Rémy Pénard – Du mail art au «Stampoem»

Rémy Pénard. Portrait et montage réalisé par Maxime Gelineau Coste.

Le Mail art au fil du temps

Rémy Pénard retrace sa pratique du Mail art, des années 1970 à nos jours.

Quel a été le déclic pour vous lancer dans le Mail art ?

Dans les années 1960, une personne d’Amnesty International distribuait des papiers avec des adresses, dont celle d’un prisonnier au Vietnam. C’était un de mes premiers envois. Quand un prisonnier reçoit du courrier, c’est qu’il existe, sinon on ne s’intéressera pas à lui. Parallèlement, en 1962 l’artiste américain Ray Johnson a fondé l’école d’art et de correspondance à New York. Il en fait un réseau d’artistes du monde à qui il envoie quelque chose qu’il faut lui retourner. C’est le « Add to and return » mais ces réseaux sont confidentiels. Moi je continue mon art postal, j’ai un tout petit réseau. Les artistes avaient pris l’habitude d’envoyer des cartes depuis l’étranger. J’ai commencé avec un ami à qui j’ai donné des cartes que j’avais faites. Quand il est allé au Liban, il me les a renvoyées avec un timbre du pays. Puis on a eu un vrai réseau. On peut dire que j’ai commencé officiellement le Mail art dans les années 1970.

Qu’est-ce que vous aimez dans le Mail art ?

Les échanges. Certaines personnes ne se rencontreront jamais. On aura communiqué toute notre vie avec des personnes qu’on n’aura jamais vues mais on a l’impression de s’être toujours connus. On pense pareil, on a les mêmes idées, c’est ça qui est merveilleux. Le Mail art c’est une grande famille qui ne s’ignore pas.

Rémy Pénard, Stampoem, 2023.

Quelle est votre particularité et votre démarche de travail en tant que mail artist ?

Je fais des collages et je travaille beaucoup avec des tampons. J’en ai 500. J’ai appelé ça des stampoems. Il fallait trouver un mot, un nom personnalisé pour définir mon travail. Le stampoem, c’est faire de la poésie visuelle avec des tampons, les associer entre eux pour qu’ils racontent quelque chose visuellement. Souvent, je fais des dossiers thématiques, je vois quelque chose qui m’intéresse, je le récupère et je le mets dans des chemises pour constituer une banque d’images à utiliser pour les collages.

Qu’est-ce qui est important dans le Mail art selon vous ? 

Une chose très importante dans le Mail art, c’est le recyclage. J’ai lancé en 2005 une association d’art postal sur les ressources environnementales. Un carton, un timbre, de la colle et un ciseau suffisent. Ensuite, il faut fouiller et récupérer sur place ce qui peut servir. Dans les poubelles, il y a des richesses terribles. Des idées magnifiques en ressortent.

Comment choisissez-vous les dessins pour réaliser vos œuvres. À qui sont-elles envoyées ? 

Souvent, on reçoit des appels à participation de la part de mail artists du réseau qui proposent des thèmes. Ça fait l’objet d’expositions et de rencontres.

« Ce ne sont pas simplement des cartes postales, c’est quelque chose qui voyage, qui enseigne. »

Les galeries aussi ont des revues dans lesquelles elles publient nos œuvres. Nous on les publie aussi et on est connus internationalement comme ça. Il est aussi possible d’envoyer à des particuliers mais dans ce cas il faut les adresses.

Vos études et votre vie ont-elles influencé vos œuvres ?

Le caractère social sur mes œuvres est très important pour moi. C’est en lien avec l’usine et les mouvements sociaux. J’ai fait énormément de dessins sur les luttes dans les usines, et je me suis occupé de commissions culturelles. Ça s’est manifesté comme ça. Il y a eu un grand changement en 1968. Le monde du travail auquel j’appartenais a été bien accueilli par le monde des intellectuels, chose qui était impensable avant.

Quelles ont été vos influences ? Et vos engagements artistiques ?

Le début des années 1960 a été un renouveau en tout car il y a eu cette période d’après-guerre. Tout a explosé. Le Mail art se situe dans Fluxus qui a repris l’esprit dada. Les dadaïstes, comme Marcel Duchamp et Raoul Hausmann, ont utilisé la correspondance. Picasso a dessiné sur des cartes, fait des collages. Jacques Prévert en a aussi fait des remarquables. Tous ces post-dadaïstes ont fait du Mail art. Ça trouve ces racines ici. Au début du siècle dernier, les avant-gardistes russes comme Maïakovski, Khlebnikov, le groupe Zaum, et les futuristes comme Marinetti et Balla, ont amorcé une rupture avec le passé. Avant ça n’existait pas dans l’histoire de l’art. Toutes ces personnes m’ont influencé. Ma pratique du Mail art n’est pas un engagement politique mais un engagement social. Je suis un libertaire.

Vivez-vous de votre art ?

Non. C’est normal de percevoir quelque chose quand c’est votre seul revenu mais on ne touche pas de droit d’auteur sur notre travail, et au départ on ne sait pas ce qui va coter ou pas plus tard. Ça me coûte 500 euros de timbres par an pour faire mes œuvres. Maintenant, on commence à voir les cartes envoyées gratuitement être en vente sur Internet entre 45 et 60 dollars. Les artistes officiels nous cataloguent de décorateurs de cartes postales parce qu’on n’a pas de valeur marchande. Et on ne veut pas qu’on commercialise notre travail. En général, le Mail art est de culture occidentale. Dans certains pays comme le Sénégal ou le Mexique, les timbres coûtent si chers qu’il faut parfois les demander dans la rue comme si on dealait.

Portrait et montage de Rémy Pénard par Maxime Gelineau Coste. 

Avec le monde d’aujourd’hui, la progression de la technologie et du numérique, est-ce qu’il y a toujours une mobilisation et une revendication importante dans le Mail art?

Oui. Le journal Le Monde a publié un article sur l’art postal au moment du Covid. D’un coup, la courbe est montée. La Poste s’est rendu compte que les gens recommençaient à faire ça. Personnellement, je n’ai pas de stratégie marketing pour valoriser le Mail art. Et quand il y a certains événements, ça remonte, et ça rechute quand le prix du timbre augmente. Chaque année à la mi-novembre, Tony Mazzocchin organise la journée mondiale du faux timbre d’artiste pendant laquelle on n’affranchit pas. Maintenant, la plupart des mail artists sont sur Facebook. Ils s’échangent des images toute la journée et ce n’est pas cher.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans le Mail art ?

Ne pas essayer d’être quelqu’un d’autre que soi-même. Ne pas chercher à mieux faire que l’autre. Ce n’est pas une compétition. Vous ne serez pas jugés. Quand j’animais des ateliers dans les maisons d’arrêt, je donnais des conseils pratiques, je guidais sans influencer : il n’y a pas besoin de savoir dessiner ou écrire, il faut prendre les images et les mots des autres, les découper et bien les coller, éviter de laisser du vide, enchaîner les images, ne pas utiliser de matières dangereuses ni périssables. Il faut juste essayer et vous trouverez des tas d’idées. Ce qui est très tendance aujourd’hui dans l’art contemporain, c’est l’art conceptuel. Il faut être dans le nouveau et l’original, comme en mettant plusieurs timbres dont un à l’envers. Quand on reçoit du Mail art, il faut décoder ce que les personnes veulent dire, tenir compte du fait que tout le monde ne voit pas la même chose.

Quels sont vos projets ?

Mon prochain projet est en lien avec l’Allemagne. Je dois créer une œuvre en utilisant les mots « Révolution/Évolution » et en jouant avec la parenthèse : «(R)évolution.»

Les auteurs et autrices :
Lauren Caujolle
est doctorante en première année de Sciences du langage mention sémiotique au laboratoire CeReS de l’université de Limoges. Sa thèse s’intitule : « L’accessibilité médiatique et interprétative des albums jeunesse chez les enfants en situation de handicap », sous la codirection de Nicolas Couégnas et Sophie Anquetil.

Maxime Gelineau Coste est doctorant en première année en recherche-création au laboratoire CeReS à l’université de Limoges. Son sujet de thèse s’intitule : « Pratiquer le cinéma comme enfance de l’art. Sur Wes Anderson, cinéaste de forme de vies filmiques » et « Cinéma ! » en création sous la direction de Nicolas Couégnas.

Jean Erian Samson est doctorant en deuxième année en recherche-création à l’ENSAD et à l’université de Limoges au laboratoire EHIC. Son sujet de thèse s’intitule : « Résistance et revues militantes : un itinéraire créole », sous la codirection de Loïc Artiaga et François Coadou.

Assanatou Sanfo est doctorante en quatrième année dans le laboratoire CeReS à l’université de Limoges, et au laboratoire LADIPA à l’université Joseph Ki-Zerbo au Burkina Faso. Sa thèse s’intitule : « Sémiotique des arts plastiques du Burkina Faso : analyse de la sculpture de Ali Nikiema, Goudou Bambara et Jean-Luc Bambara », sous la direction d’Isabelle Klock-Fontanille et Justin T. Ouoro.

Article réalisé par des étudiants de l’école doctorale Littératures, Sciences de l’Homme et de la Société de l’Université de Limoges dans le cadre d’une formation à l’écriture journalistique. Merci à Rémy Pénard pour sa disponibilité.

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