Olivier Desmettre, éditeur nomade

Couverture du livre vie & mémoire du docteur Pi

Entretien Laurine Rousselet

À Bordeaux, avant de fonder en 2015 DO, qui portent ses initiales, Olivier Desmettre a été libraire et directeur de la programmation du festival Lettres du monde pendant dix ans jusqu’en 2014. À raison de cinq titres par an, les éditions s’illustrent dans les genres du roman et de la nouvelle traduits depuis une variété appréciable de langues. L’éditeur a su s’entourer de traducteurs remarquables tels Barbora Faure, Jean-Marie Saint-Lu, aux fins fabuleuses dont celles de Ota Pavel, de João Gilberto Noll, d’autres originales de jeunes talents tels Alex Epstein, Weronika Murek. Mention spéciale au graphiste designer Éric Lasserre, alias Mr Thornill.

 

L’Actualité. – Votre catalogue fait une place certaine aux auteurs hispanophones. Pouvez-vous nous parler des écrivains argentins Edgar Maldonado Bayley, Luis Sagasti et Eduardo Muslip, de générations différentes ? 

Olivier Desmettre. Eduardo Berti, écrivain argentin installé à Bordeaux, a été l’un des premiers à qui j’ai annoncé la création de la maison d’édition. Chercher des auteurs de langue espagnole a coulé de source. C’est grâce à la traduction en anglais de Vie & mémoire du docteur Pi que j’ai d’abord rencontré Edgar Maldonado Bayley. Concernant Luis Sagasti, c’est assez simple : Enrique Vila-Matas le citait parmi ses lectures favorites. Enfin, si j’ai choisi Eduardo Muslip, c’est parce que le traducteur Guillaume Contré me l’a fait découvrir.
Edgar Maldonado Bayley était un grand poète. Ses textes, qui ont tous pour héros le docteur Pi, ont une place à part dans son œuvre. Ils peuvent paraître absurdes. Mais il faut accepter de ne pas tout comprendre en les lisant, de se laisser emporter dans un univers qui repose sur une autre logique, de ne pas avoir peur de vaciller. Ces textes du docteur Pi sont aussi drôles que déstabilisants.
Bellas artes de Luis Sagasti, auteur contemporain, est un ouvrage sans équivalent, d’une poésie merveilleuse : hommage à l’importance, pour l’humanité, de raconter des histoires, dont la toile relie entre eux des éléments réels ou imaginaires ; biographies d’écrivains, philosophes, plasticiens, musiciens. Des «lucioles» selon Luis Sagasti. Pour terminer, Plaza Irlanda d’Eduardo Muslip représente ce que la littérature peut faire de mieux quand elle décide de dire l’absence suite à une disparition tragique, non pas d’une manière pathétique mais, au contraire, en évoquant par touches subtiles, non dénuées d’humour, comment la personne qui reste essaie et doit continuer de vivre.

 

Différentes couvertures de livres édités par DO

 

Comment est née votre rencontre avec le traducteur Jean-Marie Saint-Lu, considéré comme un fameux «passeur» d’auteurs espagnols et latino-américains ? Quelles sont ses qualités essentielles ?

Je connaissais Jean-Marie Saint-Lu du festival Lettres du monde, qui aime non seulement accompagner les auteurs qu’il traduit dans les rencontres publiques mais aussi évoquer son travail et l’histoire de la littérature latino-américaine, qu’il a enseignée très longtemps. Ce qui compte à mes yeux est ma perception de sa connaissance de la langue espagnole dont il peut me faire comprendre les nuances qui justifient, par ailleurs, ses choix de traduction. Surtout, déterminante est sa connaissance de la langue française, lui permettant d’en utiliser toutes les subtilités. Il est alors capable, lorsque je lui fais remarquer la lourdeur (allitération, répétition, etc.) d’une phrase, d’en bouleverser complément la syntaxe à seule fin de trouver ce qui nous conviendra le mieux. La traduction n’est pas uniquement un travail solitaire. Je crois que, pour le traducteur, les échanges avec l’éditeur (souvent premier lecteur du texte) sont importants.

 

Vous avez publié Comment j’ai rencontré les poissons d’Ota Pavel, un classique de la littérature tchèque. Au cours de maintes rééditions, le texte initial a été enrichi de plusieurs histoires écrites par l’auteur. Comment s’est organisé le travail de votre traductrice Barbora Faure ?

J’ai rencontré Ota Pavel grâce à un site présentant quelques auteurs et textes de la littérature européenne peu traduits en français. Certains textes de Ota Pavel avaient été traduits en anglais dans un ouvrage d’une centaine de pages. Format qui me convenait bien. Lorsque j’ai commencé à faire des recherches plus attentives, j’ai trouvé différents recueils sur la toile, publiés au fil des années, et jamais identiques, après la mort de l’auteur en 1973. Pavel a écrit un grand nombre d’histoires qui évoquent son enfance avant, pendant et après la Seconde Guerre Mondiale. Un recueil ne vaut pas plus qu’un autre. J’ai donc eu toute la liberté de choisir les textes que je souhaitais publier. Mais mon tchèque est aussi pauvre que mon polonais ! D’où l’importance des traductrices et traducteurs auxquels on peut confier des textes, en leur demandant de choisir pour nous. La confiance est facteur primordial. Barbora Faure avait classé les histoires dans un certain ordre – chronologique et cohérent –, qui leur donnait une dimension romanesque. J’ai suivi ce choix. On connaît l’importance du genre du roman aux yeux de la plupart des lectrices et lecteurs. Raison pour laquelle je n’indique jamais de quelle forme il s’agit dans mes livres. Le subterfuge ne fonctionne pas toujours. Récemment, une lectrice, faisant partie d’un club de lecture, écrivait sur un blog combien elle avait aimé Comment j’ai rencontré les poissons, mais qu’elle ne l’avait pas mis dans sa sélection, sachant combien le genre de la nouvelle était peu apprécié du plus grand nombre.

 

Couverture du livre Hommes sous verre

 

Quels sont les ouvrages à paraître en 2018, voire en 2019 ?

En octobre, paraît un nouveau livre À chacun sa part de gâteau de Ota Pavel, traduit par Barbora Faure. Pavel, qui a longtemps été journaliste sportif, a rencontré de très nombreux athlètes dont certains étaient des icônes en Tchécoslovaquie. De leurs destins, de leurs souffrances, de leurs combats, de leurs désillusions, il a fait des portraits littéraires très tendres et très émouvants.
En novembre, ce sera la parution de Malacqua, unique roman de l’écrivain italien Nicola Pugliese. Malacqua, jamais traduit en français, a été publié par Italo Calvino en 1977. Longtemps épuisé, réédité en 2013, un an après la disparition de son auteur, le roman est devenu au fil des ans un livre culte. Son sous-titre pourrait suffire : Quatre jours de pluie dans la ville de Naples dans l’attente que se produise un événement extraordinaire. Cependant, il ne dirait rien de sa langue extraordinaire qui en fait, selon ses admirateurs, un petit chefd’œuvre de la seconde moitié du XXe siècle. La traductrice Lise Chapuis a fait connaître, entre autres, plusieurs textes d’Antonio Tabucchi.
Début 2019, il y aura Arcueil de l’écrivain macédonien Aleksandar Bečanović : une fiction construite autour d’un épisode de la vie du marquis de Sade. Suivra ensuite la traduction du roman Žila som s Hviezdoslavom de Jana Juráňová, écrivaine slovaque, éditrice féministe, qui s’intéresse à Ilona Nováková (1856–1932), femme du grand poète slovaque Pavol Országh Hviezdoslav (1849–1921) et qui vécut dans son ombre sa vie durant.

 

À partir de 4 minutes et trente secondes, Comment j’ai rencontré les poissons, d’Ota Pavel. Éditions DO.

 

Portrait Olivier Desmettre

Portrait Olivier Desmettre.

Éditions DO
55 rue Blanchard-Latour
33000 Bordeaux
http://www.editionsdo.fr

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