Poèmes pulsionnels

baton mots poésie écritures Bâtons-poèmes de Serge Pey dans «La solution de l'univers», installation à l'hôtel de Ménoc, lors de la biennale de Melle 2013. Photo J.-L. Terradillos.

Par Marie-Lou Paitre 

«Ta poésie est radicalement matérielle, passionnément charnelle.» Les mots de Daniel Bensaïd dévoilent avec justesse l’entreprise poétique de Serge Pey. Tantôt décrit comme un poète performateur tantôt comme un pèlerin poète, la plupart de sa poésie a pour support originel ses bâtons. Avec, il bat le sol au rythme de ses marches et de ses déclamations ou se fait poète plasticien en les disposant dans une composition. 

Les poèmes recueillis dans cette anthologie sont, pour certains, inédits, et ont, pour d’autres, déjà été publiés, scandés, collés au mur, ou encore performés… Un post-scriptum de l’éditeur précise leurs contextes d’écriture et d’édition. Dialectique de la Tour de Pise s’ouvre sur un texte de présentation de Daniel Bensaïd extrait de Serge Pey et l’internationale du rythme paru en 2009 sous la direction d’Andréas Pfersmann. Cette préface témoigne de la pensée libertaire qui unit le poète à son ami philosophe, figure de la Ligue communiste révolutionnaire, et qui colore l’ensemble des poèmes.

« Poèmes politiques » recouvrent une poésie théorique ou d’application traversée par la philosophie, la science, la linguistique… Témoin et actrice de la révolte, la poésie de Serge Pey est militante. Elle est action, se définissant comme une «poévie». Elle manifeste – non pas une théorisation de sa propre forme – mais ses états, autrement dit elle se manifeste : clandestine, subversive, libertaire, utopiste.

Sa matérialité prend ainsi différentes formes. La verticalité est récurrente dans la mise en page de ses poèmes : les vers sont courts et les retours à la ligne nombreux. Le texte est scandé et semble figurer un rythme respiratoire, ce qui confère à la lecture son oralité. Quelques poèmes ont été des objets militants tels que Les mots d’ordre pour les parapluies affichés dans Toulouse, et qui par leurs formes brèves percutent tels des slogans ou des proverbes. Les formes sont constamment réinventées. Le poème, éponyme du recueil, est emblématique d’une forme poétique qui se pense par elle-même : la mise en page est renversée – une police blanche sur un fond noir – et la composition est faite, non pas de vers ni de strophes, mais de réflexions.

Le motif du renversement est récurrent chez Pey. Il bouscule la langue, les systèmes, détourne ses propres textes et ceux des autres comme la mise en abyme de La ferme des animaux d’Orwell. Sa poésie dialogue avec de nombreuses pensées : Benjamin, Brecht, Gramsci, Hölderlin, Marx… Cette intertextualité sert toujours à penser l’oppression. Ainsi, en instaurant un pont entre Bertolt Brecht et Walter Benjamin, il avertit que «toute réalité de l’oppression a une berge qu’on ne pense pas mais qui nous pense et qu’il faut donc impitoyablement détruire».

Dialoguant non seulement avec d’autres penseurs, il invite le lecteur à faire entendre sa voix en rappelant le mot d’ordre de Lautréamont : «La poésie doit être faite par tous. Non par un.» Mais Serge Pey a déjà tracé le sillon et nous n’avons plus qu’à le suivre. 

«Serge,
Seul toi, poète, 
possède le secret de la véritable force politique, 
faite d’imagination et de mémoire anciennes, 
car tu sais te placer pour voir lors des nuits les plus noires,
[…]»

Extrait de la lettre de Carmen Castillo au poète

Dialectique de la Tour de Pise, Poèmes politiques (anthologie), de Serge Pey, éd. Dernier Télégramme, 2019.

Serge Pey et l’Internationale du rythme, de Daniel Bensaïd, éd. Ateliers des brisants / Dumerchez, 2009.

À lire sur le site de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, Serge Pey, poétique passionnelle du flamenco par Laurine Rousselet.

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