Zeus, gare à toi !

Peinture médaillon de la maison de Marcus Fabius Rufus à Pompéi en Italie, exécutée dans le style pompéien et représentant la déesse gréco-romaine Vénus-Aphrodite portant un diadème et tenant un sceptre ; il est daté du Ier siècle av. J.-C. Photo Donatella Mazzoleni.

Par Iseult Le Roux

Libération du corps et de la sexualité ainsi que solidarité entre femmes dans un monde gouverné par les hommes, cette idée fait parfois grincer des dents. Pourtant, cela n’a rien de nouveau. Retour sur les plaines de l’Ida en pleine guerre de Troie.

Iliade, chant XIV. À ce stade de l’épopée, Zeus interdit aux dieux d’intervenir sur le champ de bataille, et prend momentanément le parti des Troyens, au grand damne de son épouse Héra. Cette dernière, voyant Poséidon participer au combat, tente alors de détourner l’attention du roi de l’Olympe. «Héra, la souveraine à l’œil de vache s’interrogeait : comment tromper l’esprit de Zeus qui porte l’égide ? Dans son cœur cette décision se montra la meilleure : aller sur l’Ida en s’étant bien armée, dans l’espoir qu’il désire s’endormir d’amour contre sa chair et qu’elle répande sur ses paupières et son esprit pénétrant un inoffensif et tiède sommeil» (Il. XIV). Il est de notoriété publique que Zeus ne peut résister au désir qui lui est inspiré, et Héra se prépare à utiliser l’éros comme un soldat choisissant le meilleur équipement en vue d’un combat. Le désir devient, littéralement, une arme qui a pour vocation de vaincre l’ennemi, et de l’assujettir. Son armure consiste alors à préparer son corps à cet affrontement érotique. Héra s’embellit afin de faire ressortir sa charis (grâce), en accentuant sa beauté à l’aide d’artifices.

Puissance de l’éros

Mais qui, de l’Olympe, est la reine de l’artifice ? Il ne s’agit de nulle autre qu’Aphrodite. Il est alors logique de constater que c’est en usant de ses charmes, en lien avec l’éros, domaine privilégié d’Aphrodite, qu’Héra choisit de duper Zeus. La souveraine demande explicitement son aide à la déesse de l’amour :

«Quand autour de son corps elle eut placé la parure, elle sortit de la chambre, convoqua Aphrodite à l’écart des autres dieux et lui dit ces mots : “Obéiras-tu, chère enfant, à ce que je pourrai dire, ou refuseras-tu par colère dans ton cœur, parce que je soutiens les Danaens et toi les Troyens ?” Aphrodite fille de Zeus lui répondit : “Héra, déesse de premier rang, fille du grand Cronos, dis ta pensée. Mon cœur me pousse à l’accomplir si je peux l’accomplir et si cela doit être accompli. “Héra la souveraine lui dit avec des pensée de fraude : “Donne-moi amour et désir, grâce à qui tu maîtrises tous les immortels et les hommes mortels.”» (Il. XIV)

Aphrodite ôte pour cela sa ceinture où sont stockés les enchantements voués à l’art de la séduction, et l’offre à Héra. Les deux déesses forment dans cette optique une alliance contre Zeus. Une alliance pourtant singulière : ennemies lors du jugement de Pâris pour savoir qui est la plus belle, elles prennent ensuite chacune le parti du camps adverse. Aphrodite du côté des Troyens, Héra du côté des Achéens, leur antagonisme est bel et bien ancré. Là s’opère toute l’originalité de cette démarche : bien qu’en réalité, Aphrodite ne sache pas réellement la nature des engagements de la reine de l’Olympe, elle accepte tout de même de l’aider et de se détacher de ses attributs afin qu’Héra réussisse son subterfuge, malgré leur opposition, loin d’être pacifiste, dans le conflit entre Achéens et Troyens.

Quand naît l’alliance

Une sorte de «sororité» se développe entre déesse, mot à utiliser avec de grands guillemets, car tout de même bien anachronique. Malgré le fait qu’elles soient initialement ennemies, elles s’allient pour la victoire de l’une en exploitant les pouvoirs de l’autre, en vue de démontrer leur force respective. Il s’agit alors d’une revanche dans la sexualité pour des déesses censées être subordonnées au masculin. C’est un retournement de situation où l’homme (en l’occurrence le dieu) est sous l’emprise de ses propres envies et pulsions, et les femmes (ou plutôt les déesses) s’en servent afin d’en tirer le meilleur profit. Zeus est berné par Héra, «vaincu par le sommeil et l’amour, étreignant celle qui partage son lit» (Il. XIV). Héra et Aphrodite : 1, Zeus : 0.

Cet article a été réalisé lors d’un séminaire de médiation et d’écriture journalistique dans le cadre du master histoire de l’art, patrimoine et musées de l’université de Poitiers.

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