Gilles Clément — À l’école du jardin planétaire

Gilles Clément dans son jardin à la Vallée, dans la Creuse. Photo Marc Deneyer

De bonnes pratiques pour la reconnaissance individuelle et collective de la biodiversité.

Entretien Dominique Truco
L’Actualité Poitou-Charentes n° 106 octobre 2014

«Le jardin ne s’enseigne pas, il est l’enseignant, affirme Gilles Clément. Je tiens ce que je sais du temps passé à la pratique et à l’observation du jardin. J’y ajoute les voyages, c’est-à-dire la mise en comparaison des lieux que l’homme habite et dans lesquels il construit à chaque fois un rapport au monde, une cosmologie, un jardin. […] Ces pratiques de terrain auxquelles je dois tout s’appuient néanmoins sur un alphabet du savoir, ce à quoi chacun de nous devrait avoir accès et que, précisément, on appelle des cours, nécessaires pour accéder à l’expérience.» [Conférence inaugurale Jardin, paysage, et génie naturel au Collège de France le 1er décembre 2011.]
Pratiques qui, rappelons-le, ont été pour une grande part élaborées dans son territoire expérimental situé dans la Creuse, à la Vallée près de Crozant.
C’est cet alphabet pour la reconnaissance individuelle et collective de la biodiversité, notre bien commun, que transmet l’école du jardin planétaire conçue par Gilles Clément dont des antennes ont vu le jour à Viry-Châtillon, à Saint-Pierre de la Réunion et prochainement – peut-être – à Nantes.
Une école à ciel ouvert et alternative qui s’appuie sur une diversité d’individus, de groupes ressources, de partenaires techniques, scientifiques, culturels locaux pour transmettre, éveiller les consciences et cultiver collectivement le vivant en milieu urbain.

Gilles Clément – Design Pascal Colrat 2015.

L’Actualité. – Que découvre-t-on à l’école du jardin planétaire et qui la fréquente ?
Gilles Clément. – L’école du jardin planétaire c’est la reconnaissance de la biodiversité en ville, simplement pour faire comprendre aux gens, petits ou grands, sans leur imposer, que ces «plantes» ont un nom, que ce sont des êtres vivants. Seul ce qui a un nom existe. Ce qui n’a pas de nom n’existe pas et peut donc bien disparaître tant dans l’esprit de nos concitoyens que concrètement. Nommer c’est donner une intelligibilité. Devenir intelligent, c’est découvrir l’endroit où on habite. Cette école est donc celle du partage des savoirs, pour faire comprendre à chacun son rôle dans l’écosystème. Elle vient combler un enseignement qui n’existe plus dans le système scolaire : les sciences naturelles – supplantées par la microbiologie et la génétique. On n’apprend plus à quoi sert la plante. À quel animal est-elle liée ? Quelle est son histoire avec les hommes ? À quoi pourrait-elle servir dans une économie nouvelle ? Nulle réponse dans les structures classiques d’enseignement.

Que nous reste-t-il à découvrir ?
Ce qui nous reste à découvrir est énorme ! Cela s’appelle le génie naturel, dont on ignore tout. Pour le découvrir nous avons besoin des scientifiques. Nous devons découvrir comment les plantes communiquent entre elles. Comment, pendant des millions d’années, elles ont mis au point les techniques qui leur permettent de vivre. Pour l’instant on découvre tout juste que ça existe et la vulgarisation discrète de ce savoir se fait grâce notamment à des scientifiques tel que Bruno Moulia, directeur de recherche à l’INRA [Unité Mixte Physique et Physiologique intégrative de l’arbre à Clermont-Ferrand]. Ce chercheur découvre des choses vraiment extraordinaires : que les plantes communiquent entres elles, qu’elles sont sensibles à la gravité, aux sons, qu’elles perçoivent leur environnement au sens où nous l’entendons pour les animaux, etc.

Comment est née votre école du jardin planétaire ?
Il y a un peu plus d’une dizaine d’années, j’avais proposé à Grenoble une école de la reconnaissance de la diversité en ville. C’était suite à deux ans de travail avec la direction des espaces verts de la ville pour essayer de développer la gestion différenciée, de valoriser la diversité, la gestion harmonieuse de la nature en ville, donc la qualité de vie. [su_quote]Nous nous sommes trouvés alors confrontés presque systématiquement à l’incompréhension des habitants qui n’ont pas aimé voir arriver des herbes entre les pavés des endroits où ils passaient – «d’habitude parfaitement propres» comme ils disaient – parce que, bien sûr, avant tout était traité avec les poisons ![/su_quote] Face à cette incompréhension des habitants, j’ai pensé qu’il y avait une pédagogie à faire. Et la première a été immédiatement engagée par les jardiniers eux-mêmes, avant que je ne sois sollicité par la ville. Ils se sont emparés du message à transmettre. Cela n’a pas suffi. C’est pourquoi j’ai proposé à la ville de Grenoble une école de la reconnaissance de la diversité en ville. De façon à ce que les gens qui ne comprennent pas la diversité du monde vivant accèdent à cette connaissance, donc à cette compréhension et qu’ils acceptent la diversité sans décider de ce qu’est ou non une mauvaise herbe. Cette école nourrit une prise de conscience. Ma proposition, qui avait suscité beaucoup d’enthousiasme, fut sans suite. Il y eut entretemps des échéances électorales…
Quelques années plus tard, en 2009, la ville de Viry-Châtillon, partant de l’idée du Tiers-Paysage, me sollicite pour étudier les «délaissés». J’ai associé le collectif CoLoCo à cette étude. Invité par la communauté d’agglomération Les Lacs de l’Essonne à Viry-Châtillon à donner une conférence de formation à 130 agents intercommunaux sur le bien fondé des changements de pratiques, j’évoque aussi le projet d’école de la reconnaissance de la diversité en ville. Gabriel Amar, le président, était là. Aussitôt, il me dit : «Moi, je prends !»  Il a souhaité que cette «école» s’appelle : école du jardin planétaire.

Gilles Clément à la Vallée. Photo Marc Deneyer.

Où est-elle et quelle forme prend-elle ?
Cette première antenne a été inaugurée à Viry-Châtillon en avril 2012. Elle s’appuie sur un parc abandonné qui a été repris par les jardiniers pour en faire une partie très gérée, une autre moyennement gérée, une autre pas du tout. Exactement ce que je propose lorsque que nous prenons les délaissés en études à la demande des commanditaires. Ce parc est une sorte d’emblème.
À partir de là et avec des gens concernés, des enseignants, des spécialistes, des naturalistes, un programme a été établi avec Éric Maison, directeur général des services techniques de l’environnement et des transports communauté d’agglomération, et Julie Sannier, écologue chargée de mission biodiversité. Ils organisent des programmes annuels très ouverts de visites naturalistes de terrain, de conférences, d’ateliers et d’études thématiques presque comme dans une école de paysage. Sont conviés des chercheurs du CNRS, du Muséum national d’histoire naturelle, des associations de protection de la nature.
Un livre intitulé Biodiversité, une approche urbaine multiforme, guide pour l’action par l’exemple (éditions Bruno Leprince), vise à favoriser la naissance de projets similaires.

Donc votre école va faire école ?
Depuis février 2014, une nouvelle école du jardin planétaire vient de naître dans l’île de la Réunion chapeautée par l’école d’architecture à l’initiative de Sébastien Clément, jeune paysagiste et enseignant à l’école d’architecture, qui avait découvert l’école de Viry-Châtillon.
La Réunion est absolument parfaite pour cela. C’est une sorte de microplanète parce qu’elle a les superpositions de biomes avec des zones climatiques différentes entre le niveau de la mer et des sommets à 3 000 m comme les pitons des Neiges et de la Fournaise. Cette île a des conditions climatiques très intéressantes sur la fabrication des nuages holographiques ou des nuages de cirque. Un bâtiment vient d’y être créé pour l’observation du ciel en condition non nuageuse comme il y en a très peu dans le monde. La Réunion est un merveilleux site d’observation et de compréhension de la planète alors que c’est tout petit ! On y observe aussi une richesse végétale avec des plantes australiennes qui remontent jusqu’en Europe, en passant par l’Amérique, l’Afrique du Sud. Il y a aussi un côtoiement culturel fort avec des gens venus d’Inde, d’Afrique, d’Asie, de Madagascar, d’Europe qui est vraiment très intéressant.
On peut aussi y observer les dégâts écologiques provoqués par les industries brutales de culture de la canne à sucre, de géranium rosat et le développement intempestif de certaines espèces importées sans précaution comme la vigne maronne, une ronce expansive…
La troisième antenne de l’école va peut-être éclore à Nantes, en lien avec l’étude du parcours de la biodiversité des Oblates au quai Marquis d’Aiguillon, butte Sainte-Anne sur laquelle j’ai produit une étude à la demande de la ville. Mais il faut dire que Nantes est avancée dans ce domaine et que, sans le formuler, à travers ses multiples interventions et animations de l’espace public, elle s’engage d’ores et déjà sur la voie d’une gestion intelligente du jardin planétaire.

Qui sont les enseignants de cette école du jardin planétaire ?
Je ne les connais pas personnellement. C’est une diversité de personnes, des chercheurs du CNRS ou du Muséum mais aussi des habitants, des bénévoles avertis qui connaissent très bien le terrain. [su_quote]Je suis très content que tout cela soit repris et simultanément tout cela m’échappe et je suis très heureux de n’avoir pas à m’en occuper. Il y a une diversité d’approche pour arriver à faire comprendre des choses. [/su_quote]Par exemple, à Viry-Châtillon, une belle pièce de théâtre a été faite pour les enfants, Le dindon et le dodo, jouée à Paris. À l’origine, c’était une conférence que j’avais préparée au théâtre de Montreuil pour faire comprendre le jardin planétaire à des tout petits. Comment le dindon remplace le dodo à l’île Maurice pour venir au secours du tambalacoque, un arbre endémique majestueux dont les graines ont besoin de passer dans le tube digestif d’un oiseau pour pouvoir germer mais qui sont beaucoup trop grosses pour être digérées par n’importe quel oiseau. Le dodo a été décimé au xviie siècle et le tambalacoque est en voie de disparition alors qu’on connaît la place majeure qu’il occupe dans son écosystème…

Vous êtes également à l’origine de l’université rurale du paysage en Creuse.
L’université rurale du paysage en Creuse a pour objectif de toucher la population d’exploitants agricoles. Ce qui est extrêmement difficile parce qu’ils sont bloqués dans un système qui les dépassent et les rend malheureux. Timidement quelques-uns se sont approchés. Un programme très élaboré de visites par des naturalistes, des historiens du paysage, des scientifiques, des gens des CPIE et de la LPO. Moi j’ai refait le cycle complet des dix cours au Collège de France devant des petites audiences de 90 personnes. Ce cycle est désormais achevé et il semble qu’après trois années de fonctionnement cette université rurale ait cessé de s’intéresser aux questions qui lient l’écologie, le paysage, l’agriculture et l’élevage. Sans doute le Collectif du Chaumet, en Auvergne, aura-t-il la possibilité de reprendre le flambeau. C’est à ce collectif que l’on doit la seconde édition augmentée du Manifeste du Tiers-Paysage.

L’école du jardin planétaire serait-elle une résurgence nomade et vivante de votre exposition Le jardin planétaire à la grande halle de la Villette en 2000 ?
Le jardin planétaire a frappé les esprits en tant qu’exposition au moment où elle a eu lieu. Puis cette notion est tombée dans le silence pendant dix ans. Le jardin planétaire c’est la Terre regardée comme jardin, c’est une manière de considérer l’écologie en intégrant l’homme – le jardinier – dans le moindre de ses espaces, «faire le plus possible avec la nature, le moins possible contre» pour faire vivre le jardin, donc le jardinier. Pour parvenir à engager sérieusement une politique de survie de l’humanité sur Terre il faut s’immerger, s’accepter comme être de nature, ne plus se placer au dessus ou au centre, mais dedans et avec. Le jardin planétaire c’est l’école universelle de la vie.

[plusieurs liens Gilles Clément, notamment grand entretien n° 42 octobre 1998]

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