Poésie de l’instant

Jean-Claude Martin. Photo Noémie Pinganaud.

Entretien par Anaëlle Quiertant

C’est en 1965, à la découverte du surréalisme, que Jean-Claude Martin commence à vouloir écrire. Son expression, ce sont les poèmes en prose, à travers lesquels il évoque des instants du quotidien qu’il transforme en moments symboliques. Le poète né en 1947 à Montmoreau-Saint-Cybard, en Charente, est fortement influencé par Francis Ponge, Henri Michaux, ou encore les objectivistes américains. En 2020, il publie deux recueils, Ô toi qui le savais, édité par Le Merle moqueur, et Lire un jardin aux éditions Tarabuste.

Pourquoi des poèmes en prose plutôt qu’en vers ?

J’écris en prose depuis le début. Les gens que j’ai lus, ceux qui m’ont influencé, c’était Henri Michaux, Francis Ponge, des prosateurs. Et puis, dans les années 1960–1970, et même à l’heure actuelle, je trouvais que la poésie n’était souvent que de la prose découpée : c’est du discours, des choses que l’on met à la suite pour faire comme des vers, et cela ne me paraissait pas honnête. Autant faire de la prose. J’ai senti que c’était ça, ma façon d’écrire. Cela me permettait de faire tantôt des petits récits, tantôt d’écrire des impressions… «Poème en prose», expression étrange ! Beaucoup de gens ne considèrent pas ça comme de la poésie. Mais la forme, la ponctuation du poème en prose, c’est toujours ce qui m’a permis le mieux d’exprimer ce que je voulais. Je me donne tout de même quelques règles : il ne faut pas que ça dépasse une quinzaine de lignes, surtout pas une page, et avec le moins d’alinéas possible.

À partir de quels matériaux travaillez-vous ?

C’est le ciel, principalement. Le ciel, les nuages, l’air… auxquels je prête des sentiments humains. Je ne suis pas peintre, mais je compare un peu ça à de la peinture, qui peut être tantôt de la peinture de chevalet, tantôt une installation avec des changements… tout dépend aussi des périodes, de mon envie d’écrire. Parfois je me lève le matin, je vois un rayon de soleil, j’écris. Je pars du quotidien, mais je me sers toujours de ce quotidien pour symboliser des choses. Il faut déchiffrer entre les lignes.

Quelle place la poésie occupe-t-elle dans votre quotidien ?

C’est ma vie, mais ça occupe finalement une petite partie de mon temps : il y a beaucoup de moments où je n’écris pas, puis une période de trois mois où je vais écrire 50, 80 poèmes… parfois je laisse reposer, puis je reprends. Ceux que je préfère, ce sont les «enfants mal nés», des poèmes commencés puis laissés en pause, pour une raison ou une autre, que j’essaie de reprendre. Mais ce n’est pas facile, j’ai un peu perdu le déclic… mais quand je réussis à les finir, c’est ceux qui me donnent le plus de plaisir.

La poésie, c’est peut-être 80% de ce que j’écris. J’ai essayé de faire des romans, mais c’est plus fort que moi, il faut que ça tienne en peu de mots, alors j’avais tendance à découper et ça n’avait plus de chair. Mon expression, c’est vraiment ces petites proses.

Y a‑t-il des similarités entre le travail d’un poète et le travail d’un peintre, comme vous le suggérez dans Lire un jardin ?

Au printemps ou en été car le temps est plus doux et agréable, je m’installe dehors, ou plutôt j’y vais parce qu’une phrase, un mot m’est venu à l’esprit. Mais ce n’est pas une transcription. Je le dis dans mes poèmes, le jardin dont je parle, ce n’est pas mon jardin, c’est un jardin mental. J’aime «peindre» une espèce de jardin spirituel.

Le titre du recueil Ô toi qui le savais, est une référence évidente à Baudelaire et son poème «À une passante», tiré des Fleurs du Mal. Qu’est-ce qui vous inspire chez ce poète ?

J’ai repris ce poème car c’est pour moi l’un des plus beaux de Baudelaire. Il témoigne d’un regret éternel, de quelque chose dont il n’est pas dupe : Ô toi qui le savais… «À une passante» est un très beau texte. J’ai repris ce vers et j’ai réuni dans un recueil des poèmes d’«amour» que j’avais déjà écrits, des poèmes sur une vision particulière du Christ, écrits aussi il y a quelques années, des textes sur la poésie elle-même… Ce sont des textes qui sont assez anciens, à part quelques inédits.

Baudelaire n’est pas exactement un poète qui a fait évoluer la poésie, comme l’ont fait Rimbaud ou encore Mallarmé. Il reste assez classique, mais dans ce qu’il dit, il y a une telle force d’humanité. Il reste un phare incontestable. Et puis, il a écrit des poèmes en prose, même si beaucoup d’entre eux sont plutôt des récits, ce sont des textes très beaux.

Vous avez cité quelques prosateurs qui vous ont inspiré. Quelques autres poètes vous ont influencé ?

J’aime beaucoup les poètes américains. William Carlos Williams, Louis Zukofsky, ceux que l’on appelait les objectivistes américains. Raymond Carver aussi, même si on le connaît moins comme poète car il était plutôt nouvelliste, a fait de la bonne poésie. C’est un peu aussi comme de la prose découpée mais ça ne manque pas de force, tout comme Charles Bukowski.

Le poète James Sacré a préfacé le recueil. Comment cela s’est-il passé ?

Tout simplement. La maison d’édition Le Temps des Cerises a lancé une collection, qui par la suite est devenue une association, Le merle moqueur. Ô toi qui le savais est le premier livre et l’éditeur voulait une préface. J’ai sollicité James Sacré, que je connais depuis longtemps et qui est un poète que j’aime beaucoup. Il a gentiment accepté, et voilà.

Dans Un ciel trop grand, vous écrivez : «À quarante-sept ans, écrire encore des poèmes ! […] Ce monde, qu’as-tu fait pour le changer ?» Vous considérez qu’en tant que poète, vous avez une sorte de responsabilité à changer le monde autour de vous ?

Pas vraiment. Le poète et la personne, pour moi c’est bien différent. Je ne veux pas dire que le poète ne peut pas écrire sur ce qui lui semble important, bien sûr, mais je pense que c’est surtout l’être humain qui doit agir. Écrire de la poésie devrait plutôt susciter une exigence éthique et esthétique. On essaie de produire quelque chose de beau. Si on ne cherche qu’à transmettre un message, on peut passer à côté du travail d’écriture, et ce message n’est pas forcément perceptible. Certains y parviennent, mais la poésie tient en peu de mots, alors on n’a pas la responsabilité, la voix que peuvent avoir d’autres.

Je me suis occupé pendant longtemps de la Maison de la Poésie à Poitiers, j’ai observé deux tendances chez les poètes, qu’ils soient français ou étrangers : les poètes «urbains», qui écrivent sur  le monde moderne, et les poètes «réflexifs», linguistiques, s’interrogeant davantage sur la poésie elle-même. À mon avis, un bon poète, un bon écrivain, doit mélanger les deux. On cherche à exprimer la force, la beauté, tout en menant une réflexion esthétique sur le travail d’écriture.

Jean-Claude Martin, Ô toi qui le savais, éditions Le Merle moqueur, 89 pages, 2020, 12 €
Lire un jardin, éditions Tarabuste, 74 pages, 2020, 12 €

1 Comments

  1. رابحة مجيد الناشئ 2 février 2021 à 17 h 24 min

    Merci Jean-Claude martin pour tes explications bravo pour ton livre. Tu a oublié de citer la publication de la traduction en langue arabe de ton joli livre : Que N’ai-Je, En Décembre 2020, Bravo et merci à Anaëlle Quiertant pour cette agréable entretien .

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