Une Nocturne au Louvre

Détail d'une tapisserie de "L'Histoire de Scipion" conservée au musée du Louvre. Photo Océane Grasso.

Par Océane Grasso

Une nuit au musée ? Oui, c’est enfin possible et pas dans n’importe quel musée. Depuis le 5 janvier 2019, le musée du Louvre offre la possibilité d’accéder gratuitement à ses salles chaque premier samedi du mois de 18h à 21h45. L’aile Richelieu est la plus enivrante de toutes. Limitée à 2 000 visiteurs, elle accueille en son sein une nouvelle forme de médiation. Elle est animée par de nombreux étudiants de l’École du Louvre. En effet, le Louvre offrait l’opportunité aux édeliens de pouvoir participer aux nocturnes du musée.

Après avoir vu l’offre sur le site de l’École, je décide de m’inscrire pour participer à la nocturne d’octobre 2019. Ma candidature retenue, j’assiste à la réunion de préparation. Celle-ci a pour objectif de nous présenter le thème ainsi que les différentes activités de la soirée. Chacun de nous a le droit d’exprimer son choix de préférence. Mon premier vœu n’ayant pas abouti, je me retrouve à devoir réaliser une médiation libre dans la salle de tapisseries illustrant l’Histoire de Scipion. Cette série de huit panneaux, réalisée aux Gobelins sous le règne de Louis XIV, représente les hauts faits de Scipion l’Africain (236 – 235 av. J. C). Je maîtrise l’histoire romaine, le problème n’est pas là. La seule difficulté est de réaliser la visite avec l’aide d’une lampe torche. L’objectif de l’activité est, en effet, de découvrir les œuvres dans l’obscurité. Après m’être fortement documentée et avoir parcouru la salle plus de dix fois, je prépare une médiation de 10 minutes.

Le jour J est arrivé, le samedi 5 octobre 2019. Mes camarades et moi commençons à nous préparer. Nous sommes dix pour commenter les huit tapisseries. C’est 18h et les visiteurs commencent à être nombreux. À tour de rôle, nous nous emparons d’un groupe de dix personnes et commençons notre visite. C’est à moi : je m’avance, les salue et leur dis de me suivre. Je commence ma narration devant Le combat du Tessin. Cette tenture représente le moment ou Scipion sauve son père, Publius Cornelius Scipion, blessé lors d’une bataille sur le Tessin, dans le nord de l’Italie, en 218 av. J. C. Je poursuis avec les six autres tapisseries jusqu’à l’ultime Bataille de Zama, qui opposa Scipion et l’armée romaine aux Carthaginois conduits par Hannibal en 202 av. J. C.

Tout au long de la visite, je pointe ma lampe torche sur les détails que je pense les plus opportuns : du manteau étoilé de Scipion aux vagues autour du gouvernail en passant par le sang qui découle des bêtes à terre. Le contour qui orne les tapisseries n’est pas moindre, il renvoie au monde naturel, à celui de la flore et de la faune. Mis à part des fleurs et des fruits, on y trouve quelques singes et de charmants oiseaux colorés. Le public est fasciné par ces éléments, il les regarde avec stupéfaction. Si je me déplace afin d’éclairer l’ensemble de l’œuvre, il m’accompagne en suivant mes faits et gestes. Il est comme « hypnotisé » par la narration et par la source de lumière qui l’accompagne.

Quelle est la raison de tel engouement ? Ce n’est ni la médiation, ni la salle resplendissante de tapisserie, mais bien l’idée d’éclairer des œuvres d’art dans l’obscurité par le biais d’une lampe torche. Ce petit objet détient un pouvoir surprenant aux yeux des visiteurs. Les tapisseries sont sublimes de jour, mais davantage de nuit : elles s’illuminent durant les nocturnes du musée. Dans l’obscurité le visiteur est absorbé par la narration. Il suit avec attention le faisceau lumineux de la lampe torche et perçoit chaque mot prononcé. La nuit a un pouvoir envoutant sur les publics. En effet, cette théorie a fait l’objet d’une thèse par Floriane Germaine en 2014 : Les visites nocturnes, l’impact de la nuit sur l’expérience de visite : le cas de la cour Marly au musée du Louvre. Selon son étude, l’impact de la nuit sur la visite est fortement présent et il influence, à son tour, la réception de la visite au musée : « Le changement lumineux intervenant entre jour et nuit influence la recomposition du discours de l’exposition par les visiteurs de nocturnes. La dimension émotionnelle ainsi que la fantasmatique de la nuit interviennent dans l’interprétation du discours de l’exposition et le transforment. »

La nuit a un effet pour le moins surprenant sur le public : elle génère une expérience de visite singulière, plus sensible. De jour, le visiteur déambule dans le musée avec un enthousiasme contenu. De nuit, il se transforme : il est curieux, passionné, à l’écoute et interactif. Le noir le révèle et démontre son admiration pour la culture et l’art. Cette idée pose quelques éléments sur l’exploration de la nuit en tant que nouveau paramètre de l’expérience de visite et ouvre la voie à d’ultérieures recherches.

Pour en savoir plus
Floriane Germain, Les visites nocturnes, l’impact de la nuit sur l’expérience de visite : le cas de la cour Marly au musée du Louvre, Thèse de doctorat : Muséologie, médiation, patrimoine, Avignon, 2014, Thèse de doctorat : Muséologie, médiation, patrimoine, Université du Québec à Montréal, 2014, Mémoire de diplôme de 3ème cycle : Muséologie, École du Louvre, 2014.

Cet article a été réalisé lors d’un séminaire de médiation et d’écriture journalistique dans le cadre du master histoire de l’art, patrimoine et musées de l’Université de Poitiers.

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