À la recherche des mégalithes en Haute-Vienne
Par Agathe Boé Photo Benoît Château
Une grande diversité de paysages de forêts, de rivières et de landes caractérise la Haute-Vienne. Ces lieux propices à l’imaginaire recèlent de vestiges anciens souvent peu mis en lumière. On y recense en effet une soixantaine de mégalithes, dont 39 dolmens et 21 menhirs. Beaucoup ont été détruits tandis que d’autres ont subi l’usure du temps et de la végétation. «Mégalithe» vient du grec et signifie «grande pierre». Ce terme se décline en deux types : le dolmen, composé d’une table de pierre reposant sur des orthostates et formant une sorte de chambre, et le menhir, une longue pierre érigée à la verticale pouvant être regroupée en alignement ou en cercle avec d’autres. Les dolmens sont des monuments funéraires pouvant contenir plusieurs corps tandis que les menhirs revêtent une fonction de signal, de délimitation.
Ces vestiges ont suscité l’intérêt prononcé du couple Château qui est parti à la recherche de ces traces préhistoriques. Josette Marteau-Château a exercé en tant que psychologue clinicienne et psychothérapeute avant de s’intéresser à l’archéologie et à la période néolithique, domaines qui ont toujours suscité son intérêt. Benoît Château, lui, est avocat de profession à Poitiers. En parallèle, il développe sa passion pour la photographie et préside notamment un groupe de photographes, les XV du Poitou.
Le couple est alors parti à la recherche de ces mégalithes et a confectionné un véritable parcours photographique. L’ouvrage Dolmens et menhirs de la Haute-Vienne. Légendes et promenades fait suite à un premier sur les mégalithes dans la Vienne publié aux éditions La Geste en 2021. À propos du premier ouvrage, Josette Marteau-Château confie : «Nous avons commencé à faire cela pour notre plaisir, nous allions les visiter selon le temps, nos disponibilités et puis comme nous n’avions pas beaucoup d’expérience, nous en avons cherché parfois quatre fois.» Benoît Château ajoute qu’il y avait aussi le plaisir de la promenade.
C’est au hasard d’une consultation Internet à la recherche des mégalithes pouvant avoir été construits en bordure de la Vienne que leur est venue cette idée. Surprise totale : environ 80 mégalithes sont recensés dans le département. Ils se sont alors mis à les chercher, «ce qui fut un jeu parce qu’en ce temps-là les indications données n’étaient pas complètes, il n’y avait pas la géolocalisation, les indications étaient imprécises et des monuments étaient cités sur plusieurs communes, avec des noms différents. Il a donc fallu faire en amont un travail de débroussaillage pour savoir où ils étaient situés. Ce que nous essayons de faire c’est un inventaire le plus exhaustif possible de ceux qui restent. Nous les avons tous cherchés», explique Josette Marteau-Château. Les dolmens ou menhirs sont répertoriés selon leurs zones géographiques et les auteurs indiquent pour chaque monument son emplacement ainsi que les routes et chemins pour y accéder. S’en suivent une description et les légendes associées.
Un long travail de recherche basé sur les écrits anciens fut nécessaire avant de partir enquêter sur le terrain. Au xixe siècle, un certain nombre d’amateurs se sont mis à rechercher les mégalithes et à les décrire. Ils ont également collecté les légendes et les superstitions qui les accompagnent. Franck Delage et Martial Imbert ont beaucoup produit au xixe siècle et sont régulièrement cités dans l’ouvrage. Ces fouilles ont permis la datation des vestiges et leur classement, pour quelques-uns, Monuments historiques, leur évitant parfois la destruction. En Haute-Vienne, 29 sont classés ou inscrits sur la liste. Ces titres leur permettent d’être sauvés de l’oubli et parfois restaurés.
Le couple aime à rappeler les mots de Victor Hugo prononcés en 1825 : «Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient à son propriétaire, sa beauté à tout le monde : c’est donc dépasser son droit que de le détruire.» Les mégalithes ont subi pour la plupart de nombreux pillages, des dégradations voire des destructions. Ils conservent cependant un statut particulier, éveillant la crainte chez certains en raison des superstitions. Ces constructions possèdent une «beauté énigmatique stimulante pour l’imagination», bien loin des canons classiques. Les légendes racontent qu’ils ont été élevés par la Vierge, des saints, des fées ou encore des diables. Benoît Château précise cependant que «la tradition orale est complètement perdue car pour beaucoup, ce sont des tas de pierres et finalement les légendes qui se raccordent à ces pierres datent du Moyen Âge». Elles n’ont cessé d’évoluer avec les époques car les monuments sont réappropriés par les différentes civilisations et elles n’ont donc finalement rien à voir avec l’histoire originelle de ces pierres-là.
Les auteurs resituent au début du livre l’histoire des mégalithes, ce que l’on pensait et ce que l’on a appris avec le temps. On sait dès lors qu’il s’agit de sépultures datant de l’époque du néolithique, c’est-à-dire entre le ve et le iiie millénaire avant J.-C. Pour n’en citer que quelques-uns parmi la longue bibliographie de l’ouvrage, les travaux contemporains de Vincent Ard, archéologue du néolithique ayant travaillé sur le mégalithisme en Poitou-Charentes, de Jean Guilaine ou encore de Jean-Paul Demoule ont permis aux auteurs de constituer leur recueil. Les artéfacts (outils, pointes, tessons, perles…) retrouvés lors des fouilles ont permis une datation assez précise de ces constructions. Josette Marteau-Château rappelle l’histoire de cette civilisation néolithique, ses caractéristiques et son développement. Elle évoque l’aspect impressionnant de telles constructions avec les moyens très rudimentaires de l’époque face à ces roches gigantesques.
«L’attrait historique est central, dit-elle, il présente un fort intérêt pour comprendre ce qui nous arrive, ce qui est transmis et savoir d’où l’on vient. Ce que les archéologues ont montré, c’est que le choix des pierres n’était pas anodin.» Même si son mari est sceptique, elle poursuit en expliquant : «Ils décrivent que dans un monument on retrouve des orthostates qui ne viennent pas du même endroit. L’hypothèse des archéologues qui travaillent dans le nord du département, c’est qu’il s’agissait de choix esthétiques.» Ce qui intéresse Josette Marteau-Château, ce sont les détails et comment ces monuments ont été construits. «Finalement, comme on sait peu de choses parce que l’artisanat a été avalé par la terre, explique-t-elle, ces vestiges sont les exemples les plus pérennes d’architecture de ces civilisations anciennes.»
Pour Benoît Château, c’est le résultat qui compte, il ne s’intéresse qu’à l’aspect esthétique de ces monuments. Selon lui, les mégalithes sont des grosses pierres qui ont la puissance d’émouvoir, quel que soit leur endroit. Son épouse le rejoint et indique qu’ils ont «développé un intérêt, pour moi plus qu’historique, mais vraiment esthétique parce que ces monuments sont vraiment changeants, ils sont sculptés magnifiquement par l’érosion et par la lumière. De plus, il y a l’emplacement, la situation dans le paysage que je trouve intéressant, qui permet parfois d’imaginer, ils sont quand même dans des endroits la plupart du temps isolés donc ça fait gamberger l’imagination».
La parcours photographique débute au nord du département. Cet ouvrage a vocation de donner envie au lecteur de se rendre sur ces traces. Pour cela, le couple a consacré 54 jours aux prises de vues. Il est parfois nécessaire de se rendre à plusieurs reprises sur un même site selon l’éclairage car les monuments ne sont pas tous orientés de la même manière. Le couple se déplace alors à plusieurs moments de la journée et à différentes saisons. Ils durent par exemple visiter à sept reprises le dolmen de la Bouéry à Mailhac-sur-Benaize car il fut difficile à photographier, l’endroit étant très sombre.
Ces monuments se trouvent souvent dans les bois ce qui rend leur accès parfois difficile comme pour le menhir de Fontalino. «Le menhir existe, mais il est actuellement inaccessible», explique Josette Marteau-Château. Le dolmen de la Pierre Soupèze à Peyrat-de-Bellac est lui aussi noyé dans la végétation. Il est bien connu par plusieurs cartes postales du xxe siècle mais la nature a évolué rendant l’accès dangereux. Ils n’ont également pas pu photographier certains monuments tel que le dolmen de la Villedieu car le propriétaire ne les a pas autorisés.
Il n’y a pas de recherches actuelles ou récentes sur ces vestiges excepté pour le menhir du Fournial à Bussière-Galant. Ce menhir est couché en deux blocs aujourd’hui. Cette pierre longue fut découverte en 1992 et, en 2016, l’archéologue Emmanuel Mens a confirmé qu’il s’agissait d’un menhir. Des fouilles ont été reprises en mai-juin 2021.
Malgré l’engouement de ce couple à l’égard de ces monuments, quelques déceptions sont inévitables. En effet, Benoît Château confie avoir été déçu du menhir de Reulie à Vayres : «Je ne ressens rien, il est lisse, il ne prend pas la lumière.» Son œil de photographe influe beaucoup sur sa perception des mégalithes et la lumière détient un rôle primordial.
Dolmens et menhirs de la Haute-Vienne. Légendes et promenades de Josette Marteau-Château et Benoît Château, La Geste, 255 p., 29,90 €
Mégalithes de la Vienne. Promenades et légendes de Josette Marteau-Château et Benoît Château, La Geste, 210 p., 29,90 €
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