Bordeaux et ses Girondins

La réserve des Girondins, saison 1942-1943, avec Henri Garcia et, dans les buts, le capitaine Wert, héros de la Résistance. Coll. François Garcia.

Par Bastien Florenty

François Garcia est médecin et écrivain. La passion des Girondins lui a été transmise par son grand-père, il retranscrit son attachement particulier à son club dans «Ce soir encore Lescure va chanter».

Alors que les Girondins viennent de descendre en deuxième division, le livre de François Garcia Ce soir encore Lescure va chanter permet de se replonger dans l’histoire prestigieuse des marine & blanc et de s’imaginer les scènes de liesses qui envahissent la place de la Victoire un soir de titre en 1985 ou en 1999.

Dans le port de la Lune, un club éclaire la ville, les Girondins de Bordeaux, club mythique créé en 1881, référence nationale qui a vu défiler les plus grandes gloires du football français, les Giresse, Zidane, Tigana, Trésor, Lizarazu, Kargu, Girard, Benarbia, Cantona, etc. Mais si le foot est aujourd’hui une affaire de gros sous et de pouvoir, fut un temps où la passion du jeu se suffisait à elle-même, où l’institution girondine imposait le respect, c’est ce que ressent François Garcia quand il se rend avec son père dans les bureaux du club encore installés au 55 cours Georges Clémenceau : «Il y a un respect du club, une solennité du lieu à laquelle se mêle une décontraction des sportifs.»

L’auteur fait ses premiers pas au Stade municipal accompagnant son grand-père, fidèle supporter. Cette passion transmise de génération en génération n’a pas épargné son père, qui de plus, est joueur de l’équipe première avant que la guerre ne l’éloigne définitivement des terrains. Si l’amour du scapulaire est présent, il n’est pas dupe : «Dès mes premières années, je comprends que l’enfer n’est jamais loin», comment lui donner tort, au vu de l’état actuel du club.

Mais le foot n’est pas un sport comme un autre, il se pratique dans la cour de récréation, avec des sacs en guise de cage, dans le hall d’un immeuble, entre deux portes ou sur la plage. Cette passion il la vit comme bon nombre d’enfants. Il s’attache aux Girondins, on lui raconte le premier titre de champion de France en 1950, alors qu’ils remontaient juste de deuxième division. «Les noms magiques, André Gérard, Jean Swiatek, René Gallice, de Harder et Kargu surtout.» Lui, né un an plus tard, en 1951. Une époque où l’on «découpe dans le journal la composition des équipes», où le foot est au début de sa professionnalisation. Puis viennent des années peu glorieuses pour le club, qui s’empêtre dans le championnat de seconde division avant de remonter en 1962 dans l’élite. Le club est stabilisé, se porte mieux, et fait partie des prétendants au titre sous l’impulsion de «Didier Couécou, Bordelais de naissance» ou de Carlos Ruiter, premier Brésilien. L’auteur prend plaisir à citer les noms représentants une époque, une génération, tout amateur de foot sait à quel point l’attachement aux joueurs est fort, une image d’un but, d’un drible, d’un soir.

L’expérience du stade

Vivre l’expérience de supporter, c’est vivre celle du stade. D’abord sous le nom de Stade municipal, puis parc Lescure et stade Chaban-Delmas. Cet antre si particulier pour toute une région, à l’architecture unique, est la résidence des Girondins et de ses plus grandes gloires, mais il accueil également des années durant les exploits des cyclistes pédalant sur la piste qui entourait la pelouse, sous les yeux de François Garcia. Ses souvenirs sont nombreux, et nous plongent avec lui dans une ambiance singulière.

Comment évoquer le Girondins de Bordeaux sans parler de la période Bez, ce président ambitieux qui permet au club de se hisser au premier plan national durant la décennie 1980, et de connaître ses plus belles lettres de noblesses. L’époque de «Giresse, le surdoué», le prince de Lescure, qui fait lever les foules au fil de ces dribles, une élégance rare, son joueur favori. François Garcia sera médecin du stade dans ces années-là, et appréciera de près les exploits de ses joueurs fétiches. Un soir d’avril 1985, la grande Juventus de Platini se rend au Parc Lescure pour la demi-finale retour de la coupe des clubs champions. Ce soir-là, 42 000 personnes s’amassent dans les travées du stade, c’est un record d’affluence jamais battu. Certainement le point culminant de l’histoire du club au scapulaire.

Henri Garcia, le père de François, en 1942.
Coll. François Garcia.

Quelques années après, le club descend en deuxième division suite à une gestion financière controversée, Bez est remercié, Afflelou prend les rênes du club, les jeunes Dugarry et Lizarazu restent au club, remontent directement en première division et accueillent un certain Zinedine Zidane dans l’effectif. Cette équipe marque les esprits pour son parcours en coupe de l’UEFA, menée 2–0 à la suite du quart de finale aller, ils renversent le Milan AC de Maldini et Desailly 3–0 dans un Lescure en fusion.

Depuis, deux titres de champions de France sont venus garnir l’armoire à trophée en 1999 et 2009. Deux souvenirs mémorables, deux générations exceptionnelles, les Benarbia, Laslandes, Micoud, Wiltord, puis les Chamakh, Gourcuff, Planus, Fernando, Wendell. Entre ces deux titres, dix années se sont écoulées, alternant le bon et le moins bon.

Ultramarines, garant du club

Le supporter des Girondins est «bordelais dans ses réflexions, ses exigences, possède une tonalité monocorde pour râler, ronchonner, un long grommellement, un agacement, une impatience mal contenue qui va rarement jusqu’à l’explosion», cela l’a toujours été, les tribunes ont parfois du mal à se remplir, il faut bien l’avouer. «D’autant que Bordeaux a la réputation parfois juste, parfois erronée, de posséder un public réservé, capable de prendre volontiers ses distances et, même si la présence du carré des fidèles, sans lequel un club n’existe pas, est inaliénable.» La tribune sud, populaire depuis l’origine, donne de la voix, encourage ses joueurs, les ultramarines sont un acteur incontournable de la vie du club, s’érigent en garant des valeurs du club.

L’épopée européenne de 2009–2010 est le «dernier véritable moment d’enthousiasme girondins, derniers embrassements à Lescure». Depuis ce parcours arrêté en quarts de finale de la Ligue des champions, c’est une longue descente aux enfers. Lescure a été délaissé pour «un nouveau stade architecturalement beau, mais sans l’âme de Lescure», et fait aujourd’hui le bonheur de l’Union Bordeaux Bègles, l’autre club de la ville, celui de rugby, qui attire les foules chaque week-end, contraste saisissant avec le Matmut Atlantique.

Longtemps, Bordeaux a été «la belle endormie» pendant que son club brillait en France et parfois en Europe. Il semblerait aujourd’hui, que ce soit aux Girondins de s’endormir, espérons que ce ne soit que temporaire. En attendant, replongeons-nous un instant dans l’enthousiasme du jeune supporter : 

«Ça fuse, j’ai six, sept, huit ans, je ris de bon cœur de cette réjouissance, ils ont l’air contents et tous ensemble, c’est magnifique, et puis, au Stade municipal, les joueurs sont proches, on distingue leurs expressions, on peut les entendre, entendre aussi le bruit su shoot, du pied contre le cuir, le ballon propulsé, arrêt du gardien, clameurs, ou bien, trop tard, le gardien ! ras de terre ou dans la lucarne, but !»

Ce soir encore Lescure va chanter de François Garcia, Médiapop éditions, collection le club des écrivains, 88 p., 9 €

“Ce soir encore Lescure va chanter” de François Garcia, Médiapop éditions.

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