Étudier les écosystèmes différemment

Schéma général du Labex Cote. Dessin de Louise Plantin.

Par Yoann Frontout

Comment avoir une vision globale des changements que connaissent nos écosystèmes alors que la science est aujourd’hui segmentée en une multitude de disciplines et, les chercheurs, ultra-spécialisés ? Face à cette épineuse question, des initiatives comme celle du Laboratoire d’excellence (Labex) Cote voient le jour. Le 9 janvier dernier se tenait, à Bordeaux, le Grand colloque final de ce Labex. Point d’orgue de dix années de recherche, était présenté une partie des projets menés en parlant tant des forêts que des rivières, lacs, bassins, océans, champs, vignes, villes ! À la question des pesticides répondait celle de la sécheresse, à l’observation de communautés microbiennes celle d’algues invasives, à la description de générations d’arbres, celle de populations d’huîtres… C’est que, au Labex Cote, ce sont des scientifiques de tous horizons qui se sont rassemblés autour de problématiques communes. 9 laboratoires de recherche, 750 personnes environ dont plus de 300 chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs de recherche ont expérimenté, ensemble, un modèle d’ouverture et de coopération de la recherche, ouvrant des pistes pour son avenir et notre futur.

Un laboratoire qui n’en est pas un

«C’est une agrégation d’envies, de projets et de questions de recherche émanant de différentes communautés scientifiques qui a donné naissance au Labex» explique Hélène Budzinski. Directrice de recherche en chimie au laboratoire Epoc et codirectrice du Labex Cote, elle souligne l’importance des dynamiques bottom up dans la création de ce dernier. Si l’université de Bordeaux a donné vie au projet, l’initiative est venue «d’en bas», des chercheurs eux-mêmes. Mais autour de quoi au juste se sont-ils ainsi rassemblés ? «C’est quelque chose qui n’a pas d’existence physique ni juridique» souligne tout d’abord Claire Guyot, l’ancienne manager transfert, valorisation et communication de ce curieux «truc» qu’est le Labex. «Il y a une notion de réseau, d’association de partenaires» évoque Hélène Budzinski. «C’est un consortium de laboratoires se regroupant autour d’une question scientifique commune» propose quant à lui Antoine Kremer, directeur de recherche à l’Inrae et codirecteur du Labex Cote. Une question commune qu’il subdivise en plusieurs interrogations : «quels sont les impacts des changements environnementaux sur les écosystèmes ? Quels sont les processus en cause qui modifient ces écosystèmes ? Et comment peut-on tirer de leurs connaissances des éléments nous permettant de mieux gérer les écosystèmes et les ressources de ceux-ci ?»

Labex Cote – Pendant une école d’été organisée par le Labex.

L’interdisciplinarité, la vraie

C’est aussi autour d’une même démarche que se sont retrouvés les chercheurs. Les deux codirecteurs parlent d’une vision «plus globale» et «plus intégrative» du fonctionnement des écosystèmes. Concrètement, cela signifie que l’on ne va pas seulement étudier des milieux mais aussi les interfaces entre ceux-ci ; que l’on va chercher à coupler les facteurs physiques, biologiques, chimiques, socio-environnementaux étudiés par différentes équipes ; que l’on va mettre en corrélation des observations, des résultats de sciences dites exactes et de sciences humaines… Employons le terme adéquat : on parle là d’interdisciplinarité. Se targuer d’avoir une telle démarche c’est un peu, aujourd’hui, comme mettre en avant, pour des industriels, un process écoresponsable : tous le prétendent mais peu le font. Ici, l’interdisciplinarité n’est pas une option. Le projet PhytoCote, porté par le Labex et présenté durant le colloque, en est un bel exemple. Dans la région du Blayais, des spécialistes en agronomie, en chimie, en écologie mais aussi en économie ont travaillé ensemble, ainsi qu’avec des acteurs des filières viticoles et agricoles, pour avancer sur la question des pesticides. Un regard porté notamment sur les échanges entre plusieurs compartiments – eau, air, sol – ayant pu s’étendre sur plusieurs années. En parallèle, Cote s’est associé au site de recherche intégrée sur le cancer (Siric) pour joindre santé environnementale et santé humaine à travers le projet Canepa (Cancer et expositions aux pesticides agricoles). 

Plus de liberté, moins d’administratif

Entre chercheurs, «il y a eu une vraie acceptation de la différence» témoigne Hélène Budzinski, ce qui s’est notamment traduit par le fait «d’accepter que certains volets de recherche soient plus matures que d’autres» et ainsi de «tenter des choses qu’habituellement on ne tenterait pas». Une possibilité permise de plus par le cadre qu’offre un programme décennal comme le Labex. «Il y avait différents appels à projets, certains pour des travaux sur trois ans avec des thèses à la clef, d’autres pour des projets plus petits, un peu risqués, innovants» explique Claire Guyot. Les chercheurs pouvant répondre par ailleurs «au fil de l’eau» à des projets de transfert et de valorisation des résultats de la recherche (vers le monde associatif, des groupes privés ou des organismes publics), des projets de plateformes d’analyse, d’expérimentation et d’observation ou encore des programmes internationaux (notamment des écoles d’été). Plus de flexibilité, plus de liberté, moins d’administratif aussi : c’est l’un des avantages qu’a offerts le Labex. Un aspect d’autant plus apprécié que la recherche est de plus en plus marquée par l’obligation de tout programmer à l’avance. Quant à miser sur des collaborations quitte à prendre des risques, on ne peut qu’applaudir : on s’éloigne d’autant plus de la logique de compétition, darwiniste, vers laquelle le monde de la recherche pourrait s’engouffrer.

Pour le Labex, le futur pourrait s’annoncer radieux. Durant les dernières heures du colloque du 9 janvier, il était question de sa reconduite et transformation en Grand programme de recherche, intégrant potentiellement 19 labos. «L’idée est d’élargir les domaines de recherche vers les milieux urbains, s’intéresser aux eaux souterraines, voir les relations entre environnement et santé et donner une plus grande place aux sciences humaines en accueillant notamment les sciences politiques» annonce Antoine Kremer. Reste à transformer le conditionnel en présent, et, pour cela, voir le projet être validé par l’université de Bordeaux.

Pour en savoir plus : Labex Cote – Evolution, adaptation et gouvernance des écosystèmes continentaux et côtiers.

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