Métamorphoses en Poitou-Charentes

"Carte de Cassini", vers 1760. Collection du PNR, du Marais Poitevin.

Par Juliette Herbaut

« Entre Loire et Gironde, Limousin et Atlantique, les territoires présentent des contrastes subtils et tout à la fois saisissants » : c’est en partant de ce constat que Paysages en mémoire en Poitou et en Charentes débute. Cette large étude tend à s’intéresser aux évolutions des panoramas de la région via de multiples perspectives (culturelles, politiques, sociales et économiques). Elle est dirigée par Thierry Sauzeau, professeur d’histoire moderne à l’université de Poitiers et par Daniel Bourdu, chercheur à l’EHESS. De nombreux autres spécialistes interviennent dans cet ouvrage collectif, comme Jacques Boucard, docteur en histoire et spécialiste de l’île de Ré, Yannis Suire, directeur du Centre vendéen de recherches historiques et historien de l’environnement, Pierre Caillosse, docteur en histoire de l’université de la Rochelle qui a soutenu sa thèse en 2015 sur les transformations du littoral de Soulac ; ou encore de professeurs de l’université de Poitiers, comme Elisabeth Carpentier en histoire médiévale ou Jacques Péret en histoire moderne. 

L’approche est donc pluridisciplinaire : on y retrouve des études de cas en histoire médiévale et moderne, en urbanisme, en géographie ou encore en ethnologie. Au total, ce sont vingt-cinq interventions qui analysent l’impact de la vie humaine (agriculture, élevage) et de la nature sur l’aménagement de ces territoires. Chaque intervention est accompagnée de cartes anciennes, de photographies ou de cartes postales, de quelques graphiques simples qui illustrent les évolutions de ces panoramas. Il est organisé en quatre parties, tour à tour consacrées à des lieux différents.

L’Escargot sur La Clouère, années 1940. Photo Coll. particulière.

Ainsi, c’est avec la vallée de la Clouère, au sud de la Vienne, que débute l’exploration de ces paysages. La richesse de la rivière est mise en avant : elle est vectrice de vie et de changement. Les espaces autour du cours d’eau ont été organisés et modifiés au cours des siècles, notamment au Moyen Âge. La société médiévale a utilisé cette ressource naturelle pour se déplacer, produire et se développer : de nombreuses églises et moulins apparaissent, constituant aujourd’hui un patrimoine culturel emblématique. On pourra retrouver une liste de toponymes régionaux réalisée par l’ethnolinguiste Jean-Jacques Chevrier, auteur d’expression poitevine. En suivant La Clouère, il nous fait découvrir la signification de plusieurs lieux-dits, comme à l’Usson-du-Poitou :

« Moulin d’Azac : aze, f. “framboise” dans le Poitou, le Val de Loire et l’est du Massif central, mais aussi dans le nord de la péninsule ibérique. On a proposé une filiation avec le latin àcina, “grain de raisin”, “baie” […] Le suffixe -ac, gaulois -accos est un suffixe localisateur qui signale la présence, abondante ou exceptionnelle, voire insolite, dans le lieu considéré. »

Les chercheurs poursuivent avec le plateau poitevin et charentais. Entre les Bassins Parisien et Aquitain, Poitiers est au centre de conflits militaires importants entre le vᵉ et le xivᵉ siècles ; des réflexions autour de la surexploitation forestière font aussi leur apparition avec la Révolution. La région jouit également d’une multitude de paysages qui attire les artistes, dont les « peintres sur le motif » comme Henri Foreau. On redécouvre, au travers de cette étude de cas, son œuvre discrète mais prolifique (ses croquis, aquarelles ou encore huiles sur toile se comptant par centaines). Un panel de dessins sont présentés, qui « nous transporte […] dans l’atmosphère et la mémoire d’une vallée du Poitou, au début du xxᵉ siècle. »

Le Gué d’Ablet d’Henri Foreau (1886 – 1938). Photo Coll. particulière.

Aussi, la diversité des paysages marins et forestiers de La Rochelle et de la plaine d’Aunis est également mise en avant par les chercheurs. Dès le xviiᵉ siècle, certains territoires, comme les marais, se trouvent au cœur des préoccupations. Dans l’estuaire de la Sèvre niortaise, ces espaces sont modelés pour l’élevage ou l’agriculture ; dans la région poitevine, les canaux, utilisés habituellement pour se déplacer, se transforment en panoramas bucoliques. Nommée « la Venise verte » par Henri Clouzot en 1902, elle attire et marque les visiteurs. Quant à l’horizon rochelais, il est partagé entre la « ville blanche », les vignobles aunisien et les marais salants. Le littoral charentais, avec les îles d’Oléron, de Ré ou d’Arvert, est aussi prolifique. Présenté comme un territoire partagé entre viticulture et pêche, il connaît un fort essor balnéaire du côté de Royan ou La Rochelle dans les années 1880. La côte suscite aussi des inquiétudes, comme pour Soulac-sur-Mer qui connaît un phénomène d’érosion depuis maintenant trois siècles.

En retraçant l’histoire de ces multiples territoires, Paysages en mémoire en Poitou et en Charentes montre comment les panoramas ont évolué au gré du temps. Les différentes études de cas, nourries par des spécialistes d’horizons divers, offrent à cet ouvrage une richesse de perspectives et de connaissances sur l’impact de l’activité humaine sur la nature.

Cet ouvrage s’inscrit dans un projet de recherche d’envergure, l’Atlas historique de la Nouvelle-Aquitaine. Mené par sept laboratoires dont le Criham (Centre de recherche interdisciplinaire en histoire, histoire de l’art et musicologie de l’université de Poitiers), il cherche à rassembler des informations autour de l’évolution des territoires et des paysages de la région dans une approche plurielle (culturelle, politique, sociale et économique), de la protohistoire à nos jours. 

Paysages en mémoire en Poitou et en Charentes , dirigé par Thierry Sauzeau et Daniel Bourdu Geste éditions, 255 p., 25 €. 

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