Les femmes, la Saintonge et la mer

paysage fort océan carrelet Fort Lupin construit par Vauban entre 1685 et 1689 dans l’estuaire de la Charente. L’Actualité n° 77 spécial Vauban. Photo Thierry Girard.

Par Marie Cloutour

«Hommes en mer, femmes à terre.» Cet adage résume à lui seul et en quelques mots simples l’image des femmes sur le littoral lors du règne du Roi Soleil : la mer est un environnement dangereux généralement réservé aux hommes et dont les femmes sont exclues. Ces dernières restent bien souvent sur la terre ferme dans l’attente de leur époux – marin – dont le retour est incertain. Déconstruire cette représentation s’avère ardue puisque les femmes sont souvent invisibles et retrouver leurs traces nécessite bien souvent de lire entre les lignes du discours contenu dans les archives afin d’avoir un aperçu du rôle essentiel qu’elles jouent dans l’économie littorale et maritime. Pour cela, nous disposons de quelques enquêtes et de mémoires rédigés par des contemporains évoquant de façon plus ou moins brève ces femmes saintongeaises.

Les femmes, main‑d’œuvre essentielle

Au cours d’un voyage au cœur du «pays des isles de Xaintonge», Claude Masse, ingénieur-géographe de Louis XIV, évoque assez longuement les habitants de la Saintonge. Dans ses Mémoires, rédigés en complément de cartes, Claude Masse insiste particulièrement sur les activités maritimes pratiquées en Saintonge. C’est assez naturellement que l’auteur met l’accent sur le rôle des femmes en expliquant que ces dernières sont «des plus rustiques et robustes de ces pays ici elles font fonction de matelots et font communément les passageux de la rivière de Seudre […] elles vont à la pêche, et conduisent souvent jusqu’à La Rochelle des chaloupes1.» Loin de l’idée que ces femmes ne naviguent pas, Claude Masse met ainsi en évidence leur importance dans l’économie locale. De son côté, François Le Masson du Parc, chargé en 1721 d’une enquête sur les pêches, ne dit pas autre chose. Il insiste cependant davantage sur les activités halieutiques : «Huit chalouppes servant à la pesche du port de deux à trois tonneaux aïant ordinairement pour tout équipage un homme et deux femmes qui font la pesche de la drague aux huîtres, celles des Traversiers ou grandes chausses et des gros aims ou hameçons2

 

document archives manuscrit écriture

François Le Masson du Parc, procès‑verbal de la visite faite dans le ressort de l’Amirauté de Marennes (1721), ADCM 4J.3440.

 

Les deux auteurs évoquent donc la présence des femmes dans les métiers maritimes sans toutefois spécifier leur place exacte au sein de ces professions. Ils font ressortir deux types d’activités : la pêche, qu’elle se pratique à pied ou le long de la côte, et la navigation. Cela représente assez fidèlement la structure de l’économie littorale locale. En effet, en Saintonge, les riverains pratiquent essentiellement des navigations de proximité comme le bornage – navigation de transbordement s’effectuant à proximité du port d’attache. À quoi s’ajoute un cabotage à une échelle assez réduite qui s’inscrit dans un circuit limité au golfe de Gascogne et allant de la Bretagne à Bordeaux. À ces différentes activités halieutiques s’ajoute la pêche à pied qui est principalement pratiquée dans un but de subsistance.

À n’en pas douter, cela s’inscrit dans une logique de pluriactivité. Mais ce qui semble intéressant ici c’est la place que prennent les Saintongeaises dans cette économie. En effet, les femmes font vivre l’économie maritime de façon moins visible que les hommes. Mais elles apparaissent néanmoins comme un élément essentiel de son bon fonctionnement puisqu’elles constituent une main‑d’œuvre qui n’est pas un simple complément.

Il reste toutefois impossible, eu égard aux archives mobilisées, de quantifier précisément le nombre de femmes participant activement à l’économie maritime. Néanmoins, la question de leur place dans la détention du capital des navires locaux et par conséquent de leur présence dans les activités de négoce se pose.

 

As du négoce

En 1686, le Marquis de Seignelay, alors ministre de la Marine, souhaite que l’administration dont il a la charge effectue un dénombrement des navires – y compris les unités les plus modestes – présents sur le littoral français3. Cette enquête offre l’avantage de mettre en lumière les propriétaires de ces bâtiments. Parmi les quatre cent treize bateaux dénombrés dans le département des «costes et Isles de Xaintonge», onze sont la propriété de femmes. Parmi celles-ci, plusieurs cas de figures se présentent. Deux d’entre-elles sont associées à leur fils dans cette aventure comme Jean Thomas «et sa mère» propriétaires du Don de Dieu d’Avalon, jaugeant soixante-dix tonneaux. Élie Psaume associé à sa mère, tous les deux possédant La Suzanne de Brouage de dix-sept tonneaux.

 

La première citadelle de Saint-Martin construite en 1626. Coll. Musée Ernest-Cognacq, Saint-Martin-de-Ré. L’Actualité n° 77 spécial Vauban. Photo Thierry Girard.

 

Au-delà de ces deux cas particuliers, nous noterons que la grande majorité de ces femmes propriétaires de navire sont veuves. En effet, cela concerne huit des onze cas étudiés. Il est ici pertinent de prendre l’exemple de la veuve homonyme d’André Robion, possédante de deux navires : La Magdeleine et La Marie tous les deux attachés au Chasteau d’Oléron et jaugeant respectivement dix-huit et vingt-cinq tonneaux. Elle est donc à la tête d’une petite flottille chargée d’une navigation de transbordement entre les marais salants bordant la Seudre et le mouillage des navires étrangers que sont Marennes, La Tremblade et La Perrotine située au nord de l’île d’Oléron.

Ces quelques exemples montrent assez clairement que les femmes, loin d’être exclues des activités maritimes, se trouvent au cœur d’une politique familiale et patrimoniale, montrant leur implication dans les entreprises maritimes. Cela n’est pas anodin et montre le rôle essentiel que jouent notamment les veuves après le décès de leur époux. Elles assurent alors une mission primordiale dans la transmission des affaires et dans la protection du capital familial, au moins le temps que leur fils puisse prendre la relève ou que l’union de leur fille soit célébrée. Au-delà des clichés et des représentations persistantes, les Saintongeaises ont un lien fort avec la mer et font partie intégrante de l’économie littorale.

 

Marie Cloutour est doctorante en histoire contemporaine à l’université de Poitier (dir. Thierry Sauzeau). Elle étudie les relations entre l’Homme et la mer dans le «pays des Isles de Xaintonge» à la fin du xviie siècle.

 

1. Bibliothèque Municipale de La Rochelle, m 31, Mémoire Géographique de Claude Masse, sur partie du Bas Poitou Pais d’Aunis et Saintonge copie du XVIIIe s par le père Jaillot In 4°, Tome 1, p.41
2. ADCM., 4J.3440, François Le Masson du Parc, Procès-verbal de la visite faite dans le ressort de l’Amirauté de Marennes (1721), p.20.
3. Archives de la Chambre de Commerce de Dunkerque, Série B.19, n° 2787, Rolle général des bastimens de mer employez au commerce (1686).

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