Éric Chaumillon — La mer monte sur notre littoral

Benjamin Caillaud - Xynthia, Saint-Clément-des-Baleines, 2010

Avec la montée du niveau de la mer, c’est la question de notre rapport à l’environnement qui se pose avec acuité. Le temps de la conquête est terminé, voici venu celui des arrangements.

Entretien Aline Chambras
L’Actualité Poitou-Charentes n°89 juillet 2010
Éric Chaumillon est enseignant chercheur au laboratoire LIENSs de l’université de La Rochelle et du CNRS, responsable de l’équipe Dynamique physique du littoral, directeur adjoint de la Fédération de recherche en environnement et développement durable, et responsable des Observatoires du littoral et de l’environnement de l’Université.
L’Actualité Poitou-Charentes. – Votre équipe étudie les processus physiques qui agissent sur les zones littorales, depuis plusieurs années. Quelles évolutions avez-vous constatées, notamment sur le littoral Atlantique ? Comment les expliquez-vous ?
Éric Chaumillon. – Premièrement, nous constatons et nous mesurons une élévation globale du niveau des océans, élévation directement liée au réchauffement climatique, lui aussi notoire et quantifié. En effet, le réchauffement de l’atmosphère provoque une dilatation des masses d’eaux maritimes que l’on appelle l’effet stérique et par conséquent une hausse de leur niveau. En outre, le réchauffement climatique cause la fonte des glaces polaires et continentales, ce qui contribue également à l’élévation du niveau de la mer. Toutefois, cette élévation du niveau des océans doit être pondérée par le fait que les côtes présentent des spécificités différentes (c’est une problématique scientifique de notre équipe). Ainsi, il existe des côtes stables, d’autres qui s’effondrent et à l’inverse certaines se soulèvent. Dans le delta du Mississipi aux États-Unis, par exemple, la côte s’effondre, et l’élévation relative du niveau de la mer y est par conséquent très importante. En Charente-Maritime, nous sommes dans une région où la côte est relativement stable : l’élévation du niveau de la mer y est donc plus faible (environ deux millimètres par an). Mais attention, si l’on ramène ce chiffre à une décennie, voire à un siècle, on arrive à une augmentation de 20 à 30 cm du niveau de la mer… Et comme nous constatons par ailleurs que ce phénomène s’accélère, certains scientifiques prévoient une hausse du niveau de l’océan sur le littoral charentais allant de 50 cm à plus d’1 m, à la fin du xxie siècle ! Enfin en Nouvelle-Zélande et au Chili, où certaines côtes ont la particularité de se soulever, pour des raisons tectoniques notamment, le niveau relatif de la mer descend, car la côte se soulève plus vite que la mer ne monte… Par ailleurs notre équipe a également montré, concernant le nord-est de l’Atlantique, que la taille des vagues y est en augmentation depuis soixante ans. Pour certains, ce phénomène est lié au réchauffement climatique. Quoi qu’il en soit, cette modification de la taille des vagues a aussi un effet sur le risque de submersion et sur la morphologie du littoral puisque les vagues en façonnent l’apparence.

Eric Chaumillon, 2010. Photo Hélène de Fontainieu

Le réchauffement climatique influe-t-il également sur la fréquence des événements extrêmes comme les tempêtes qui, elles aussi, ont des répercussions sur la morphologie du littoral ?
Cette question d’un accroissement de la récurrence des phénomènes extrêmes lié au réchauffement climatique est à l’heure actuelle en débat et y répondre rigoureusement m’est impossible. Mais, en Charente-Maritime ou en Vendée, où de nombreux territoires se situent en-dessous du niveau des plus hautes mers (en raison de la poldérisation), dans un contexte où le niveau de la mer monte, ne pas savoir si la fréquence de ces événements naturels va augmenter ne nous empêche pas de tirer la sonnette d’alarme. Car ce dont nous sommes sûrs c’est que des phénomènes de tempêtes, comme celles que nous avons connues en 1999 ou comme Xynthia en février dernier, ont toujours existé et continueront d’exister. Après il s’agit de savoir à partir de quelle fréquence, on dimensionne les ouvrages et on adapte la société aux risques… [su_quote]D’autant que je le répète, dans le contexte actuel de montée des eaux et d’une démographie galopante, notamment sur les littoraux, le risque de voir des phénomènes naturels provoquer des catastrophes humanitaires sera de fait croissant ![/su_quote]

Êtes-vous pessimiste concernant l’avenir du littoral dans notre région ?
Tout dépend de quel point de vue je me place. Si je me positionne selon la logique humaine historique de conquête et de domination de la nature, alors oui je suis pessimiste. Mais si je me situe d’un point de vue écologiste, naturaliste, qui consiste à composer avec la nature, alors non il n’y pas de quoi être pessimiste. Le problème au fond est de savoir jusqu’où la société est prête à aller pour maîtriser la nature. Je pense, par exemple, au cas de Venise, en Italie : si l’homme n’agit pas, cette ville est condamnée à être engloutie. Or, pour sauver ce symbole du romantisme, je sais que l’on choisira de dépenser des millions d’euros. Mais ailleurs, d’autres territoires, eux aussi menacés par la montée des eaux, resteront sur le carreau. En somme, la question que pose la montée du niveau des océans est une question de bon sens : est-on prêt à défendre à tout prix tous les territoires que l’on a gagnés sur la mer ? Ne devrait-on pas évoluer d’un esprit de conquête vers un esprit d’adaptation ?

En tant que scientifique quelle est votre influence dans ces débats ?
Pour influer de tels choix de société, les scientifiques doivent se donner comme mission prioritaire de mieux comprendre les phénomènes naturels pour pouvoir établir des scénarios prédictifs fiables. Pour cela il faut impérativement combler certaines lacunes qui restreignent le champ des connaissances actuelles et la possibilité d’en tirer des conclusions. Or, accéder à un tel savoir est possible, puisque nous avons tous les outils disponibles à l’Université de La Rochelle, de mesure et de calcul notamment, pour avancer. Il ne manque que la mise à dispositions de moyens financiers et surtout humains afin que des recherches ambitieuses et nécessaires puissent avoir lieu.

A propos de Jean-Luc Terradillos
Journaliste, rédacteur en chef de la revue L'Actualité Nouvelle-Aquitaine.

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