Georges Bonnet – Être à l’heure de la vie

Couverture du recueil "Juste avant la nuit" de Georges Bonnet, éditions Le Temps qu'il fait, 2016. Sur la couverture, une œuvre de J.M.W. Turner, "Landscape with water", vers 1840.

En hommage au poète Georges Bonnet, nous publions cet entretien qu’il avait accordé à Dominique Truco en 2017 pour le numéro 115 de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine.

Entretien Dominique Truco

Né à Pons en Charente-Maritime en juin 1919, longtemps professeur d’éducation physique à l’université de Poitiers, Georges Bonnet publie un nouvel opus au Temps qu’il fait. Juste avant la nuit bruisse de vie. Quand la poésie est le point d’enlacement entre l’homme et le monde. Une façon de vivre.

L’Actualité. – Dans Juste avant la nuit, on lit «Ce qu’il écrit l’invente» (p. 12). L’invention de soi-même, est-ce cela pour vous l’aventure de la poésie, de l’écriture, d’une vie ?

Georges Bonnet. – Oui, l’écriture m’invente. Elle m’amène bien plus loin que moi-même. L’écriture me fait moi-même. Pour écrire j’ai besoin de lire, j’ai besoin de lire les autres poètes. Un mot peut déclencher en moi des souvenirs. Je vais écrire un texte qui n’a rien à voir avec celui que je viens de lire. J’en fais un poème. J’ai besoin de m’enrichir des autres. Je ne sais plus qui a dit que depuis cinq mille ans, depuis qu’il y a des hommes qui pensent, on n’a plus grand-chose à dire… Je crois qu’on ne se répète pas même si les «thèmes» de l’existence sont les mêmes. Du mot, le poète tire le maximum. Du mot pensé, il fait quelque chose de vivant. Le mot est une rencontre entre le monde, le paysage extérieur, les gens.

Être poète c’est voir les choses. C’est les traduire autrement que ne voit le commun des mortels. Pour aller au-delà, il ne faut pas être sur terre comme tout le monde. Je ne suis plus le même quand j’écris. C’est l’écrivain qui vient au jour. On se dédouble. Parfois je m’émeus moi-même. J’ai écrit Juste avant la nuit dans l’exaltation. Et là, à bientôt 98 ans, ça me manque à un point… de ne plus pouvoir écrire car je ne vois plus.

Un jour que j’étais invité dans une école, un enfant m’a demandé : Monsieur, à quoi sert la poésie ? Je lui ai répondu que beaucoup de gens vivent sans poésie, mais que la poésie, l’art en particulier, la peinture, la musique, la littérature apportent quelque chose de plus qui fait que le bonheur est plus grand de vivre. La sensation de vivre est plus forte. Comment peut-on vivre sans poésie ?

Un courant de sensualité traverse vos œuvres comme une nécessité existentielle…

Oui, j’aime jouir de la vie. J’ai eu une vie pleine. Je pense finalement que j’ai été heureux. Au fond tout part de l’effleurement. Nous sommes effleurés par des milliers de choses qui sont autour de nous. On peut les ignorer ou au contraire être saisi par elles. Le poète capte tout ce qui l’entoure. Il y a tant de jouissance possible dans la vie quotidienne, dans la nature. J’ai toujours été très sensible à l’effleurement qui amène le désir, qui porte la vie en quelque sorte. Poète, j’ai aimé l’amour, c’est-à-dire la pleine conscience d’être vivant et de s’épanouir.
Être poète c’est jouir de tout ce que la vie terrestre peut nous apporter, du soleil qui nous dore la peau… Je me souviens de l’emportement de la vie qui jaillissait. Le désir, la joie de vivre, le plaisir de se dépenser. C’était fou.

Est-ce une chance d’être devenu prof de gym, d’avoir tout le temps magnifié le corps ?

J’ai aimé mon métier. J’ai eu la chance d’être à l’heure de la vie. C’étaient des moments intenses. Je me suis donné. Je n’ai jamais regretté de ne pas être prof de philo. Ce que j’aurais pu être. J’avais aussi une femme exceptionnelle. J’ai aimé ma femme, ce qui compte terriblement. Je suis très sensible à la beauté du corps. J’étais d’ailleurs un bel athlète, bien en muscles et bien en chair. J’étais fier de mon corps. Tout le monde le remarquait, même à 80 ans… le plus jeune de mes fils m’a dit : qu’est-ce que tu peux être fier de ton corps ! C’était au moment d’Un si bel été, nous étions dans l’île d’Oléron. J’étais torse nu, au soleil !

Georges Bonnet. Photo Marc Deneyer.

Juste avant la nuit, de Georges Bonnet, éd. Le temps qu’il fait, 152 p., 18 €

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