Des échecs au musée

Pièce d’échecs, os, musée de Poitiers, MDOA-VI-026, Seconde moitié du Moyen Âge. Photo Henrique Sarmento Pedro.

Par Henrique Sarmento Pedro

Les matières osseuses possèdent un usage important pour toutes les périodes, historiques comme préhistoriques, mais dont la connaissance ne reste qu’approximative pour le Moyen Âge. Pourtant, elles servent à la production d’éléments de tous types et de toutes tailles. Que ce soit la toilette ou la parure, l’armement ou les jeux, l’ameublement ou la religion, l’artisanat de ces matières prend part à tous les domaines de la vie quotidienne médiévale. Il embrasse un vaste ensemble de catégories et de fonctions, donnant à cet artisanat toute son originalité.

Afin de bien comprendre un objet, l’histoire et les informations qu’il peut détenir, une succession d’informations doit être récupérée en suivant une méthodologie précise. La première étape d’une analyse de mobilier est de mettre en place un inventaire adapté à l’étude. À la manière d’un inventaire de musée, chaque artéfact doit porter un numéro spécifique. Dans le cadre du programme de recherche traitant de tout l’Ouest de la France, ce numéro se présente sous la forme suivante : MDOA-département de découverte-numéro dans l’inventaire, MDOA signifiant «matières dures d’origine animale».

Puis vient l’étape d’une première identification de la fonction de l’objet, lorsque celle-ci est facilement reconnaissable, et du matériau utilisé lors de sa production. Si la première se base sur les comparaisons connues à des périodes anciennes comme plus récentes, l’ethnologie étant parfois nécessaire, la seconde est fondée sur des caractéristiques connues de chaque matière. Ainsi, dans la plupart des cas, la pratique et l’expérience permettent de différencier l’os, le bois de cervidé, l’ivoire ou l’os de cétacé.

S’ensuivent les prises de mesure, que ce soit la masse ou les dimensions, afin d’avoir une visualisation plus précise de ce qui est étudié, et d’en proposer des comparaisons à plus grande échelle. L’archéologie se base aussi sur le contexte de découverte, afin de mieux appréhender la fonction de l’objet, et surtout d’en proposer une datation. Il est donc important pour un archéologue de laboratoire de reprendre l’ensemble des données contextuelles.

En haut, plates-semelles de manche, os, Château de Sainte-Suzanne, MDOA-MA-006, xie-xiie siècle ; en bas, barrettes transversales de peigne, os, château de Beaufort-en-Vallée, MDOA-ML-047, xiiie-xive siècle. Photo Henrique Sarmento Pedro.

Enfin, les deux dernières étapes consistent à proposer une description, qui se veut la plus complète possible, puis une interprétation de son usage. Toutes les données descriptives sont autant de caractères qui permettent de distinguer deux artéfacts très ressemblants en apparence, pourtant très différents en fonction. C’est le cas des plates-semelles de manche de couteau (plaques constitutives d’un manche), et des barrettes transversales de peigne. Cette étape permet également de définir plus précisément la fonction d’un objet au sein d’un ensemble plus important et de la comparer avec d’autres découvertes archéologiques. La description analytique en archéologie est toujours associée à une documentation graphique, que ce soit une photographie et/ou un dessin. Cette documentation est alors réalisée à l’aide de logiciels comme la suite Adobe.

La pièce d’échecs du Musée Sainte-Croix

L’analyse des éléments en matières osseuses du Musée Sainte-Croix de Poitiers a amené à étudier un artéfact archéologique singulier : une pièce d’échecs. Malheureusement, provenant des collections anciennes, le contexte de découverte n’est pas connu, et par conséquent, la datation de cet objet ne peut être qu’hypothétique. Toutefois, les données archéologiques connues nous permettent de restreindre la période d’usage.

Analysé dans le cadre de la thèse, cet artéfact porte le numéro d’inventaire MDOA-VI-026 (inventaire du musée : SN-ARCHORG 160), soit le 26e objet étudié dans la Vienne. Il s’agit d’une pièce de jeu en os mesurant 24,7 mm de haut, 20,1 mm de long pour 19,5 mm de large, et pesant 11,9 g.

De forme conique à sommet arrondi et de section ovale, l’item est creux. Il est orné de trois incisions périmétrales dans sa portion basale, puis de grappes de trois ocelles simples sur chaque face du corps, à l’exception de la face principale où la grappe est remplacée par une ligne. Les ocelles sont des motifs décoratifs simples et utilisés à toutes les périodes, constitués d’un ou de plusieurs cercles concentriques associés à un point central. En partie sommitale, une excroissance marque un visage schématisé. Ce dernier est triangulaire, deux ocelles symbolisent les yeux et une succession de sept incisions en chevrons, surmontées d’une incision droite, marquent le bas du visage.

La forme creuse de l’objet est particulièrement visible sur sa face inférieure, tandis que le creux de la face supérieure est camouflé à l’aide d’un bouchon de la même matière. Sur cette dernière partie, deux ensembles de trois incisions partant de chaque face du corps se croisent au niveau de ce bouchon.

Cavalier d’échecs, bois de cerf, Donjon de Gouzon, Chauvigny, MDOA-VI-010, seconde moitié du xiie siècle. Dessin Henrique Sarmento Pedro.

Par comparaison avec des données iconographiques et archéologiques, il est possible de reconnaître précisément la fonction de cette pièce au sein d’un échiquier, et d’en proposer une datation large entre le xie et le xve siècle. Sa forme, bien connue pour la seconde moitié du Moyen Âge, rappelle les cavaliers d’échecs, dont la particularité est la présence d’une excroissance en partie sommitale formant un visage. C’est le cas notamment du cavalier d’échecs, découvert lors des fouille du Donjon de Gouzon à Chauvigny, néanmoins plus réaliste.

Henrique Sarmento Pedro est doctorant en archéologie au Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CNRS, université de Poitiers), il réalise une thèse sous la direction de Martin Aurell et Nicolas Prouteau : “L’artisanat des matières dures d’origine animale en contexte élitaire dans l’ouest de la France à la fin du Moyen Age (xie-xve siècle)”.

Cet article a été écrit dans le cadre d’une formation à l’écriture journalistique avec l’École doctorale Humanités et SSTSEG des universités de Poitiers et Limoges.

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