Orthez, le 27 février 1814

Ensemble de la fosse d'Orthez. Photo B. Ducournaud (Inrap).

Par Bastien Florenty

Une fosse de soldats morts lors de la bataille d’Orthez le 27 février 1814 ainsi qu’un cimetière ont été découverts lors de la fouille de l’Inrap. Isabelle Souquet et Christian Scuiller racontent.

Vingt-six squelettes enchevêtrés, disposés sans soin particulier, sont retrouvés. Le responsable d’opération, Christian Scuiller, et son équipe composée de huit archéologues de l’Inrap et de deux étudiants de l’université de Pau et de Pays de l’Adour ont fouillé le site de 280 m² entre le 8 décembre 2016 et le 5 février 2017. Leur recherche a mis au jour une fosse au contenu inattendu. «C’est la première fois que l’on est en présence d’un charnier de soldats de l’armée impériale morts au combat en France», affirme-t-il. Cette sépulture plurielle se situe au nord-ouest du chantier de fouille, au sein duquel quatre-vingts sépultures ont été étudiées. À l’origine de ce chantier, la construction d’une crèche qui donne lieu à un diagnostic de fouille établi par Nadine Béague de l’Inrap en 2015 et qui mentionne la présence d’un cimetière communal. La littérature disponible présente deux périodes notables pour le site, la première est celle du couvent des cordeliers (ordre franciscains) construit au xiii e siècle, qui sera transformé en hôpital au lendemain de la Révolution française en 1791. Les analyses au carbone 14 permettent de dater, avec une fiabilité de 95 %, l’inhumation des corps de cette partie du cimetière entre le xvie et le début du xixe siècle. «Les tombes sont des cercueils de bois cloués et parallèles, l’organisation est régulière et il n’y a que très peu de recoupements entre les sépultures. Ce n’est pas un cimetière classique», indique Isabelle Souquet, archéo-anthropologue, avant d’ajouter qu’elle n’a quasiment jamais vu ça. Les défunts sont orientés majoritairement est-ouest, seuls deux corps disposés face contre terre et quelques sépultures doubles présentent des singularités qui pourraient être dues à un événement inhabituel. Le geste d’inhumation diffère, les corps auraient alors été enterrés promptement. Mais l’étude biologique est complexe. «La moitié de la fouille présente des corps abimés, en miettes, donc l’étude biologique est irréalisable sur cette partie», détaille-t-elle. Néanmoins la seconde moitié du site révèle qu’il s’agit d’une population d’enfants, de femmes et d’hommes peu favorisés, «ce qui peut attester de la présence de l’hôpital», ajoute-t-elle. Mais la population inhumée est certainement diverse, comprenant des laïcs, des religieux ou encore les habitants du quartier.

Un mobilier hors du commun

L’intérêt de cette fouille réside à l’intérieur d’une fosse de 11 m², présentant vingt-six hommes, plus ou moins complets et dont la disposition témoigne d’une inhumation rapide. Lors du sondage de la fosse, les archéologues ont découvert de multiples corps ainsi qu’un boulet de canon. «La présence de cette fosse est totalement surprenante, rien dans les textes relatifs à la période ne laissait présager d’une telle composition», signale Christian Scuiller. Ces éléments dirigent l’équipe de l’Inrap sur la piste de la bataille d’Orthez du 27 février 1814, qui s’inscrit dans la fin de la guerre d’indépendance espagnole (1808–1814). Les troupes françaises fortes de trente-cinq mille soldats sont sous le commandement du maréchal Jean-de-Dieu Soult et les forces alliés (anglaises et portugaises) du duc de Wellington sont composées de quarante-quatre mille hommes. Cette bataille se conclut par la retraite de l’armée des Pyrénées qui se déplace vers Toulouse, évitant ainsi une progression des alliés vers le nord et Paris. Par la suite, ce sont des munitions, des boutons d’uniforme, une pierre à fusil, une pièce de tissu qui sont retrouvés.

Bouton retrouvé sur le site de fouilles. Photo P. Galibert (Inrap).

«L’archéologie moderne a été délaissée pendant longtemps»

Cette sépulture est un voyage dans le temps, une rencontre imprévue avec le Premier Empire. Seulement deux siècles séparent cette époque de la nôtre et pourtant les connaissances archéologiques sont lacunaires. «L’archéologie moderne a été délaissée pendant longtemps, nous nous y intéressons depuis peu et nous manquons encore de documentation», explique Christian Scuiller. La mission des archéologues est d’apporter des éléments de réponse sur la manière dont les corps ont été inhumés, sur les causes des décès, sur l’âge, le sexe et la provenance des soldats. Il s’agit d’un travail inhabituel car «le soldat n’est absolument pas notre quotidien». C’est justement cette singularité ainsi que le contexte qui amènent une certaine émulation au sein l’équipe.

Des Louis d’Or retrouvés sous les vertèbres lombaires d’un soldat. Photo V. Geneviève (Inrap).

Morts au combat

Les premières réponses proviennent de l’étude du mobilier confiée à Jérôme Girodet, responsable de la collection hussard au musée Massey de Tarbes et spécialiste de l’uniformologie, afin de déterminer l’époque et les origines des soldats. Ces éléments sont appuyés par l’étude des squelettes ainsi que de l’ADN dont Isabelle Souquet a la charge. L’étude porte sur le mode vie des soldats et sur leur inhumation. Des boutons d’uniformes portent les numéros de régiment, cinq régiments différents pour un total de treize soldats de l’armée napoléonienne. Les prélèvements ADN confirment la présence de sept soldats alliés (trois Britanniques, quatre ibériques), identifiés au préalable par des fragments de tenues et une pierre à fusil en silex noir non courante chez les soldats français. Cependant, le régiment de rattachement ou l’origine géographique de six soldats restent indéterminés pour le moment. Les ossements sont conservés dans un bon état, mais les corps sont meurtris, les traumatismes ont laissé des traces indélébiles. Une partie d’un membre inférieur est déposée à 50 cm d’un soldat, les coups de sabre ont fracturé et tranchés plusieurs os, un crâne est perforé, sous l’effet d’une baïonnette, les mitrailles ont causé des ravages tout comme les boulets de canon qui fracturent et fragmentent les os. Justement, une preuve directe se situe dans la fosse, un boulet de canon retrouvé au contact du bassin d’un soldat alors fracturé, prisonnier des chairs lors de sa mort. Mais si l’artillerie laisse des traces évidentes sur les squelettes, «les traces des armes blanches sont plus ténues» d’après Isabelle Souquet. Ses prochains travaux porteront notamment sur l’étude des soldats décédés sous l’effet des lames.

Aucun doute ne demeure sur la mort de ces soldats, dont deux étaient âgés entre dix-sept et dix-neuf ans, seize entre vingt et vingt-neuf ans et huit de plus de trente ans. «Il faut éviter la propagation de maladies, les corps sont donc inhumés rapidement sur des terrains proches des lieux de trépas», précise l’anthropologue. Ici il s’agissait d’un jardin, sur l’emplacement de l’ancien cimetière communal fermé en 1809.

Vue générale avec les tombes individuelles environnantes. Photo W. O’yl (Inrap).

Au plus proche de la réalité

Suite à la remise du rapport de fouille, devant l’importance des données de terrain, un projet de recherche complémentaire a été amorcé sous la direction d’Isabelle Souquet. L’analyse ADN de l’ensemble des soldats permettra de renseigner sur les phénotypes. La couleur des yeux, des cheveux, le teint apporteront autant d’éléments déterminants afin de reconstituer leurs caractéristiques physiques. L’étude isotopique à partir des os et des dents permettra de renseigner les régimes alimentaires et les origines des soldats. L’ensemble de ces données permettront de les comparer aux registres de l’armée impériale, qui comprennent une multitude d’informations comme la taille, la couleur des yeux et des cheveux, les noms, le lieu de recrutement, les éventuelles blessures et parfois les lieux de décès. Ce travail de grande ampleur est mené par Philippe Calmettes, archéologue à l’Inrap. Cette fouille extraordinaire a réservé bien des surprises aux archéologues, de la découverte de la fosse à l’étude post-fouilles, les avancées sont considérables et «l’objectif ultime serait de mettre un nom en face d’un soldat», souligne Isabelle Souquet. Les soldats n’ont donc encore pas tiré leurs dernières cartouches.

Cet article fait partie du dossier 20 ans de l’Inrap.

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