Mystérieux Mésolithique

La sépulture mésolithique de Casseneuil en cours de fouille. Le travail minutieux des archéologues, utilisant aspirateur et outils de dentiste révèle la position des ossements qui traduisent les pratiques funéraires et les conditions de dépôt des squelettes et des offrandes.

Par Bastien Florenty

Casseneuil préservait un précieux trésor. En 2021, une sépulture double, vieille de 11 000 ans a été exhumée par l’Inrap. Les secrets qu’elle dévoile permettent d’enrichir nos connaissances sur cette période encore floue. Entretien avec Frédéric Prodéo, responsable d’opération.

Une sépulture de 11 000 ans a été découverte à Casseneuil dans le Lot-et-Garonne lors d’un diagnostic archéologique mené par Anne Pons-Métois en 2008. En 2021, une fouille dirigée par Frédéric Prodéo a révélé que cette tombe contenait deux individus. Le travail minutieux effectué par huit agents de l’Inrap apporte des informations précieuses sur une période pauvre en vestiges funéraires. Cette sépulture est datée par le Carbone 14 de la plus vieille période du Mésolithique, au début des temps post-glaciaires : le Sauveterrien. Elle doit son nom à la commune de Sauveterre-la-Lémance située à une cinquantaine de kilomètres de la fouille.

L’Actualité. – Quelles sont les particularités et l’importance de ce site ?

Frédéric Prodéo. – Suite au diagnostic archéologique réalisé en 2008 par Anne Pons-Métois, divers vestiges ont été découverts, dont une incinération de l’âge du Fer et une sépulture présentant un individu inhumé dans une position inhabituelle. En raison de ces découvertes, une fouille a été ordonnée en 2021 par le Service régional de l’archéologie, sur environ 2 000 m², avant la construction d’une maison. Nous avons étudié les sépultures, et particulièrement celle contenant les ossements. La sépulture est étroite, elle mesure 1,20 m de long, 80 cm de large et 1 m de profondeur. Un corps est disposé au fond de la fosse, adossé à la paroi, les jambes fléchies et appuyées contre le bord de la fosse. Mais nous avons également retrouvé dans cette sépulture le squelette incomplet d’un second individu, dont son crâne et quelques os longs. Cela est inattendu, et montre que les ossements d’un premier défunt ont été prélevés dans sa tombe pour être déposés dans la sépulture d’une personne décédée bien plus tard. La présence de cette sépulture datée de 11 000 ans, appartenant au Mésolithique, représente l’intérêt majeur de la fouille car peu de vestiges funéraires de cette période sont connus à ce jour.

Pourquoi les sépultures du Mésolithique sont-elles rares ?

La rareté des tombes mésolithiques s’explique certainement par des pratiques funéraires différentes selon les individus. Pour la plupart, elles ont été réalisées dans des conditions ne permettant pas leur conservation jusqu’à aujourd’hui, alors que certaines, plus rares comme celle de Casseneuil, nous sont parvenues. Il faut savoir que cette période correspond à la fin des modes de vie nomade. Les individus sont encore des chasseurs-cueilleurs, organisés en petits groupes qui se déplacent fréquemment avec leur campement, sur des vastes territoires, en utilisant peut-être des travois, qui est une sorte de traîneau attelé. Nous retrouvons régulièrement des traces de leur passage, mais ce qui est plus rare, c’est la présence de sépultures. Sur les 5 000 ans d’histoire que représente cette période, seulement une cinquantaine de sépultures sont référencées, soit seulement une sépulture par tranche de cent ans.

En quoi le site de Casseneuil renseigne-t-il sur les pratiques funéraires du Mésolithique ?

Au vu du peu de sépultures connues pour cette période, chaque élément apporte nécessairement des informations inédites. Ici la fosse a été creusée dans un sédiment limoneux et en-dessous nous retrouvons des graviers qui composent la nappe fluviatile de la Lède. La fosse a creusé les graviers de cet affluent du Lot, mais nous n’en retrouvons pas dans le remplissage de la tombe, ce qui est une information importante, car cela indique qu’ils ont certainement été utilisés pour marquer la présence de la sépulture. Ce balisage est a été nécessaire pour la repérer et pour pouvoir collecter les ossements destinés à accompagner le second défunt. Mais nous pouvons également penser que ce balisage est important pour d’autres pratiques, notamment pour s’y recueillir à l’occasion d’un nouveau passage du groupe dans les parages. Une manipulation de squelette au Mésolithique a déjà été observée sur d’autres sites comme à La Chaussée-Tirancourt dans la Somme, donc ce n’est pas une nouveauté. Seulement, il s’agissait du déplacement d’un seul squelette retrouvé en partie et inhumé en deux temps.

La sépulture en fin de fouille, montrant un individu en connexion adossé au rebord de la fosse avec les jambes fléchie et accompagné du crâne et de quelques os longs d’un individu décédé avant lui déposés sur ses jambes.

Quel était le type de sépulture ? Les corps sont-ils inhumés dans un endroit colmaté ou ouvert ?

Pour répondre à cette question, nous avons travaillé avec Isabelle Souquet, anthropologue-biologiste. Elle a pu déterminer que le corps s’est décomposé dans un espace ouvert suffisamment longtemps pour que les chairs aient le temps de se décomposer. Ainsi, le crâne est affaissé sur la poitrine, ce qui ne serait pas possible si le corps avait été inhumé en pleine terre, ce qui aurait maintenu la tête dans sa position initiale. Trois objets significatifs ont été retrouvés dans la fosse, un fragment de mandibule de cheval, une vertèbre de cerf et une vertèbre de sanglier. Ils ont été déposés intentionnellement, mais ne sont pas manufacturés. Cela peut paraître trivial aujourd’hui, mais ils sont porteurs d’une symbolique certaine et constituent une offrande. Notre interprétation est limitée à ces observations et à nos connaissances actuelles.

Grâce au travail anthropologique, avez-vous pu déterminer les caractéristiques des individus enterrés et la cause de leur mort ?

Ces études menées par Isabelle Souquet sont en cours. Nous ne connaissons pas encore le sexe, ni l’âge précis des deux individus. Cependant, nous pouvons affirmer que l’individu dont le squelette est entier, est décédé entre 35 et 40 ans, et qu’il était dans un mauvais état de santé. Il a été victime d’une fracture de la mandibule et du tibia, dont les traces de consolidation sont lisibles. Plusieurs abcès dentaires, une importante arthrose vertébrale et une fracture du crâne ont également été observés. Cette dernière blessure est potentiellement la cause de la mort. Mais il n’est pas impossible que cette fracture soit survenue au moment de l’inhumation du corps lorsque le couvercle de la tombe s’est affaissé. Les examens anthropologiques permettront peut-être de déterminer la cause de la mort, mais pour le moment nous n’avons aucune certitude. Cela dit, nous touchons les limites du savoir pertinent pour un archéologue. Ce que je cherche, c’est surtout de renseigner les pratiques funéraires, les modes de vie, tout ce qui a une portée anthropologique et sociologique pour cette période.

Quelle est la place de ces individus au sein des groupes nomades ?

En raison de sa rareté, nous sommes certains que la pratique de l’inhumation était réservée à des personnalités singulières au sein des groupes mésolithiques.  Mais quel était leur statut ? Plutôt élevé dans la hiérarchie sociale, ou bien le contraire ?

Si l’on s’autorise à aller au-delà de ce que les faits archéologiques nous permettent de démontrer, on peut imaginer que ce sont des chamanes bénéficiant d’un cérémoniel hors norme. Ou bien au contraire, que ce sont des parias, des maudits, exclus des pratiques funéraires communes.

On atteint là les limites de ce que les observations brutes nous permettent d’affirmer et il faudra attendre d’autres découvertes plus éloquentes pour progresser dans ces interprétations.

Cet article fait partie du dossier 20 ans de l’Inrap.

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