Présences féminines

Décembre 1944, une cérémonie a été organisée sur le front du Médoc à l’occasion de l'Aïd el-Kebir, pour honorer des soldats marocains, engagés sur ce front et issus des Frontstalags aquitains où ils étaient retenus prisonniers depuis 1940. Le traditionnel méchoui a été précédé d’une prise d’armes à laquelle ont été conviées des auxiliaires féminines, visibles au second rang : cette vue est la seule photographie les concernant au sein des fonds de l’ECPAD. Crédits : ECPAD.

Par Stéphane Weiss

Les Forces françaises de l’Ouest ont constitué une population presque exclusivement masculine. Des femmes ont toutefois été présentes aux côtés des combattants. Dans le Médoc, quatre infirmières sont par exemple mentionnées aux côtés des 1 400 hommes du 2e régiment FFI du Lot. Il en va de même au sein de la brigade Bertrand devant Royan et du régiment Foch sur le front rochelais. Quant aux bataillons périgourdins de brigade Demorny, ils étaient initialement accompagnés par plusieurs dizaines de femmes. Au fil des semaines, l’institution militaire n’a autorisé leur maintien que pour des missions auxiliaires médicales, sociales ou administratives. Les combattants ont toutefois côtoyé d’autres femmes au sein de la population des abords et des arrières du front.

Combattantes et auxiliaires

Sur le front du Médoc, un bataillon français s’est dénommé en référence à la mythique reine des Amazones, Penthésilée. La présence de combattantes féminines au sein de cette unité n’est pas documentée. Quelques femmes ont toutefois embrassé la fonction combattante, alors sociologiquement dévolue aux seuls hommes. Au sein du régiment Bir Hacheim charentais, une compagnie a été commandée durant l’automne 1944 par un certain Capitaine Luc, alias Hélène Nebout, une institutrice cofondatrice du maquis Bir Hacheim en 1943. Sur le front rochelais, il convient aussi de signaler Ginette Marois. Cette jeune femme, née en 1920, s’est illustrée comme agent de liaison au sein des maquis périgourdins. Elle a suivi devant La Rochelle les bataillons de la brigade Demorny. Elle y a été chargée de traverser les lignes allemandes pour des prises de contact avec les résistants rochelais. Elle est décédée le 15 octobre 1944 après un accident de voiture.

Durant l’automne 1944, lors de la progressive régularisation des formations FFI, les femmes ont été cantonnées à la fonction d’auxiliaires. Lors de la transformation de la brigade Demorny en un nouveau 108e régiment d’infanterie, seules deux femmes ont ainsi été autorisées à rester au sein de chaque bataillon, comme dactylos. Celles «en excédent» ont été dirigées vers Cognac, pour devenir auxiliaires féminines de l’Armée de terre (AFAT), ou ont été renvoyées «sur les familles».

Les AFAT n’ont pas été nombreuses. Au printemps 1945, sur le front du Médoc, il n’y en avait par exemple que treize, accompagnées par une poignée d’ambulancières civiles de la Croix-Rouge, pour plus de 9 000 hommes. Non sans quelques arrière-pensées, certains soldats ont jalousé ces quelques femmes :

«Il n’y a pas de drap pour nous confectionner des capotes mais on en trouve bien pour habiller les AFAT qui font les bombes à l’arrière.»

Rapport du 50e RI périgourdin, mars 1945

Ce n’est pourtant pas ce qu’il ressort de la description donnée en avril 1945 du petit groupe d’AFAT affecté à l’état-major de la brigade Oléron : il est question de tenues disparates mêlant des pulls militaires et des jupes à fleurs, le tout porté par des femmes arborant «un air sauvage et hargneux, qui n’était pas encourageant pour les militaires, mais qui fit merveille “pour le bien du service”». Les fonds conservés ne comportent guère de mentions sur les relations effectives entre ces femmes et leur entourage masculin. Certains combattants ont joué les fiers-à-bras auprès de leurs collègues féminines. Ainsi en est-il de membres du 1er RI du Cher, sur le front de Royan. À l’occasion de la venue d’un groupe d’ambulancières, ils ont pensé les épater en montant une fausse embuscade allemande sur leur trajet. Mal leur en a pris : l’affaire a failli tourner au vinaigre, lorsque l’une des intéressées, nullement impressionnée, a dégainé une arme.

Action sociale et médicale

Les femmes restées au sein des unités combattantes ont embrassé des fonctions renvoyant fréquemment aux stéréotypes d’une figure maternelle, en tant qu’ambulancières, infirmières ou assistantes sociales. Les épouses des commandants d’unités ont régulièrement ouvert la voie. Devant Royan, l’épouse du colonel Réné Bertrand a dirigé les ambulancières de la brigade commandée par son mari. Il en va de même pour l’épouse du colonel Georges Moressée, le commandant belge du régiment Z : elle a chapeauté jusqu’en mai 1945 le service médical de son unité. Dans le Médoc, l’épouse du commandant d’un bataillon du 34e RI landais a dirigé le service social de ce régiment. Quant à l’épouse du commandant du 158e RI gersois, elle a animé à Auch une association collectant des colis au profit des volontaires gersois du front de Royan (avec des couvertures, des pull-overs mais aussi des bouteilles d’Armagnac).

À l’occasion de la même cérémonie, certains officiers sont venus avec leurs compagnes. L’une d’elles a été photographiée devant le buffet, aux côtés du colonel Jean de Milleret, commandant le front de la pointe de Grave. Crédits : ECPAD.

Sur le front du Médoc, un groupe féminin s’est particulièrement illustré : les conductrices et ambulancières de la section des prisonniers de guerre de Bordeaux, créée en décembre 1940 pour desservir les Frontstalags établis en Aquitaine pour les soldats africains prisonniers. Regroupant en août 1944 quatorze conductrices, l’unité s’est jointe le 28 août à la brigade FFI Carnot, qui arrivait des Landes. Au cours des journées précédentes, à Bordeaux, les conductrices avaient obtenu que la Kriegsmarine leur remette un dépôt de 200 tonnes de denrées plutôt que de les détruire. À l’aide de leurs huit poids-lourds gazogènes, elles ont assuré au profit des FFI du front du Médoc une inestimable activité de transport de troupes, de matériels (dont des cuisines roulantes) et de denrées, depuis Bordeaux jusqu’aux communes de Lesparre, Vendays et Queyrac. Par la suite, elles ont également assuré le transport des civils évacués du réduit de la pointe de Grave entre le 6 et le 10 novembre. Ce concours a pris fin le 31 janvier 1945, lors du rappel à Paris de la section et de ses véhicules.

Compagnes, marraines et aspirations charnelles

Au-delà des quelques ambulancières et auxiliaires signalées aux côtés des unités, diverses sources attestent parmi les troupes un désir de présence féminine, à des fins autant sentimentales que charnelles. Citons un poème dédié à la gale, publié dans le bulletin du régiment Foch (voir L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 121) : toute l’affaire y repose sur un soldat qui, «les sens quelque peu en délire», a serré «d’assez près une accorte bergère».

Tout au long du siège des poches allemandes, des femmes, épouses légitimes ou maîtresses, sont signalées dans l’entourage de certains responsables, non sans susciter des récriminations, notamment de la part du colonel Druilhe qui dirigeait la 18e région militaire à Bordeaux. Une note du 5 avril 1945 signale son agacement devant le constat «que de nombreux militaires partaient en promenades dominicales en auto avec des civils et notamment des femmes qui n’ont même pas souvent le prétexte d’être leur épouse légitime».

L’aspiration d’une présence féminine, réelle ou virtuelle, s’est aussi exprimée sous la forme de la chanson Une Marraine éditée en octobre 1944 par la brigade Carnot du front du Médoc, vraisemblablement pour collecter des fonds caritatifs. Mise en musique par un certain Bruno Coquatrix, le futur fondateur de l’Olympia, cette chanson énumère les deux facteurs devant aider à la victoire : «le pinard» et «une marraine au frais sourire».

Avril 1945, aux abords de Royan, portrait de deux ambulancières du régiment blindé de fusiliers-marins de la 2e division blindée. Crédits : ECPAD

Les combattants ne se sont pas contentés de relations épistolaires. Sur les arrières du front, les soldats au repos et les permissionnaires ont eu l’opportunité de fréquenter des maisons closes, qualifiées par le bulletin du régiment Foch de «maisons hospitalières que la police tolère mais que la morale réprouve». La rubrique médicale du même bulletin a abordé le sujet en traitant à trois reprises des maladies vénériennes avec un ton compréhensif :

«Le mieux serait évidemment d’obéir aux conseils de votre mère et de la morale pure et de vous abstenir de tout contact avec le sexe dit faible ! Or je sais d’avance que de tels conseils n’ont aucune chance d’être écoutés et ma foi je ne vous en voudrai pas trop de passer outre !».

Bulletin Foch n° 6, 6 janvier 1945

Quoi qu’il en soit, cette dimension charnelle a laissé une empreinte statistique. Du 7 décembre 1944 au 20 avril 1945, le service de santé des Forces françaises de l’Ouest a comptabilisé 1 279 admissions liées aux maladies vénériennes, soit une moyenne hebdomadaire de 67 cas. Ce nombre représente 7,6 % du total des admissions (blessés et malades) enregistrées sur la même période.

L’heure des veuves

Au fil des mois, une nouvelle catégorie de femmes a fait son apparition : les veuves, ainsi que les épouses ou mères des combattants faits prisonniers (ils furent près d’un millier, principalement sur le front de La Rochelle).

Après-guerre, les familles des défunts se sont heurtées à une difficile reconnaissance de leurs droits par l’administration des anciens combattants. En 1984, dans son ouvrage de référence sur le front de la pointe de Grave (Le Front du Médoc. Une brigade FFI au combat), la fédération des associations d’anciens combattants du front du Médoc a consacré un chapitre explicite à l’amertume qui en a résulté. Néanmoins, avant le 8 mai 1945, l’existence d’une forme de solidarité émanant des unités à l’égard des familles aurait pu sembler évidente. Or, tel ne paraît pas avoir été le cas. Dans une circulaire diffusée le 19 mars 1945, le colonel Henri Adeline, commandant les fronts du Sud-Ouest depuis l’automne précédent, s’est plaint du désintéressement des commandants d’unités à l’égard de leurs blessés et malades évacués vers les arrières. Il en va de même concernant les veuves et les familles : 

«Les familles de nos morts, nos prisonniers et leurs familles sont aussi hélas trop vite oubliés. Il est arrivé qu’une mère ou une femme apprenne la mort de son fils ou de son mari par une simple inscription “décédé” sur une lettre retournée à l’envoyeur. Trois mois après la disparition de leur mari, des femmes de prisonniers m’ont écrit pour demander des nouvelles et me signaler leur détresse.»

Circulaire diffusée le 19 mars 1945 par le colonel Henri Adeline

Ainsi, même si les multiples récits des combats publiés depuis 1945 n’évoquent guère que des hommes, les archives attestent la présence permanente de femmes au sein, aux côtés ou dans l’environnement social des régiments engagés sur les fronts de l’Atlantique. Ce constat confirme, s’il en était besoin, que l’étude de ce théâtre d’opération ne saurait être menée sans considérer le cadre social dans lequel il s’est inscrit.

Docteur en histoire contemporaine et chercheur associé au Centre de recherche interdisciplinaire en histoire, histoire de l’art et musicologie (Criham), Stéphane Weiss conduit depuis 2008 une recherche sur les dynamiques régionales du réarmement français de 1944–1945 et de sortie de guerre des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Il a notamment publié en 2019 un ouvrage consacré au quotidien et à la mémoire des combattants français des fronts de l’Atlantique : Les Forces françaises de l’Ouest – Forces françaises oubliées ?, Les Indes savantes, 220 p., 22€.

Cet article fait partie du dossier Les fronts de l’Atlantique.

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