La bande dessinée vêtue et dévêtue 1/2

Véro Cazot, « Betty Boob », Casterman, 2017.

Par Amina Tachefine

La tenue de groom de Spirou, le pull à col roulé bleu du Capitaine Haddock ou bien les collants de Superman sont devenus symboles de ces héros. Nus ou vêtus, que racontent les vêtements des personnages de bande dessinée ? 

Dans le cadre de la huitième édition des Rencontres d’Angoulême, le colloque « La parure du corps » organisé par la MSHS de Poitiers, en collaboration avec le Réseau de recherche régionale en Nouvelle-Aquitaine sur la bande dessinée et coordonné par Frédéric Chauvaud et Denis Mellier, tous les deux professeurs à l’université de Poitiers, a eu lieu le 9 et 10 novembre 2021 au Musée de la bande dessinée. 

Le sous-vêtement comme couronne

Professeur à l’École nationale de commerce à Paris, Hossein Tengour rappelle cette formule qui accompagnera la rencontre pendant tout le long : le vêtement répond au principe de protection, de pudeur et de parure. La tenue du héros, par sa symbolique, informe le lecteur de son appartenance genrée, sociale, politique ou idéologique. Lorsque les êtres humains s’habillent, ils se différencient des animaux. Quant à la mode, elle répond à ce besoin paradoxal de se conformer et de se distinguer. 

Indissociable du corps, le vêtement visibilise le sensible. Lorsque Tarzan paraît pour la première fois en 1929, le roi de la jungle illustre sa majesté par son sous-vêtement en peau de léopard. Tarzan est la genèse du super-héros, souligne Hossein Tengour. Son slip accentue sa virilité, et sera par la suite porté par Zembla, Akim ainsi que Sheena qui ajoutera plus de tissu afin de couvrir sa poitrine. 

Si le slip rouge de Superman rend un hommage à l’homme de la jungle, les tenues des héros de comics sont utilisées afin de mettre en évidence la personnalité et les spécificités du héros. Spider-Man et son costume fait main rappelle le héros débrouillard qu’il est, tandis qu’Iron Man illustre toute son ingéniosité par sa parure high-tech, explique Aymeric Landot, professeur agrégé d’histoire. De plus, le costume permet de transformer les corps en les parant de facultés extraordinaires, et de les protéger. Le logo en forme de chauve-souris de Batman se révèle être une plaque de fer qui protège son sternum. La fiction réalise l’ultime fantasme de la technique.

Bleu, rouge ou jaune, les couleurs primaires sont favorisées lors de la conception du costume. Les couleurs se veulent vives, traditionnellement empruntées au drapeau des États-Unis, tel que l’accoutrement de Captain America, qui paraît pour la première fois en 1940, symbolisant la puissance américaine.

Aymeric Landot distingue les parures passives et actives. Les premières comprennent les costumes, alors que les deuxièmes incluent les armes et gadgets. Ces derniers permettent de personnaliser un peu plus les personnages. Cela nourrit la culture populaire. Les acteurs du marketing l’ont bien compris. Figurines, répliques ou porte-clefs permettent d’enrichir un marché qui ne cesse de se développer.

Le costume ne remplit pas la même fonction selon l’appartenance sexuelle. Le costume de Superman fait office de seconde peau, tandis que celui de Supergirl dévoile son corps pour mieux l’érotiser. Progressivement, le corps du héros subit une sur-athlétisation afin de répondre à l’idéal masculin, alors que le corps de l’héroïne est hypersexualisé afin de conforter le regard masculin. 

Peint, sculpté ou photographié, le corps féminin a longtemps été représenté avec une visée érotique. La bande dessinée est l’héritière de cette tradition. Les héroïnes se retrouvent souvent partiellement ou entièrement dévêtues. Malgré des personnages féminins échappant difficilement à l’hypersexualisation, Elodie Damond démontre que le nu possède une vertu thérapeutique.

Léonie Bischoff, Anaïs Nin. Sur la mer des mensonges, Casterman, 2020.

Publié entre 1976 et 1978, dans le périodique Ah! Nana, Eve est invoquée pendant une séance de spiritisme, tuant son auditoire. Mais Eve n’est vraiment pas coupable, et échappe de la culpabilité héritée du péché originel. La bande dessinée Anaïs Nin. Sur la mer des mensonges de Léonie Bischoff raconte l’histoire de l’écrivaine connue pour ses ouvrages érotiques. L’artiste campe les moments forts de sa vie, notamment son avortement. Quelques planches la représentent s’adressant à son corps dénudé et au foetus qu’il porte. Cet échange lui permet de reprendre le contrôle de son corps et de son existence. Dans Betty Boob, Véro Cazot raconte sa reconstruction physique et psychologique suite à son cancer du sein. Privé de son sein gauche, l’illustratrice Julie Rouchaud la dessine nue, faisant connaissance avec ce nouveau corps pour se le réapproprier. La nudité raconte quelque chose, elle existe pour elle-même. Rejetant l’objectivation, le corps devient sujet.

Véro Cazot, Betty Boob, Casterman, 207.

Sous toutes les coutures

Philippe Baryga, maître de conférences en didactique de l’art à l’École supérieure du professorat et de l’éducation d’Aquitaine, s’est entretenu avec Jean Rouzaud, auteur de La Zone : les aventures modernes de Z Craignos, paru en 1980. Cette BD est au centre du mouvement punk. Z, le personnage principal, s’avère constamment en quête de nouveauté vestimentaire. L’auteur s’intéresse à la mode et à son bref instant de vérité. 

L’essence du mouvement punk se trouve dans le rejet des valeurs et des mœurs de la société. Entre conformisme et originalité, Z change régulièrement de look et se confronte aux regards des autres. Quelques pages évoquent la boutique punk de Vivienne Westwood, la styliste britannique. On y aperçoit la tendance « pirate », popularisée par celle que l’on surnomme « l’enfant terrible de la mode » à Londres en 1980, avant d’arriver dans la capitale française. Inscrit historiquement, les aventures de Z Craignos s’arrêtent suite à la publication d’un deuxième volume en 1983. Selon Jean Rouzaud, le récit se termine quand on n’a plus rien à raconter. 

Ciel ! Mes bijoux ! 

Dans les récits graphiques, le bijou est associé au monde criminel, avance Léonard Pouy, professeur à l’École des arts joailliers, à Paris. Il est là pour être volé, afin de permettre un travail d’enquête, avant d’être retrouvé et rendu à son propriétaire. La série Diabolik en a fait sa spécialité. Le personnage principal, Diabolik, est un voleur spécialisé dans le vol de bijoux, qu’il réalise grâce à ses masques ultra-réalistes et ses nombreux gadgets. La joaillerie devient un support au récit policier. 

Hergé, Les bijoux de la Castafiore, Casterman, 1962.

Le vingt-et-unième album des Aventures de Tintin, Les bijoux de la Castafiore, publié en 1963, propose une autre dimension narrative de la joaillerie. Les joyaux servent de leurre, afin d’égarer le lecteur. Est-ce la camériste de la cantatrice ou bien son pianiste qui sont à l’origine du méfait ? Non, c’est une pie un peu trop orpailleuse ! La Castafiore peut quitter sereinement le château de Moulinsart. Même s’ils sont au cœur de l’intrigue, on ne voit que très peu les bijoux. La cantatrice avoue même que son collier de perles porté au quotidien est de pauvre qualité. Cependant, l’aspect graphique de ses bracelets ou de son poudrier rappelle les créations de Christian Dior. Lorsque Hergé écrit la pièce de théâtre Tintin aux Indes. Le mystère du diamant bleu en 1941, il s’inspire probablement du grand diamant bleu de la Couronne de France, acheté par Louis XIV. Volé en 1792, il avait été retrouvé en 2007 par François Farge, professeur au Muséum national d’histoire naturelle. Il avait été retaillé pour devenir le Hope, nommé d’après les nouveaux propriétaires britanniques en 1824. Le père de Tintin s’inspire beaucoup de sa vie pour écrire ses œuvres, mais également d’éléments du patrimoine culturel. 

Le soucis du détail

Jacques Martin, Alix l’intrépide, Casterman, 1973. 

Une fois les protagonistes vêtus, certains bédéistes font le choix de ne pas détailler le vêtement. Jean-Charles Andrieu de Levis rappelle que pour Daniel Arasse, les petites portions d’un tableau peuvent transformer la lecture de l’œuvre. Alain Saint Ogan avait fait le choix d’inclure le moins de détails possible lorsqu’il réalise Zig et Puce, afin de ne garder que l’essentiel dans l’image. Hergé inclut timidement le pli, afin de souligner les seules articulations de ses personnages. Edgar P. Jacobs texture les vêtements de Blake et Mortimer dans la série du même nom, afin de dynamiser le personnage même lorsque celui-ci est statique. Ces détails accompagnent l’intensité narrative et permettent de rendre visibles les émotions. 

Comme un écho aux drapés des statues en marbre, certains auteurs s’offrent le plaisir du détail. Les planches de Jacques Martin, notamment dans sa série phare Alix, témoignent des codes de la peinture de la Renaissance en dessinant de majestueux drapés. De larges cases sont consacrées à un morceau de tissu où les plis se superposent, reproduits avec rigueur.

Qu’il soit simplifié ou exagéré, le pli raconte un choix graphique qui s’inscrit dans un processus narratif. Il s’adapte ou bien force le corps à s’adapter à lui, personnalisant un peu plus le style de l’artiste.

Pour retrouver le programme du colloque, cliquez ici.
Retrouvez la suite de l’article : S’habiller du récit.

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