Hassen Ferhani – Dans l’intimité de l’abattoir d’Alger

Dans ma tête un rond point, d'Hassen Ferhani.

Dans ma tête un rond-point est le premier long métrage d’Hassen Ferhani. Le documentaire, qui a obtenu le Grand Prix du festival Filmer le travail, brosse un remarquable portrait collectif des employés de l’abattoir d’Alger. Un film poétique qui fait entrer le spectateur dans ce lieu aussi imposant que peu connu, et fait ressortir les espoirs, la lassitude de ces travailleurs de l’ombre.

Par Clément Barraud

L’Actualité. – Comment avez-vous eu l’idée de filmer l’intérieur de l’abattoir d’Alger ?
Hassen Ferhani. – J’ai grandi pas loin des abattoirs qui sont près du centre d’Alger, donc ce lieu m’attirait depuis longtemps. Il y a une imagerie qui est entretenue sur l’abattoir, on est intrigué par cet endroit qui semble en dehors de la vie. Mais à Alger, ce bâtiment colonial qui a été construit en 1898 reste ouvert sur l’extérieur, on peut aller y acheter de la viande en gros, ce n’est pas complètement hermétique. Il est amené à disparaître dans les années à venir donc je voulais garder une mémoire de ce lieu. L’autre raison qui m’a poussé à m’y intéresser était l’envie de faire un documentaire sur les ouvriers. Il y a malheureusement très peu de films sur cette classe sociale dans le cinéma algérien, c’est dommage. Donc j’avais envie de raconter leurs parcours, leurs rêves.

Même si ce film traite d’un abattoir, on est surpris par le peu de scènes montrant les bêtes. Pourquoi avez-vous privilégié le lieu de vie plutôt que le travail en lui-même ?
C’est vrai que les animaux sont le plus souvent hors-champ, même si on les voit un peu. Mon but était de me concentrer sur la vie des ouvriers, montrer comment un lieu de carnage, de mort, pouvait aussi être source de poésie. J’ai senti un potentiel incroyable dès que j’y suis entré pour la première fois. Il y avait de la musique, une lumière particulière, j’ai décidé de faire confiance à ce lieu et aux gens qui l’habitent. Le documentaire est construit comme un huis clos, je suis resté au cœur de leur travail, sans sortir de l’abattoir. Ils travaillent vraiment ensemble, il y a une solidarité incroyable entre eux.

Justement, on les voit jouer, rire, discuter de tout et n’importe quoi…
Complètement. La plupart ne sont pas d’Alger donc ils recréent à l’intérieur un village, avec ses codes, ses clans… J’ai pu capter des moments personnels très forts, comme lorsque Youssef et Hossein, deux jeunes qui reviennent souvent dans le film, parlent de leur rapport à l’amour tout en découpant des peaux de bêtes. Il y a aussi de très vieux personnages emblématiques comme Ali, Amou et ses phrases philosophiques…

Comment s’est construit le lien avec les ouvriers pour en dégager ces portraits ?
J’ai passé deux mois et demi à l’intérieur avec un ingénieur du son. C’était important de rassurer les ouvriers et d’apprendre à se connaître. Je n’ai pas fait de repérages, j’avais toujours la caméra avec moi, ce qui devenait d’ailleurs un sujet de curiosité et de discussion avec eux. On a passé beaucoup de temps à parler, du documentaire en général, de la photographie… Certains étaient méfiants mais dans l’ensemble j’ai été très bien accepté. Plus qu’un film, ça a été une vraie aventure humaine pour moi, j’ai pu apprécier avec eux la vie sur place. Finalement, ce sont deux métiers d’artisans qui se sont côtoyés dans cet abattoir, les ouvriers eux-mêmes et moi, avec ma caméra…

La direction apparaît peu, voire pas du tout, dans le film. Était-ce une volonté de votre part ?
Oui c’était délibéré. Dès le départ, j’avais en tête de montrer les ouvriers, ces protagonistes qui gagnent le Smic algérien et qui sont aux premières lignes de ce qui se passe dans le pays. Cela n’aurait pas donné le même résultat si j’avais interrogé des membres de l’administration. Ces personnes peuvent difficilement parler en leur nom, or je voulais avoir une parole libérée. En étant au plus près des salariés, j’ai pu rester tard le soir pour vivre avec eux leurs moments de solitude, de questionnements. C’est ce que je recherchais.

Dans ma tête un rond-point, de Hassen Ferhani, 1h40. En salle le 24 février 2016.

Hassen Ferhani, photo SAS.

Hassen Ferhani, photo SAS.

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