L’artiste et sa demeure

Le salon Chinois, Maison de Victor Hugo, Place des Vosges, Paris. Photo Julie David.

Visiter les maisons des artistes pour y retrouver leur univers peut réserver bien des surprises. Bien souvent, les lieux ont été «reconstruits» à l’image de ces illustres. Exemple avec Victor Hugo.

Par Julie David

Les artistes occupent une place à part dans notre société. Leur art leur accorde un statut particulier. Ils sont tour à tour – dans l’imaginaire collectif – des enfants prodiges, des génies excentriques, des avant-gardistes incompris ou bien encore des poètes maudits. Leurs créations fascinent autant que leur personnalité colorée.

Margot et Rudolf Wittkower, dans leur ouvrage Les Enfants de Saturne : psychologie et comportement des artistes de l’Antiquité à la Révolution française publié en 1963, ont mis en lumière cette tendance qu’ont les artistes à s’adapter à l’image que nous nous faisons d’eux. Peintres, écrivains et sculpteurs se sont volontiers créé un personnage au point de feindre ou d’exagérer un comportement en dehors des normes de leur époque. Si l’étude du couple Wittkower s’arrête au xviiie siècle, on constate cependant que les efforts déployés par les artistes pour correspondre aux attentes de leur public ont perduré bien après cette période. L’artiste «bohème» et sa représentation viennent automatiquement à l’esprit de la majorité lorsqu’il s’agit du monde de l’art du xixe et xxe siècles. Cette idéalisation des artistes s’étend bien souvent à leur demeure, le temple de leur talent. On s’imagine que le lieu où ils ont vécu et créé ne peut que refléter la singularité de leur existence. Aussi, il n’est pas rare que les visiteurs en ressortent déçus.

«Pragmatisme muséal»

Beaucoup de demeures ayant appartenu à un ou plusieurs artistes sont devenues des musées au cours du xxe siècle. Certaines sont admirablement bien conservées comme la maison familiale de Claude Monet à Giverny ou celle de George Sand à Nohant. Tandis que d’autres, réinvesties plus tardivement, adoptent un aspect plus muséal et moins intime. Bien souvent, œuvres et mobilier ont été dispersés et les lieux profondément modifiés pour répondre à de nouveaux besoins. Ce que l’on pourrait appeler du «pragmatisme muséal» est fréquemment à l’origine des transformations majeures de ces habitations.

C’est le cas notamment de l’appartement de Victor Hugo, qu’il occupe de 1832 à 1848, et de l’hôtel Renan-Scheffer, rue Chaptal, où s’installe le peintre Ary Scheffer de 1830 à sa mort en 1858. Ces lieux ont perdu de leur authenticité au fil du temps et cela n’est pas au goût de tout le monde. Cependant, il est important de prendre conscience des contraintes qu’imposent ces demeures et des difficultés qu’ont les agents du patrimoine à les reconstituer.

Victor Hugo, trois fois célébré

À l’instar du peintre Claude Monet, Victor Hugo est célébré à travers plusieurs bâtisses. La première, se trouve à Paris, place des Vosges, la seconde sur l’île de Guernesey et la troisième au 140, Grand Rue à Besançon. Chacune d’entre-elles s’emploie à représenter une partie de la vie de Victor Hugo. Hauteville House, à Guernesey, est, bien évidemment, le symbole de l’engagement de l’artiste qui va y demeurer pendant quatorze des dix-huit années de son exil, soit de 1856 à 1870. La maison de Besançon, où Victor Hugo est né, se concentre davantage sur sa carrière politique à travers une scénographie très contemporaine tandis que son appartement parisien met l’accent sur ses succès littéraires. Ainsi, on peut y voir son cabinet de travail reconstitué avec la table sur laquelle il a écrit quelques-unes de ses œuvres les plus célèbres. Les murs sont recouverts de tableaux inspirés directement de ses romans et poèmes. Certains sont des dons faits par la famille Hugo comme le tableau Scène de Notre-Dame de Paris d’Antoine Rivoulon peint en 1832. D’autres sont des commandes réalisées spécialement pour le musée, comme Une larme pour un goutte d’eau de Luc-Olivier Merson, qui met en scène Esmeralda donnant à boire à un Quasimodo battu par la foule. Quelques éléments de décors du salon chinois et un meuble du salon rouge viennent des collections de Juliette Drouet. La présence de ces pièces au sein du musée s’explique par l’importance que la comédienne a eue dans la vie de Victor Hugo. Leur liaison de près de cinquante ans a contribué à la naissance du «mythe Victor Hugo» tant elle fut romanesque. Un portrait d’elle, réalisé peu avant sa mort par Jules Bastien-Lepage en 1883, est accroché dans le cabinet de travail à proximité d’un autre portrait, de grande taille cette fois-ci, de l’écrivain.

Tout l’appartement n’a pas pu être reconstitué. La disposition des salles a changé au cours du xixe siècle. Des cloisons ont été abattues et des portes changées de place. Certaines pièces ont donc plus pour objectif de recréer une ambiance plutôt que d’être totalement fidèle à l’originale. Le salon rouge, installé à la place de ce qui était autrefois la salle à manger, en est un parfait exemple ainsi que la chambre de Victor Hugo. Son décor et sa disposition sont basés sur celle qu’il occupait à sa dernière adresse au 50, avenue Victor Hugo à Paris. Cette avenue était connue auparavant sous le nom d’avenue d’Eylau et a été rebaptisée à l’occasion des quatre-vingts ans de l’artiste. Victor Hugo est sans doute le seul écrivain à avoir vécu à une adresse portant son nom.

Le Salon rouge, maison de Victor Hugo, place des Vosges, Paris. Photo Julie David.

Paul Meurice, fondateur du musée et ami de longue date de Victor Hugo, a collectionné très tôt des objets lui ayant appartenu. Il s’agissait principalement de dessins et de manuscrits dédicacés. Il a aussi récupéré quelques meubles de la famille en 1852 au moment où celle-ci quitte Paris pour Jersey. Paul Meurice était l’homme de confiance de Victor Hugo. Il connaissait bien ses œuvres et en a géré l’édition sur le sol français durant les années d’exil de l’écrivain. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il soit l’instigateur de la création d’un musée qui lui rende hommage. Inauguré en 1903, l’appartement place des Vosges a été le premier des trois musées consacrés à Victor Hugo. Trois musées pour un seul homme, cela peut d’ailleurs sembler un peu excessif. Toutefois, cette multiplicité des lieux célébrant la carrière littéraire et politique de Victor Hugo se justifie par l’influence qu’il avait de son vivant et par le caractère exigu des espaces d’exposition. En effet, si les maisons d’artistes proposent souvent un cadre charmant tel qu’un jardin fleuri ou un décor d’intérieur somptueux, elles ne sont pas vraiment adaptées à un grand nombre de visiteurs. Le manque de place oriente la visite, limite les thématiques abordées et la quantité d’objets présentés. Les maisons d’artistes sont de véritable défi autant sur le plan de la conservation que de l’accessibilité.

Médiagraphie 
Maison de Victor Hugo Paris-Guernesey, Paul Meurice (1818–1905), fondateur du Musée, consulté le 13/10/2022.

Margot et Rudolf Wittkower, Les enfants de Saturne : psychologie et comportement des artistes de l’Antiquité à la Révolution française, 1963, chapitre 4.

France TV, Une maison, un artiste, Victor Hugo, une île pour exil, consulté le 06/10/2022.

Cet article a été réalisé lors d’un séminaire de médiation et d’écriture journalistique dans le cadre du master histoire de l’art, patrimoine et musées de l’Université de Poitiers.

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