Oiron au temps de ses derniers châtelains
Par Grégory Vouhé
Gertrude Willefride Quartina Blanche de Stacpoole, marquise d’Oyron, disparaît le 10 décembre 1899 à l’âge de 66 ans au château de Paulmy (Indre-et-Loire), qui était sa résidence habituelle. Suivent un jugement en Cour d’appel d’Orléans du 5 avril 1900 concernant sa succession, puis la vente des meubles anciens et objets d’art des châteaux de Paulmy1 et d’Oiron les 23 et 24 novembre 1902, dont on ne connaît hélas pas le détail. Que pouvait-il rester à Oiron, sachant que cinq pièces de tapisserie des Gobelins d’époque Louis XIV, présentées comme ayant appartenu à madame de Montespan, avaient été vendues à Drouot dès 1878, après la mort du marquis d’Oyron († 1877) ; la presse des 27 et 29 mars rapporte que ces tapisseries représentent des arceaux garnis de feuillages et de fleurs ; deux d’entre elles sont ornées, au centre, d’un groupe de deux figures : Femme et Amour ; les deux autres, de vases et de fleurs, et la dernière, d’un vase surmonté de divers instruments de musique et du blason de France. Elles ont été adjugées 7550 francs. Dans un article du 30 octobre 1903, André Hallays écrit que « les pièces sont vides, démeublées, dévastées […] J’avais ouï parler d’un beau médaillon en marbre de Louis XIV qui, naguère, était encore conservé dans l’une des salles des grands appartements : il a disparu… »
Le vicomte et la vicomtesse d’Oyron
Maurice Dumolin, qui s’embrouille dans les dates de succession des propriétaires, écrit en 1931 qu’outre le mobilier vendu, les terres furent démembrées. Seul le château, réduit à ses quatre murs, revint au vicomte d’Oyron, neveu de Gertrude de Stacpoole. Il s’agit de Louis (Pierre) Fournier de Boisairault, né le 5 février 1863 au château de Verrière, commune de Bournand, canton des Trois-Moutiers. Son père Ernest allait louer trois ans plus tard le château d’Oiron pour ses fameux laisser-courre. La Revue mondaine illustrée de janvier 1892 annonce son mariage le 28 à la Trinité, avec mademoiselle Lessart. L’Annuaire héraldique de 1901 indique que le vicomte et la vicomtesse résident 54 rue Ampère et au château de Saint-Léonard. Louis était membre du Cercle agricole, selon l’Annuaire des Grands cercles de l’année 1900. On n’en sait guère davantage, sinon qu’il donne au musée de Niort six carreaux provenant du château d’Oiron en 1905, avant de s’éteindre le 14 novembre de l’année suivante, rue Ampère, à l’âge de quarante-trois ans. Ses obsèques sont célébrées à Saint-François-de-Sales le 19. Sa veuve, alors âgée de trente-sept ans, lui survivra quarante ans : Marie-Antoinette Marguerite Laigre-Lessart, vicomtesse d’Oyron, disparaît le 20 juillet 1946 à l’âge de 77 ans, comme le rappelle la plaque de sa tombe, au cimetière d’Oiron. Sa mère (Claudine Marguerite Berthe Ducamp) était morte le 15 octobre 1897 au château de Saint-Léonard à l’âge de 52 ans, son père, Albert Lessart, ancien magistrat, en 1911 à l’âge de 72 ans.
Un château déserté par des veuves
Un ouvrage peu connu publié par le Touring-club de France en 1904 permet de se faire une idée de l’état du château tel qu’il venait d’échoir au vicomte et à la vicomtesse, après 22 ans de veuvage de la marquise d’Oyron, qui ne l’habitait guère suite au décès de son fils en 1883.
« Le château, du côté de la cour, présente un aspect grandiose et majestueux. […] Au centre est un parterre à la mode du xviie siècle [mais qui, créé au xixe siècle, n’existait pas au xviie]. De grandes et larges allées l’entourent et une grille de belle allure [au chiffre de Gertrude de Stacpoole] le sépare de la route. […] Malheureusement cette belle demeure seigneuriale est depuis fort longtemps abandonnée. La cheminée de la salle des Gardes, où l’on voyait des fresques de la Renaissance […], tombe en poussière et aucun soin n’est pris pour arrêter une destruction inévitable et prochaine. Serait-il possible, d’ailleurs, d’enrayer cette destruction ? Il est tout au moins permis d’en douter. Ces vastes palais ne correspondent plus à nos mœurs actuelles et à nos besoins modernes. Les terres ont été vendues autour de la demeure princière et il ne reste que les bâtiments d’aspect somptueux à l’extérieur, mais dont l’intérieur est déjà ravagé par le temps. […] Dans un siècle il ne restera pas grand’chose de tout ce luxe aujourd’hui démodé. […] La visite du château d’Oiron, au départ de Thouars, demande une demi-journée à peine. On obtient aisément l’autorisation de visiter les appartements. Du reste, le château n’est plus habité et les parties les plus importantes du somptueux mobilier qui décorait ses vastes salles ont disparu en grande partie. » (À la France. Sites et monuments. Le Poitou, 1904)
Le château fait très régulièrement l’objet de publications, comme en 1906 ou dans le Guide du congrès archéologique de 1910.
Un Monument historique ouvert à la visite
Après une première tentative avortée, la propriétaire donne son accord pour le classement au titre des Monuments historiques, le 2 octobre 1923, du château et de la cour d’honneur, des grilles et du petit parc qui l’entoure, y compris le terrain entre les douves et l’église paroissiale, ainsi que le rapporte Le Gaulois du 20 novembre. L’article parle confusément d’une pièce dans laquelle la propriétaire a réuni des fragments en faïence, « parties de carrelages, portions de revêtements ». Il s’agit des carreaux de madame de Montespan que la vicomtesse avait fait poser aux murs de la petite bibliothèque, entre le vestibule aménagé à l’époque de la marquise et le billard, tandis que le vicomte en donnait six au musée de Niort (1905). Suite au classement, Gabriel Brun, architecte en chef des Monuments historiques du département des Deux-Sèvres, est chargé de la restauration du château, dont il dessine les plans pour la monographie de Dumolin parue en 1931.
La Revue du Touring Club de France de décembre 1927 signale que l’État consent actuellement les plus grands sacrifices financiers, notamment pour la réparation des toitures. Les balustrades qui couronnent les façades réclament aussi, à certains endroits, une reconstitution complète. La propriétaire affecte le droit d’entrée de 2 francs payé par les touristes à ces réparations, le classement ne mettant pas toutes les dépenses d’entretien à la charge de l’État. La cour intérieure, la galerie, la chapelle et plusieurs salles enrichies de peintures (grande salle, chambre du roi et cabinet des Muses), sont montrées au public, ainsi que le parc.
Le château fait partie d’un circuit de visites estivales en autocar, le jeudi, du 18 juillet au 28 septembre, à 40 francs la place : château de Brézé, de la Mothe-Chandeniers, Les Trois-Moutiers, château d’Oiron, cirque de Missé, Thouars, Montreuil-Bellay, départ de Saumur à 12h, retour vers 18h30. La société des Antiquaires de l’Ouest organise pour sa part une excursion archéologique à Loudun, Oiron, Saint-Jouin-de-Marnes et Moncontour, avec présentation des monuments par ses meilleurs spécialistes, le 14 juin 1928. Un album inédit d’« instantanés » de Maurice Couvrat, photographe installé 123 avenue de Bordeaux à Poitiers, conserve le souvenir de la présentation du château par Jean Plattard (1873–1939). Certains pensent reconnaître la vicomtesse au centre de la nombreuse assistance qui assiste à celle de la bataille de Moncontour, mais sans certitude.
Séjours et expropriation de la vicomtesse
Toujours est-il qu’on relève, parmi les « déplacements et villégiatures des abonnés du Figaro », sa venue à Oiron signalée dans les éditions du 23 août 1936 et du 5 juillet 1937. En 1936 justement, André Gain, professeur à la faculté de lettres de Nancy et président de la fédération historique lorraine s’émeut de l’état du château, dont les balustrades qui couronnaient logis et pavillons ont dû être démontées quelques années plus tôt comme le montrent les clichés de Georges Estève, où l’on voit les fenêtres éventrées de pièces abandonnées du pavillon du roi : « déjà la mort a gagné les extrémités » du château, « entre deux ruines le corps du bâtiment central se défend jusque quand ? » Trois ans plus tard, le 31 mars 1939, une délibération de la commission des monuments historiques est relative à l’acquisition, par voie d’expropriation, du château d’Oiron, afin d’en assurer la sauvegarde, la propriétaire ne pouvant assumer seule la charge de sa restauration. À la suite de quoi un décret du 15 mai 1941, paru le lendemain au Journal officiel, porte acquisition du château : « est déclarée d’utilité publique l’acquisition par l’État du château d’Oiron (Deux-Sèvres) avec ses dépendances […] l’administration des Beaux-Arts est autorisée à acquérir, par voie d’expropriation, la propriété […] Madame la vicomtesse d’Oiron, usufruitière du château, aura le droit de continuer à habiter sa vie durant, dans une partie des bâtiments ; aucune redevance ne sera due par elle au Trésor à raison de cette habitation. » Elle termine sa vie dans son vaste appartement du pavillon des Trophées2, dont les portes-fenêtres ouvraient sur des plates-bandes et massifs dont gardent mémoire les clichés réalisés par Georges Estève entre 1929 et 1934, et celui reproduit en 1904 dans Sites et Monuments.
- Compte-rendu des deux premières vacations de la vente du mobilier du château de Paulmy, où étaient les plus belles pièces du marquis et de la marquise d’Oyron (le château d’Oiron n’étant qu’une résidence secondaire, utilisée à la saison des chasses), dans Le Journal du 28 novembre 1902. Au musée de Thouars, deux pièces du legs Imbert (n° 77 et 162) proviendraient du château d’Oiron : une glace d’époque Louis XIV (au chiffre supposé être celui de madame de Montespan) et une tapisserie encadrée de la même époque (60 x 50 cm) figurant une salamandre. Même provenance pour un tableau représentant la du Barry selon un ancien catalogue du musée.
- Dumolin indique en 1931 que le public ne visite pas ce pavillon, occupé par les appartements de la propriétaire. Il comprend, au rez-de-chaussée un vestibule et quatre grandes pièces à cheminée, au premier étage un vestibule, trois grandes pièces et deux petites, au second étage un grand grenier.
Sur le château d’Oiron
« De retour à Oiron », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 119, hiver 2018, p. 56–59.
« Le recueil du duc d’Antin », L’Actualité Poitou-Charentes n° 110, automne 2015, p. 26–29.
« Tombeaux de marbre des La Trémoïlle et des Gouffier », L’Actualité Poitou-Charentes n° 107, hiver 2015, p. 46–47.
« Les Métamorphoses au plafond du château d’Oiron », L’Actualité Poitou-Charentes n° 106, automne 2014, p. 39.
« Oiron. La chambre du Roi », L’Actualité Poitou-Charentes n° 102, automne 2013, p. 22–25.
« L’orange cultivée au Grand Siècle », L’Actualité Poitou-Charentes n° 93, juillet-septembre 2011, p. 45.
« Oiron. Un visage retrouvé », L’Actualité Poitou-Charentes n° 87, janvier-mars 2010, p. 46–47.
« Oiron. La galerie restaurée », L’Actualité Poitou-Charentes n° 86, octobre-décembre 2009, p.40–41.
« Madame de Montespan à Oiron », L’Actualité Poitou-Charentes n° 78, octobre-décembre 2007, p. 40–41.
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