L’art de l’émail

Châsse avec une représentation du massacre des Innocents, v. 1270, musée des Beaux-Arts de Limoges.

La période des recherches et des innovations

Au xve siècle à Limoges apparaît une nouveauté : l’émail peint. Très vite, comme l’émail champlevé en son temps, il devient monopole exclusif des ateliers du Limousin.

La technique de l’émail peint est relativement plus simple que celle de champlevé ou émail cloisonné. Elle consiste à couvrir une plaque de métal, avec du fondant des deux côtés et à lui faire subir une première cuisson. On ajoute ensuite plusieurs couches d’émail réduit en une poudre impalpable que l’on dépose à la spatule et qui est fondue entre chaque couche, ce qui permet de le fixer. Sur cette surface, l’artiste corrige ou ajoute ensuite certains détails au pinceau, avec des couleurs vitrifiables. Ceci permet une plus grande souplesse et une richesse de décorations possible.

La technique de la grisaille au blanc de Limoges dérivée de l’émail peint, est inventée un peu plus tard. Elle était idéale pour réaliser notamment les copies de gravures, très en vogue à l’époque. Sur une plaque recouverte en émail noir ou bleu cuite, on applique en couches plus ou moins épaisses un émail blanc appelée «blanc de Limoges», afin de jouer sur sa transparence. À partir de ces deux teintes d’émail, on crée des effets de clair-obscur qui conviennent parfaitement à l’art du portrait.

Pierre Reymond, La Toison d’or, 1567, musée des Beaux-Arts de Limoges.

La grisaille nécessite un nombre de cuissons nettement moindre, ce qui facilite grandement le travail des artisans. La simplification de la technique et le choix de divers sujets ont considérablement élargi les possibilités artistiques des émailleurs. La grisaille a fait la réputation des émailleurs virtuoses de Limoges au xvie siècle.

Le monde de l’émail à cette époque est sous l’influence des traditions de la Renaissance, ce qui entraîne aussi des changements dans la création des artisans de Limoges. La réalisation d’objets d’église se fait plus rare et uniquement sur commande. On donne la préférence à la décoration de la vaisselle et d’autres accessoires d’intérieur. L’ornement, où les maîtres de Limoges ont atteint une perfection exceptionnelle, y joue un rôle important.

Grâce à ces différents procédés, l’émail s’émancipe de l’orfèvrerie. Les émailleurs deviennent des artistes indépendants qui produisent et signent leurs œuvres dans leurs ateliers. Ils se plient au goût de l’époque pour les objets de luxe. Ils sont employés par de riches commanditaires, plus spécifiquement par l’entourage royal.

La vaisselle ornée d’émail était très populaire. La fin du xviiie siècle voit le développement de la porcelaine encouragé par la découverte de gisements de kaolin à Saint-Yrieix qui ouvre de nouvelles perspectives professionnelles aux artistes de la région. C’est aussi à ses belles réalisations  que Limoges doit sa popularité.

La tradition de l’émail se perd au profit de la porcelaine. La facilité d’application et le rendu de la peinture sur la fine porcelaine attisent l’intérêt des peintres et de leurs clients. Les émailleurs ont toujours souffert des difficultés de mise en œuvre à chaque étape de production et ne peuvent rivaliser avec l’art de la peinture sur porcelaine.

L’Art déco

Dès la seconde moitié du xixe siècle, on assiste à une renaissance de l’art de l’émail. De nombreux ateliers fonctionnent à nouveau à Limoges. Au xxe siècle, les émailleurs aspirent à un retour aux sources de l’art de l’émail et à une fidèle reproduction des œuvres anciennes. Cette tentative est cependant vite délaissée pour une exploration des nouvelles façons de travailler induites par l’époque. Les émailleurs commencent à participer activement au mouvement artistique de l’Art déco et y trouvent aisément leur place. L’émail Art déco se développe en particulier grâce à l’atelier de Camille Fauré qui, avec sa famille, alimente le marché local et exporte eux jusque dans les années 1980. À l’exposition internationale des arts décoratifs de 1925 à Paris, les émaux de Limoges sont largement exposés dans des galeries et des salons. Le succès remporté favorise un nouvel essor de la production d’émail tout au long du siècle.

En 1937, afin de contrer les faussaires et autres plagiaires, les émailleurs de Limoges créent le Syndicat des émailleurs limousins en éditant une charte qui garantit l’origine et la qualité des œuvres. Une école nationale des arts décoratifs voit le jour à Limoges, incluant l’émail en tant que discipline. Ceci nous montre l’intérêt porté au xxe siècle pour l’art de l’émail et sa production à Limoges.

Vase de Henriette Marty, v. 1925, musée des Beaux-Arts de Limoges.

En 1971, un événement très important est organisé à Limoges – la Biennale internationale dirigée par Georges Magadoux qui est secondé par quatre autres émailleurs. Cet événement a permis de réunir des artistes venus du monde entier pour présenter des techniques nouvelles et originales. Ceci a dans un premier temps fortement perturbé le milieu limousin de l’émail, et provoqué un mouvement de retrait des émailleurs vers une production diversifiée et plus individualisée, afin de la faire entrer dans la modernité. La décennie 1980 a été déterminante, comme un choc qui aurait réveillé et fait sortir d’une tradition classique répétitive pour ouvrir à un domaine plus contemporain dans l’inspiration comme dans les techniques.

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