L’archéologie est un sport d’équipe

Vue d'ensemble du chantier de la Place Charles VII, 2018. Fouille effectuée par F. Gerber, Inrap.

Par Bastien Florenty

Benoît Billy est archéologue à l’Inrap, il revient sur les sites archéologiques de Poitiers, et partage sa manière de vivre et de concevoir son métier.

Poitiers abrite de nombreux vestiges depuis l’Antiquité jusqu’à la période contemporaine, régulièrement mis au jours par les nombreuses fouilles menées par l’Inrap depuis 2002. Chaque découverte est une pièce supplémentaire pour comprendre les contextes antérieurs.

L’Actualité. – Quelles sont les fouilles les plus notables effectuées sur ces vingt dernières années à Poitiers ?

Benoît Billy. – À titre personnel, j’interviens depuis dix ans à Poitiers. J’ai notamment collaboré avec mon collègue Frédéric Gerber qui a réalisé plusieurs fouilles importantes dans la ville, comme celles des Hospitalières et de Puygarreau. De nombreuses fouilles ont été menées en vingt ans, comme récemment place Charles VII, au Jardin des Droits de l’Homme, ou encore place Leclerc. Une fouille isolée n’apporte pas nécessairement un renouvellement important des connaissances sur un ensemble chronologique, mais apporte toujours de nouveaux éclairages. Parfois, c’est seulement après plusieurs années et la réalisation de nouvelles fouilles que nous réalisons l’intérêt d’une opération au regard de celles qui ont suivies. À Poitiers, les différentes fouilles citées mais aussi celle rue du Caillons en 2012 nous permettent de renseigner l’évolution de certains quartiers pour les périodes antique, médiévale ou moderne, et parfois pour les trois.

Qu’avez-vous pu déterminer lors de la fouille place Leclerc, dont vous êtes le responsable d’opération ?

Nos découvertes portent essentiellement sur l’espace funéraire. Nous avons découvert de nombreuses sépultures médiévales et identifié des modes d’inhumation non mentionnés pour cette partie de la place. Nous sommes possiblement en présence de deux ou trois cimetières de différents ordres religieux. Les analyses post-fouille vont nous permettre d’obtenir des datations précises afin de pouvoir affiner la chronologie de l’utilisation de cet espace. Donc ce n’est pas négligeable. Nous avons également pu dégager deux sols antiques bien conservés, qui nous renseignent sur la présence de bâtiments avant la destruction de l’ensemble précédant la construction de l’enceinte au ive siècle.

Vue du chantier du Jardin des Droits de l’Homme lors de la première phase de travaux, juillet 2019. Fouille effectuée par B. Billy, Inrap.

Quelle est l’importance des sols dans la conservation des vestiges ?

La qualité des sols est déterminée par la capacité à préserver ou non les vestiges. Le principal facteur qui agit sur cette conservation est l’érosion, particulièrement en milieu rural, un sol pauvre, au sens sédimentaire, va engendrer une rapide dégradation. En ville, les vestiges sont plutôt bien conservés, car les niveaux stratigraphiques s’établissent clairement, et nous permettent d’avoir accès aux niveaux les plus anciens. Même si depuis les temps modernes, nous avons des destructions assez importantes de niveaux qui auraient pu être préservés.

Quel est la part d’étude bibliographique dans votre travail ?

Il y a plusieurs temps. La phase de terrain concerne le travail archéologique du point de vue technique, c’est la partie visible de l’iceberg. Nous procédons également à un travail important en amont, que ce soit dans la préparation directe de l’opération mais aussi dans l’accumulation de savoirs acquis au cours de notre carrière. Étant urbaniste, je réalise un travail documentaire complémentaire afin d’être en phase avec le site fouillé et l’époque concernée. Puis, vient la phase d’études où nous confrontons nos analyses aux fouilles précédentes. Cette partie est exaltante car nous sommes amenés à élargir nos connaissances, notamment par l’intermédiaire des différents spécialistes, ce qui est toujours enrichissant. Le travail collectif nourrit notre esprit et je trouve cela extrêmement gratifiant. L’ensemble que forme ces différentes phases est ce que j’aime dans l’archéologie, c’est un véritable sport d’équipe aussi bien sur le terrain que par la suite.

Comment votre travail est-il valorisé, notamment avec le public ?

Pour le public, la valorisation peut se présenter sous la forme d’une conférence, d’une exposition ou d’un article dans une revue non spécialisée. Au sein de notre communauté scientifique nous valorisons notre travail par le biais de publications, et de colloques en France et ailleurs. En tant que scientifique, cela fait partie de nos missions. Il est également important de valoriser notre travail auprès du public, car les découvertes ne nous appartiennent pas, elles sont un bien commun. Concrètement, sur les fouilles nous accordons du temps aux riverains pour leur présenter notre démarche, notre travail. Nous essayons également d’organiser des journées portes ouvertes. En ville, chaque fouille est à la vue du public, certaines personnes viennent régulièrement observer nos avancées. Par exemple pour la fouille place Charles VII en 2018, des Poitevins étaient présents chaque jour pour suivre assidument les travaux. Pour nous c’est positif, car nous avons un regard extérieur sur nos pratiques ce qui est toujours intéressant.

Nous interagissons aussi avec un public scolaire et c’est très exaltant ! Les enfants sont émerveillés et complètement désinhibés. C’est rafraîchissant pour nous, ils nous apportent leur regard innocent et nous posent des questions pertinentes. Or, avec l’habitude, nous ne nous posons plus certaines questions qui sont en réalité importantes dans la façon dont nous pratiquons notre métier. 

Intervenant en contexte préventif, la valorisation de notre travail est également indispensable auprès des aménageurs. Il est nécessaire de leur présenter notre travail, car il existe encore certaines personnes pour qui l’archéologie est une punaise dans la chaussure. Même si bien souvent l’archéologie est accueillie avec intérêt et sympathie. Le savoir n’est pas figé, chaque fouille apporte de nouvelles connaissances et nous renseigne sur l’évolution de nos pratiques, de nos cultures. Notre intervention est incluse dans le calendrier des travaux, et l’archéologie existe afin de ne plus interrompre des aménagements pour lesquels des vestiges sont découverts. La loi sur le patrimoine existe et protège notre passé.

Vue d’un ensemble de sépultures médiévales dégagées au sein d’une fosse destinée à recevoir un arbre, place Leclerc mars 2022. Fouille effectuée par B. Billy, Inrap.

Quelle est votre vision de l’archéologie en France ?

Évidemment tout est améliorable, mais nous sommes dans un pays avec une réelle considération pour l’archéologie. Par ailleurs, l’archéologie préventive est dépendante des aménagements, donc tant qu’il y en a, des fouilles sont effectuées. Nous sommes un service public ce qui est également important, car nous sommes indépendants.

Comment devient-on archéologue ?

La voie la plus simple est celle de l’université, avec des études d’histoire ou d’histoire de l’art. Mais différentes disciplines sont pratiquées en plus de l’archéologie classique, comme l’anthropologie, la palynologie (étude des grains de pollens), la céramologie, l’archéozoologie (étude des restes animaux), ainsi les parcours peuvent varier. Toutes ces spécialités sont utilisées au moment opportun, en fonction des sites, et apportent des renseignements primordiaux, pour dater, renseigner les régimes alimentaires, les pratiques funéraires, etc.

Certaines découvertes suscitent-elles chez vous de l’émotion ?

La première fouille à laquelle j’ai participé a déclenché mon envie de devenir archéologue. Depuis, certaines découvertes se sont avérées particulièrement émouvantes, notamment lorsqu’elles touchent au corps, parfois nous pouvons déceler qu’il s’est passé quelque chose de spécial, comme une femme morte en couche, ou une sépulture familiale. Sur la fouille du Jardin des Droits de l’Homme nous avons retrouvé des graffitis sur les enduits peints antiques, certains gestes comme ceux-là apportent de l’émotion, nous imaginons le geste et la personne qui l’applique. Cela donne de la vie là où il n’y en a plus. Les sites préhistoriques sont magiques pour cela, fouiller un foyer c’est se plonger des millénaires en arrière et imaginer les activités qui s’y sont déroulées, avec des modes de vie complètement différents des nôtres, et avec d’autres préoccupations. Ce sont des missions qui nous appellent à plus d’humilité.

Détail d’un graffiti antique retrouvé sur un fragment d’enduit peint sur le site du Jardin des Droits de l’Homme, juillet 2019 (dimension du fragment 10 cm). Fouille effectuée par B. Billy, Inrap.

Pour en savoir plus, lire l’article de Benoît Billy à propos des fouilles réalisées au Jardin des droits de l’Homme à Poitiers en 2019.

Cet article fait partie du dossier 20 ans de l’Inrap.

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