Traversées o salto

Portugais arrivés en France. Photo DR.

Par Héloïse Morel

Entre les années 1960 et 1970, ils auraient été 500 000 à franchir les frontières du Portugal pour se rendre en France. Rosa Arburua Goienexte, professeure adjointe en philosophie et sciences de l’éducation à l’université du Pays basque de Saint-Sébastien, a recueilli les témoignages de ces passages.

Peuple de voyageurs, le Portugal a connu une augmentation des passages de frontières durant la dictature de Antonio de Oliveira Salazar qui débute en 1933 et s’achève avec sa mort en 1970. Le pic de cette vague d’émigration a lieu entre 1956 jusqu’à la révolution des œillets en 1974. Les Portugais fuient la misère économique pour venir trouver du travail en France mais également la guerre entreprise par Salazar dans les provinces portugais d’Afrique : la Guinée, l’Angola et le Mozambique. Ils sont plusieurs milliers à passer de manière clandestine, deux frontières, celle avec l’Espagne et celle avec la France. Ce qui retient l’attention de Rosa Arburua Goienexte, c’est le parcours de ces voyageurs à partir d’entretiens menés avec des personnes proches de la contrebande qui se met en place au Pays basque. O Salto, le grand saut, celui pour lequel les hommes – majoritaires – et les femmes payent pour traverser avec des personnes de la contrebande. Pour celles et ceux qui n’ont pas d’argent, c’est à pied, à ses risques et périls… Dans les nombreux entretiens menés par Rosa Arburua Goienexte, l’histoire de la photographie coupée revient régulièrement. Encarna, fille du passeur Antonio, raconte que les émigrés devaient apporter une photographie d’identité qui était alors coupée en morceau, l’un d’eux restait avec la grande partie de la somme au village – chez une personne de confiance – un autre morceau était chez le passeur avec une partie de la somme et le troisième était donné au «Français» qui revenait avec, une fois le passage effectué. «Mon père partait pour le Portugal avec ces deux morceaux, et il recevait l’argent avec le troisième bout de photo…»

Otilia, l’une des femmes passeuses accompagnée de deux clients à Donostia-San Sebastian. Elle est un personnage récurrent dans les témoignages recueillis par Rosa Arburua Goienexte.

En talons dans les montagnes

Si Rosa Arburua Goienexte a réalisé ce travail de recueil de la parole, c’est pour lever le tabou sur cette contrebande. Née en Espagne, elle a toujours entendu parler de la contrebande, celle des objets (roulements à bille, collants, parfums…) et des denrées (café, sucre, cigarette…). «Je savais qu’il y avait eu des passages clandestins, mais pas autant de passeurs. Personne n’en parlait. D’ailleurs, beaucoup de femmes participaient. Les passeurs et passeuses accompagnaient les Portugais, en voiture, à pied ou par le train, par les montagnes, jusqu’à des gares, des hôtels… C’était des voyages très longs sur des chemins difficiles. Ils souffraient et beaucoup n’étaient pas préparés. Certaines femmes étaient parties avec les meilleurs souliers qu’elles avaient, ceux du dimanche avec des talons.» Les chemins sont multiples : Pampelune-Bidassoa ; Saint-Sébastien-Etxalar… Ces mouvements, on le découvre à travers les récits de vie, ont marqué, au-delà des passages de paysages, les fonctionnements de familles et des villages entiers, où l’argent se lit à l’entraide, mais aussi aux risques d’emprisonnement ou de mort pour assurer une vie nouvelle, plus prospère dans une France demandeuse de ces clandestins arrivant massivement.

Le passage clandestin des Portugais par la frontière du Pays basque de Rosa Arburua Goienexte, éditions Quatorze, 2017.

A propos de Héloïse Morel
Rédactrice à L'Actualité Nouvelle-Aquitaine. Coordinatrice du pôle Sciences et société, histoire des sciences de l'Espace Mendès France.

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