiérarchique. Peut-être qu’il suffirait de changer de posture pour que l’institution évolue ?

 

Comment est née votre réflexion sur les pédagogies alternatives ?

Elle est née… par hasard ! Je me suis retrouvé en début de carrière dans une classe avec des enfants de 7 à 14 ans. C’était une école à l’ancienne, il y avait une estrade. Un jour j’ai enlevé l’estrade et un collègue m’a dit : « Ah, tu fais de la pédagogie Freinet ? » J’ai eu envie de m’y intéresser ! J’ai découvert les fichiers auto-correctifs, la correspondance, des outils qui offraient des solutions aux problématiques des âges multiples. À l’époque, l’instituteur en milieu rural était aussi celui qui s’occupait des équipes de foot, de basket, du cinéclub, de l’amicale laïque. La Ligue de l’enseignement menait une réflexion sur la création de « restaurants d’enfants » plutôt que de cantine… L’été, j’animais des colonies de vacances, les Cemea prônaient les pédagogies actives… J’ai participé à une expérimentation autour de l’apprentissage massif de la natation directement en grand bassin… Bref, je me suis enrichi de tout un tas d’expériences.

 

Et vous continuez…

Bien sûr. Les neurosciences continuent à nous donner des clés sur le fonctionnement du cerveau de l’enfant. De nombreuses études montrent que le système traditionnel de l’école est obsolète. Il faut penser « organisation » plutôt que « ordre ». De plus en plus d’écoles privées hors contrat se lancent dans d’autres manières de faire. Alors, pourquoi cela est-il aussi lent à bouger au niveau de l’école républicaine ? Tous les enfants devraient pouvoir s’épanouir par l’école. Ils nous appartient de trouver des solutions, il appartient aux parents, aux enseignants, d’oser se diriger vers d’autres manières de faire. Il n’y a pas de recette miracle. Nous sommes tous des chercheurs.

 

Le blog de Bernard Collot : http://education3.canalblog.com/

L’école du 3e type, explorer un autre paradigme avec les enfants, de Bernard Collot, éditions l’Instant présent, 2017, 380 p., 22 €

1 « La simplexité, telle je l’entends, est l’ensemble des solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité des processus naturels, le cerveau puisse préparer l’acte et en projeter les conséquences. Ces solutions sont des principes simplificateurs qui permettent de traiter des informations ou des situations, en tenant compte de l’expérience passée et en anticipant l’avenir. Ce sont de nouvelles façons de poser les problèmes, parfois au prix de quelques détours, pour arriver à des actions plus rapides, plus élégantes, plus efficaces ». Alain Berthoz, La Simplexité, éd. Odile Jacob, 2009

 

1 Comments

  1. Très intéressant, merci.
    Voilà un exemple d’école qui devrait être généralisée au niveau national ! Tout le monde y gagnerait certainement: enfants, jeunes, parents enseignants. Sauf peut-être les politiques qui ne peuvent se passer de statistiques ou d’évaluations…
    Il suffit de changer totalement de paradigme sur ce qui concerne les apprentissages de l’enfant et ses capacités intrinsèques. Mais aussi sur l’éducation qui est du ressort des parents et non de l’institution publique qui s’arroge leur autorité sans en assumer les conséquences souvent tragiques.
    On voit sans cesse des pseudo réforme qui n’aboutissent à rien de concluant, sans jamais régler les problèmes de fond, politique oblige.
    Voilà une solution viable, qui a fait ses preuves et adaptable simplement à tous les contextes sans dépenser des milliards. Pourquoi ne pas l’appliquer dès maintenant ?

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