L’art de l’émail

Châsse avec une représentation du massacre des Innocents, v. 1270, musée des Beaux-Arts de Limoges.

Par Tamari Sitchinava

Dans l’Antiquité l’orfèvrerie occupait une place exceptionnelle dans la production artistique. Elle était en effet d’une importance capitale dans la vie quotidienne comme dans la vie religieuse.

Pour l’ornementation des bijoux rituels, on utilisait des pierres précieuses et semi-précieuses. La nécessité d’allier variété de couleurs et commodité de production a mené les artistes ou artisans à imaginer une nouvelle technique : l’émail. Le mot «émail» vient de l’ancien français «esmalt», lui-même dérivé du bas latin smaltum : la fusion, opération dont est issu l’émail, qui est une substance poudreuse, vitrifiable au feu, obtenue à partir de verre finement écrasé et pilé. Les couleurs s’obtiennent au moyen d’oxydes métalliques (cobalt, cuivre, chrome, parfois oxyde d’étain…). L’émail peut être posé sur des métaux ou des alliages (or, argent, cuivre, bronze, fer…).

Cette technique fut utilisée dans les grandes civilisations disparues. La technologie de l’émail est aussi vieille que le monde. Il semblerait que les Égyptiens, les Grecs, les Étrusques et même les Gaulois aient eu connaissance des secrets de l’émaillerie. Les Éduens en ont laissé la trace avant l’arrivée des Romains sur l’oppidum du Mont Beuvray.

Saint Éloi, le patron des orfèvres est gallo-romain. Il est né à Chaptelat, près de Limoges, vers 588. Il étudie l’orfèvrerie à Limoges auprès d’Abbon, un orfèvre réputé. Arrivé à Paris, il est présenté au roi Clotaire II qui lui commande un siège d’or. En artiste consciencieux, Éloi fabrique deux trônes avec la matière fournie. Admiratif de sa probité, le roi en fait son conseiller intime et lui confère la double charge d’orfèvre et de graveur de monnaie. Élu évêque de Noyon en 641, il fonde près de Limoges en 631 le monastère de Solignac, qui se peuple rapidement d’ouvriers habiles, créateurs de magnifiques orfèvreries religieuses. André du Saussay (évêque de Toul de 1655 à 1675) affirme en 1651 avoir examiné et authentifié un calice en émail réalisé par saint Éloi. Il a été détruit durant la Révolution française mais il nous en reste deux précieuses descriptions.

On sait avec certitude que depuis le xie siècle les religieux s’adonnaient aux travaux des métaux précieux car dans les monastères bénédictins, on repère l’emplacement des ateliers d’orfèvres et de verriers, indiqués sur le plan au même titre que le réfectoire, le dortoir ou le cloître. Ainsi, l’anneau pastoral de Géraud, évêque de Limoges mort à Charroux dans la Vienne en 1020 et enterré sur place, a été retrouvé dans son tombeau en 1850. «Il est d’or massif, formé de quatre feuilles trilobées, sur lesquelles courent de légers filets d’émail bleue», écrit l’abbé Texier.

Limoges était alors connue depuis plusieurs décennies pour ses ateliers d’émail artistique. Ils se singularisaient par leur créativité et leurs techniques novatrices. Cette production a connu des périodes florissantes et d’autres moins productives, par exemple la Guerre de Cents ans.

Champlevé-Œuvre de Limoges

Sous le règne de Louis VII dit le Jeune, au xie siècle, la vogue des émaux s’étend jusqu’en Sicile et même en Chine. Dès la fin du xiie siècle les émaux limousins, très colorés et de haute qualité appelés «œuvre de Limoges», sont massivement exportés à l’échelle mondiale. Les émailleurs de Limoges ont contribué à faire rayonner l’art français à l’étranger.

Dans l’art d’émail limousin, on distingue deux grandes catégories : les émaux incrustés et les émaux peints. Parmi les émaux incrustés, le champlevé était la technique de prédilection au xiie siècle. Elle a trouvé par la suite un grand épanouissement dans le monde chrétien occidental. Cette technique d’émaillage du Moyen Âge est assez laborieuse : dans l’épaisseur du métal, à l’aide de burins et d’échoppes, sont creusées des cavités, qui sont ensuite remplies avec de la poudre humide de verre coloré, puis cuites au four à plusieurs reprises et enfin polies et nettoyées pour obtenir une pièce lisse qui peut être par la suite recouverte d’or ou d’argent.

Le xiie siècle est considéré comme l’âge d’or de l’émail limousin, qui se caractérise par un extrême raffinement esthétique et une pluralité d’usages surtout pour les objets liturgiques (croix, encensoirs, chasses, sorte de sarcophage miniature dédié aux reliques des saints), mais aussi profanes (bijoux, décorations…). Vers le xive siècle la technique des émaux champlevés disparait en Limousin mais l’émail renaîtra plus tard avec d’autres techniques.

L. Limosin, Pietà, v. 1565, musée des Beaux-Arts de Limoges.

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