Hubert-Sauzeau – Des œuvres réalistes restaurées…

Les Vendéens demandent à Cathelineau de prendre la tête de l'insurrection ou Les gars du Pin en Mauges, 1900. Collection Musée Bernard d'Agesci - Niort Agglo.

Une centaine d’œuvres repérées, une trentaine d’années de Salon, des grands formats aux carnets de dessins, le musée Bernard d’Agesci à Niort fait renaître l’œuvre de l’artiste-peintre Jules-Gabriel Hubert-Sauzeau (1856–1927).

Par Héloïse Morel

Conservée depuis de nombreuses décennies dans les réserves du musée, l’œuvre d’Hubert-Sauzeau n’avait jamais fait l’objet d’une exposition de cette envergure. « Lorsque je suis arrivée à Niort, je ne me suis pas forcément attardée sur les œuvres de cet artiste, raconte Laurence Lamy, conservatrice et directrice des musées de Niort Agglo. Je n’avais pas vraiment perçu ses qualités picturales puisque les œuvres, en notre possession, étaient essentiellement des études de fonds d’atelier. Le hasard a voulu qu’en 2017, Guy Brangier, un professeur d’histoire de Prahecq – la ville natale d’Hubert-Sauzeau – est venu nous voir pour organiser une manifestation sur l’artiste. Nous avons présenté un accrochage (mini- exposition) dès 2017 et malgré le mauvais état sanitaire des œuvres, j’ai commencé à apporter un autre regard sur son travail. »

Au décès d’Hubert-Sauzeau, en 1927, il lègue dix œuvres au musée puis en 1983, c’est au tour de Renée Ferret, sa nièce héritière, d’en donner 38 lors de la vente de la maison familiale située au 57 rue Paul-François-Proust à Niort, à deux pas du musée. En 2018, l’affaire se poursuit avec François et Mireille Saint-Martin, qui avaient acquis la maison et la vendent à leur tour en donnant une cinquantaine d’œuvres ou d’objets restants.

Par ailleurs, Hubert-Sauzeau ne souhaitait pas assurer une postérité à son œuvre.

« Dans la nécrologie du Mémorial des Deux-Sèvres publiée en avril 1927, une phrase résonne depuis le début de nos recherches… [les œuvres], croyons-nous savoir également, doivent échapper aux enchères dans l’avenir, car elles sont vouées à la destruction. »

La plupart des tableaux étaient conservés chez lui ou des proches, il vendait peu – y compris les œuvres qui remportaient un prix lors des Salons – et nous n’avons pas connaissance de commande publique. « Les raisons sont diverses. Hubert-Sauzeau venait d’une famille de la bourgeoisie aisée. Il n’a jamais travaillé. On pense également que le décès de son fils unique lors de la Première Guerre mondiale en 1917 ne l’a pas encouragé à faire vivre son œuvre. Enfin, il nous a été rapporté que certains tableaux auraient été détruits par sa nièce, Renée Ferret, particulièrement ceux qui représentaient des femmes nues. »

Homme à la lecture dans le quartier latin, huile sur toile, 1885
Collection Musée Bernard d’Agesci – Niort Agglo.

La décision d’organiser cette exposition se parachève en 2018–2019 après l’acquisition en vente aux enchères à Rouen d’un tableau de 1885 d’Hubert-Sauzeau représentant un jeune homme derrière un bureau, lisant, avec comme décor, une vue parisienne. « Quand on voit ce tableau, nous sommes dans une atmosphère artistique à la manière de Gustave Caillebotte (1848–1894) ; une belle qualité picturale pour cette œuvre qu’il a réalisé à 29 ans. »

S’ensuit à cette acquisition, trois années de restauration des œuvres conservées depuis 1927. Au total, ce sont 76 œuvres restaurées, certaines avec des lacunes importantes, des moisissures, des traces de dégâts des eaux conséquentes…

Élève de Bouguereau

L’exposition présente également des carnets comportant 238 dessins et croquis, ainsi que des notes, des correspondances… La première œuvre présentée date de 1881 et la dernière est un portrait de 1926 représentant Ernest Marcard, industriel niortais de la chaussure. Les salles de l’exposition vont des portraits des proches : son fils enfant et puis soldat jamais revenu, sa femme Hélène, sa belle-mère, des cousins, des voisins… Ce qui explique que certaines œuvres étaient conservées dans des maisons aux alentours du musée. « Nous avons réalisé un travail de recherche important pour identifier les personnes représentées dans les portraits. » La première salle propose de découvrir ces portraits ainsi que l’environnement de l’artiste. Notamment son parcours, son entourage : lycée Fontanes à Niort avec deux baccalauréats successifs, littéraire en 1873 et scientifique en 1874, puis un diplôme à l’école centrale des arts et manufactures à Paris en 1879. Renonçant à être ingénieur, il parachève sa formation de peintre, aux côtés de William Bouguereau et Jean-Paul Laurens, à l’Académie Julian. « Parmi ses proches, nous croisons, entre autres, dans la correspondance ou son environnement Henri Matisse, François Pompon, Charles Milcendeau, André Brouillet et Georges Lasseron (architecte de l’ancien lycée de jeunes filles, actuel musée Bernard d’Agesci)… » L’exposition permet à travers les différentes salles : les femmes, peindre les campagnes, la représentation du réel, l’atelier d’artiste… de prendre la mesure de son œuvre. Sont présentées des études, des croquis et des œuvres.

Portrait d’Ernest Marcard, huile sur toile, 1926
Collection Musée Bernard d’Agesci – Niort Agglo.

« Hubert-Sauzeau a peint et exposé les femmes : des robes amples qui recouvrent des corps corsetés d’une rassurante féminité à la nudité voluptueuse. Dans un xixe siècle réputé prude, les nudités envahissent l’art officiel, néoclassique et académique. Le regard se porte sur les corps de femmes : les épaules et les gorges se dénudent. Hubert-Sauzeau révèle, par une palette naturaliste, une intimité avec des instants cachés, sublimés voire fantasmés. À noter le tableau November qui a obtenu un prix en 1903 à Munich. »

Certaines œuvres présentent des fonds unis laissant entrapercevoir la notion d’abstraction. « Hubert-Sauzeau n’est pas un avant-gardiste ; il s’inscrit dans le mouvement du réalisme. »

Femme au chien ou Novembre, huile sur toile, vers 1900
Collection Musée Bernard d’Agesci – Niort Agglo

Éléments d’histoires

Ce peintre du réel renseigne sur l’époque. Dans la salle sur les campagnes se trouve l’un des tableaux les plus célèbres – pour cet artiste inconnu… – Les Vendéens demandent à Cathelineau de prendre la tête de l’insurrection (1900). Propriété du musée de Niort, il est en dépôt à l’Historial de la Vendée où il retournera à l’issue de l’exposition. « Nous recevons régulièrement des demandes de reproduction de ce tableau car il s’agit probablement d’un des rares artistes qui a donné une représentation proche de la réalité dans les costumes des Vendéens qui sont souvent confondus avec ceux des Chouans bretons. » Hubert-Sauzeau aborde les Récoltes en Poitou (1897) ou la Halte du soldat (accueilli par la Gouvernante des Sauzeau) jusqu’à Une Chaude après-midi de la bourgeoisie dans un salon où Madame joue du piano… « Dans le tableau, Mauvaise nouvelle, l’école de Jules Ferry permet à cette jeune fille de faire lecture d’une lettre… La construction est intéressante dans ce triangle avec différentes générations : le grand-père, le père et la jeune fille avec en arrière-plan une fenêtre ouverte vers l’extérieur où l’horizon apporte la lumière. Une mère, dans la douleur, pleure à l’ombre, du vaisselier. Cette œuvre documentaire est intéressante sur un plan ethnographique. »

Cet examen de la vie sociale se poursuit avec un très grand format que l’on découvre dans la dernière salle, Les lutteurs ou La lutte foraine (1898) qui se déroule à Niort, place de la Brèche. Il s’agit de la foire avec un divertissement où les catcheurs interpellent le public pour un défi. « Au second plan, les personnages du public apporte une lecture ethnographique et sociologique de la population représentée dans sa diversité: les militaires, les ouvriers, les dames de la bourgeoisie, le canotier, le béret… » Pour ce tableau, sont présentées les différentes étapes de réalisation, du dessin aux études préparatoires.

Enfin, un dernier grand format a donné du fil à retordre à Laurence Lamy… « Ce tableau était mentionné dans le legs de 1927 sous le nom de Moulin de Bégrolle ; il était manquant lors du récolement en 2015. Nous l’avons retrouvé parmi les œuvres pliées, sans châssis, dans un mauvais état sanitaire. Lors de la restauration, j’ai sollicité des kayakistes de Niort pour nous aider à retrouver le lieu de cette scène ; nous avons été aidés par un journaliste niortais qui, par son article, nous a permis d’être contacté par des habitants qui ont localisé la scène à proximité du Moulin. » Il subsistait un mystère … dans le cadre des Salons, l’œuvre s’intitulait Au secours ! Il a fallu attendre la restauration pour découvrir les détails de l’iconographie et apercevoir la réalité de la scène : une femme appelle sur la berge et montre des ronds d’eau … une probable noyade.

Cette rétrospective permet de découvrir une variété de regards d’un naturaliste sur son entourage, la nature environnant Niort et particulièrement des ébauches d’études d’un artiste au travail.

Plusieurs conférences sont prévues dans le cadre de l’exposition Hubert-Sauzeau dévoilé… in vivo, dont l’une au Vanneau-Irleau le vendredi 24 mars à 18 h 30, à la mairie.

L’exposition est visible jusqu’au 17 septembre 2023, du mardi au dimanche au Musée Bernard d’Agesci à Niort. Pour toute information : 05 49 78 72 00

A propos de Héloïse Morel
Rédactrice à L'Actualité Nouvelle-Aquitaine. Coordinatrice du pôle Sciences et société, histoire des sciences de l'Espace Mendès France.

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