Mitterrand – François raconté par Frédéric

François Mitterrand adolescent, archives familiales.

Par Hélène Bannier

Avec son documentaire et son livre Le pays de l’innocence, enfance et adolescence de François Mitterrand, Frédéric Mitterrand retrace de façon inédite la jeunesse en Charente de l’ancien chef d’État. Une plongée intime dans les archives familiales à Jarnac, Angoulême, mais aussi à Aubeterre et au domaine de Toutvent. 

Lorsqu’on évoque la jeunesse de François Mitterrand en Charente on pense avant tout à Jarnac, la ville où il est né en 1916, où il a passé son enfance et son adolescence et où il a été inhumé en 1996. Aujourd’hui pèlerinage politique où se prend le pouls du Parti socialiste les jours de commémoration. Mais après avoir visionné Le pays de l’innocence, enfance et adolescence de François Mitterrand, c’est une autre terre charentaise qui reste à l’esprit : à la frontière de la Dordogne, Aubeterre et son église monolithe du xiie siècle creusée dans une falaise de craie, où l’emmenait se recueillir sa grand-mère maternelle, Eugénie Lorrain, surnommée «maman Nini». Et à quelques kilomètres d’Aubeterre, le domaine de Toutvent, une vaste propriété d’une centaine d’hectares traversée par la Dronne. Cette terre fut un lieu fondateur pour le jeune François Mitterrand, au point que dans le bureau de son domicile parisien rue de Bièvre, le chef d’État possédait un panneau indiquant la direction de Toutvent. C’est son grand-père «papa Jules» qui avait acheté ce domaine. Fils d’un marchand de bois et charpentes qui avait prospéré et racheté une affaire de vinaigre, Jules Lorrain avait repris le négoce familial. À la tête d’une entreprise florissante, président du syndicat des producteurs de vinaigre et membre du conseil municipal de Jarnac, il était un notable estimé de tous.

Frédéric Mitterrand, Le pays de l’innocence, enfance et adolescence de François Mitterrand, Robert Laffont, pp. 58–59.

Le socle moral

En 1919, Joseph Mitterrand, père de François, fait le choix de démissionner de son poste de chef de la gare d’Angoulême pour travailler à la vinaigrerie avec son beau-père. Il permet ainsi à sa femme Yvonne, dont la santé est fragile, de retourner vivre dans la maison familiale rue Abel Guy à Jarnac. Le couple a alors six enfants. Deux sont encore à naître. Les grands-parents sont au n° 22 avec leur fille aînée, Antoinette, et les deux enfants de celle-ci. La famille de François habite la demeure mitoyenne, au n° 24. Le va-et-vient des dix enfants est incessant entre les deux maisons et la tribu s’élève avec joie et discipline. Frédéric Mitterrand parle pour son oncle d’une «enfance choyée, heureuse, étonnamment libre, à l’abri de solides principes catholiques.» La religion occupe en effet une place centrale dans cette famille bourgeoise et conservatrice. «Il m’a toujours semblé que l’habileté politique de François Mitterrand, que ses adversaires et ses concurrents ont toujours soulignée, pour la redouter ou s’en plaindre, s’appuyait sur un socle moral largement sous-estimé et pourtant très solide, construit durant son enfance et son adolescence grâce à ses parents, à sa famille, à la Charente, ce pays de l’innocence qu’il évoquait souvent, commente son neveu. Ce socle moral […] laissait une grande place à la liberté de pensée, aux préoccupations sociales.»

Papa Jules et Maman Nini, archives familiales.

Le domaine enchanté

Tous les étés pendant les grandes vacances, la famille part à Toutvent, «le domaine enchanté». On met un journée entière à rejoindre la propriété, en tortillard puis en voiture à cheval. Il n’y a ni eau courante ni électricité dans la maison de maître, la vie y est rustique mais peu importe, la liberté y est immense et le contact avec la nature inégalable. On pêche l’anguille et l’écrevisse, on fabrique des radeaux pour s’aventurer sur la Dronne. Les soirs de veillée, le grand-père Jules puise dans le répertoire de Goulebenèze de quoi régaler les enfants d’histoires en patois saintongeais. On dispute des parties d’échec, Jules ayant trouvé en François son meilleur adversaire. Et la nuit, le garçon monte s’enfermer dans le grenier pour plonger dans son Atlas ou son Précis d’histoire sainte, à la lueur d’une lampe pigeon. Rêveur, François se montre aussi parfois espiègle, ce qui fait dire à maman Nini : «Cet enfant ira loin, mais il me rendra folle.» Une relation particulière lie le jeune homme à ses grands-parents, qui le gardaient plus longtemps à Toutvent quand tous les autres enfants rentraient à Jarnac en fin d’été.

En 1929, Joseph Mitterrand prend officiellement la direction de la vinaigrerie à la suite de son beau-père. Soucieux de procéder à un partage de biens équitable entre ses filles, Jules Lorrain cède le domaine de Toutvent et transmet les bénéfices de la vente à Antoinette, la sœur aînée d’Yvonne.

Un drame pour François, alors âgé de 13 ans. «Le premier arrachement.» À plusieurs reprises l’ancien Président a tenté de racheter cette propriété qui a tant compté pour lui. Mais il n’a jamais pu le faire : soit il n’en avait pas les moyens, soit les propriétaires n’étaient pas vendeurs.

L’allée de tilleuls de Toutvent. Photo Marc Deneyer.

Le pensionnat d’Angoulême 

Avec ce documentaire et ce livre écrits à la première personne, à la manière d’un carnet intime qui serait tenu par François Mitterrand lui-même, Frédéric Mitterrand nous plonge dans le quotidien d’une famille, celle de son oncle et par extension la sienne. L’ancien ministre de la Culture a confié avoir été plus proche de sa famille maternelle que de la paternelle. Là, il prend le temps de s’immerger dans son histoire charentaise héritée de son père, Robert, frère aîné de François. Ces deux garçons n’ont qu’un an d’écart, ils se sont ainsi toujours suivis dans leur scolarité, à l’école Sainte-Marie, à la communale républicaine de Jarnac, puis au pensionnat du collège Saint-Paul à Angoulême. Robert aide son petit frère à supporter «le choc de la pension, l’enfermement, l’atmosphère de caserne, la stricte discipline, le froid, les repas dans une gamelle», loin de sa mère et de sa grand-mère, les deux premières femmes de sa vie. Mais contrairement à d’autres pensionnaires, le dimanche les deux adolescents ont la chance d’être reçus par deux dames d’Angoulême qui leur offrent le thé. C’est avec elles qu’ils se rendent pour la première fois au cinéma. À l’écran, La Croisière noire de Léon Poirier, film retraçant l’expédition Citroën en Afrique de 1924 à 1925.

Écouter Tino Rossi au casino de Royan

Après la vente du domaine de Toutvent, place aux voyages. En 1931, François se rend à Paris pour visiter l’Exposition coloniale, puis il est envoyé à Brighton afin de parfaire son anglais. L’été les vacances se déroulent à Royan où l’adolescent sort écouter Tino Rossi au gala du casino et fréquente le club de tennis. Sportif accompli, le jeune Mitterrand (qui a été capitaine de l’équipe de football dans son collège à Angoulême) est un très bon joueur de ping pong, au point que la Fédération de Jarnac l’incite à disputer des matchs de haut niveau. Mais «j’avais toujours l’impression de perdre mon temps quand je ne le consacrais pas à la lecture», fait dire Frédéric à son oncle. Les proches de François Mitterrand gardent en effet de lui l’image d’un jeune homme pouvant passer des heures à lire, debout, absorbé par les romans de Jules Romains, Malraux, Gide, Montherlant…

Puis vient 1934 et le départ pour les études à Paris. Il est inscrit en droit, Robert à Polytechnique. Ils logent au 104 rue de Vaugirard, dans le foyer où avait déjà vécu leur défunt oncle, lui-même baptisé Robert, frère de leur mère Yvonne. Jeune homme brillant, ami de Jean et François Mauriac qui vivaient eux aussi au 104, l’oncle Robert était mort d’une phtisie galopante en 1908 alors qu’il n’avait que 20 ans.

François Mitterrand n’ayant jamais écrit d’ouvrage spécifique sur sa jeunesse charentaise, Frédéric a reconstruit cette histoire familiale à partir des récits de son père et des passages consacrés à la Charente dispersés dans les essais de l’ancien Président. Il a également réuni une grande quantité de photos, films et documents inédits, livrés tout au long des 55 minutes du documentaire.

Celui-ci se termine par les images de François, en uniforme, embrassant Catherine Langeais. La scène se passe à Jarnac en 1940, le jeune homme voulait présenter sa fiancée à son père avant de partir au combat. Après, c’est une autre histoire…

Frédéric Mitterrand, Le pays de l’innocence, enfance et adolescence de François Mitterrand, Robert Laffont, (144 p., 19 €).

Le pays de l’innocence, enfance et adolescence de François Mitterrand est une coproduction LCP Assemblée Nationale / SK Médias mais également un livre édité chez Robert Laffont (144 p., 19 €).

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