Retour aux tissus

Echantillons de divers tissus, certains décorés localement (Mali, Burkina Faso), d'autres fabriqués à l'étranger pour le marché africain. Photo Françoise Cousin.

Par Héloïse Morel

Françoise Cousin est ethnologue, elle a travaillé au musée de l’Homme puis comme responsable des collections textiles au Quai Branly jusqu’à sa retraite. Elle intervient à Poitiers le 31 mars à 14h30 dans le cadre de l’Université Inter-Âges pour parler des arts textiles en Afrique subsaharienne.

Au milieu des motifs, des tissus, des vêtements de cérémonie, Françoise Cousin décortique, de la fabrication aux décors, la façon dont les vêtements sont faits et ce qu’ils disent des personnes qui les portent. «J’ai toujours travaillé dans un musée, au début à celui de l’Homme au département d’Asie puis ensuite au département de technologie comparée pour étudier les processus et les objets et mettre en avant les particularités des collections ; celles-ci débutent avec des pièces du xixe siècle.» Lors de la création du musée du Quai Branly, les collections d’Afrique, d’Océanie, d’Asie, d’Amérique ont constitué le fonds du nouveau musée tandis que les collections européennes sont allées au Mucem à Marseille. En ce qui concerne les collections vestimentaires, s’il s’agit pour l’essentiel des collections de vêtements de cérémonie ou d’occasions particulières, Françoise Cousin a commencé ses recherches avec des vêtements du quotidien. «J’ai mené une enquête en 1986–1987 dans un État de l’Inde, le Rajasthan, sur des vêtements imprimés, des jupes de femmes dont les motifs variaient selon les castes d’appartenance. J’ai étudié les tissus, les formes des motifs, leurs variations et leur fabrication. Dans certaines régions, il s’agit de motifs importants rouges sur fond bleu, ailleurs ils peuvent être verts et plus petits… J’ai pu observer des glissements ou des abandons. Certains motifs pouvaient être abandonnés, d’autres pouvaient être adoptés par une caste inférieure ou par les veuves. Cependant, dans certains cas, certaines castes conservent des motifs. Les éleveurs de dromadaire, par exemple, restent fidèles à leurs motifs car ils indiquent leur fonction qui est valorisée.» Mais l’ethnologue constate un abandon de ces motifs de nos jours et des tissus. La technique disparaît alors. Ces motifs étaient imprimés par mordançage suivi de teinture. «Cette technique était très laborieuse, notamment pour les petits motifs en quinconce. Les planches de bois de motifs font la taille d’une main dans le format le plus grand ce qui demande une grande habileté, surtout lorsqu’il y a plusieurs couleurs. Désormais, il y a moins d’imprimeurs et les ateliers ont changé la destination de leurs tissus pour fabriquer des écharpes, des couvertures matelassées destinées aux touristes.» Il n’y a pas uniquement un changement dans la manière de faire ou de celles et ceux qui portent et utilisent ces tissus. L’ethnologue note que les ateliers étaient familiaux ce qui n’est plus le cas. «Dorénavant, ce sont exclusivement les hommes qui y travaillent. Les femmes restent à la maison. Cela change beaucoup l’équilibre entre les sexes.»

Pendant la pause d’un après-midi d’hiver, une jeune fille coiffe sa sœur. Celle-ci et sa mère au premier rang portent une jupe au décor imprimé à la planche. 1973, Inde, Rajasthan, Mainpura. Photo Françoise Cousin.

L’Inde n’est pas le seul pays dans lequel Françoise Cousin a arpenté les ateliers. Elle est allée auprès des teinturiers de l’indigo en Afrique de l’Ouest (Mali, Guinée…). «On observe également des variations dans les motifs en fonction des ethnies mais ce n’est pas autant marqué qu’en Inde bien qu’il existe également des castes.» Elle a également étudié les textiles des Berbères du Sud du Maroc, ceux des Andes et plus particulièrement de la Bolivie et jusqu’à son quartier parisien pour étudier les caftans. «Les Berbères ont également des motifs qui permettent d’identifier les groupes. En Tunisie, on observe des motifs personnalisés, des rayures différentes, des couleurs qui varient selon les hommes et les femmes. Ce sont les femmes qui créent les motifs et dans chaque maison se trouve un métier à tisser. Les femmes font les djellabas y compris celles de hommes. En Amérique également, ce sont les femmes qui tissent dans le cadre familial. C’est lorsque l’activité se professionnalise que le métier à tisser est utilisé par les hommes. Ce constat n’est pas vrai dans toutes les régions du monde… Les usages changent, les vêtements traditionnels également.»

La tenue de cette femme, faite de bandes de toile de coton rayée cousues l’une à l’autre, est complétée par le porte-bébé fait dans le même tissu. 2000, Guinée, Labé. Photo Françoise Cousin.

Lorsque l’ethnologue s’intéresse aux caftans de son quartier, elle constate un changement de tissu, de la soie au synthétique ; des broderies aux clinquants. «L’artisanat est en perte de vitesse. Les caftans marocains sont loués alors qu’il y a 50 ans, on les achetait, on les faisait fabriquer.» En Bolivie aussi, les femmes tissent mais de la laine acrylique plutôt que l’alpaga ou le mouton. «On ne tond plus, on ne file plus, on ne teint plus. En Bolivie, une fondation privée cherche à préserver ces savoir-faire pour transmettre les techniques aux petites filles. Mais encore une fois, c’est une histoire de bonnes femmes !» Le glissement est alors à remarquer, le retour au travail manuel, qu’il s’agisse de la terre ou du tissage, de l’impression de motifs sont des pratiques que les classes sociales privilégiées apprécient aujourd’hui alors qu’elles étaient, il y a cinquante ans, le lot de classes sociales moins favorisées et de la sphère familiale.

Les réserves cousues, ici de fils de plastique, sur un tissu damassé de coton sont suivies de la teinture dans l’indigo. 2000, Guinée, Labé. Photo Françoise Cousin.

Signalons que Françoise Cousin a publié avec l’anthropologue Nicole Pellegrin un livre sur les Tabliers au masculin, tabliers au féminin (APC et AFET, 232 pages illustrées) en 2009 suite à un colloque CNRS à Niort en novembre 2007, une exposition à Chauvigny à l’été 2009. 

A propos de Héloïse Morel
Rédactrice à L'Actualité Nouvelle-Aquitaine. Coordinatrice du pôle Sciences et société, histoire des sciences de l'Espace Mendès France.

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