André Léo – Communarde en province
Par Héloïse Morel
André Léo (1824–1900), née Victoire Léodile Béra à Lusignan, était une républicaine, socialiste. Grégoire Champseix, son époux, a été proche d’un des pionniers du socialisme Pierre Leroux (1797–1871, installé à Boussac dans la Creuse). Il était peu envisageable de ne pas évoquer cette journaliste et romancière à l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris. André Léo a participé aux côtés de plusieurs communardes dont Louise Michel, aux événements parisiens. Elle signe notamment l’appel des citoyennes le 26 avril 1871 où elle enjoint les femmes à venir en aide aux blessés des barricades. Connaissant bien la campagne poitevine, elle écrit abondamment pour relayer «la vérité» sur les faits qui se déroulent à Paris, dénonçant la domination exercée sur la presse par les Versaillais (le gouvernement d’Adolphe Thiers). Elle a donné une série de conférences à Poitiers et Limoges, notamment. Elle écrit notamment pour le journal La Sociale et ce sont deux articles que nous proposons de découvrir ou de relire. La plume acerbe de la féministe communarde apporte une vision encore vivante de cet événement historique.
Vous pouvez retrouver plusieurs articles à propos d’André Léo parus dans des numéros de la revue pour en savoir plus sur sa vie.«André Léo : Journaliste féministe de la Commune» par Charlotte Cosset, n° 94 de L’Actualité Poitou-Charentes, 2011.«André Léo : Liberté, égalité, sororité» entretien avec Cecilia Beach par Charlotte Cosset, n° 105 de L’Actualité Poitou-Charentes, 2014.
«La Communarde André Léo par Joseph Tourtin» par Jean-Pierre Bonnet, L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, février 2021.
«André Léo, rebelle obstinée» par Michelle Perrot, L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, n°131, 2021.
Retrouvez une partie des œuvres numérisées d’André Léo sur Gallica et de plus amples informations sur le site de l’Association André Léo. Ces textes sont extraits de Écrits politiques par André Léo, éditions Dittmar, 2005.
Appel aux consciences
(après lecture de la circulaire de M. Thiers)
N’est-ce pas temps, enfin ? Une telle conspiration contre le bon sens et la vérité réussira-t-elle en plein xixe siècle ? Le mensonge officiel va-t-il régner sur le silence absolu de la conscience ? La France va-t-elle s’abîmer dans les ténèbres ? Avons-nous le jour ou la nuit ?
Si la province n’était pas ce qu’elle est : d’un côté, une masse ignorante, capable de tout croire ; de l’autre, une coterie de haines et de préjugés, ennemis naturels de la vérité par son culte pour les vieilles idées ; entre ces deux termes, une classe moyenne, plus ou moins lettrée, plus ou moins généreuse et portée vers les idées nouvelles, mais dépendante et timide est neutralisée par la crainte de se compromettre. Si la presse et la parole vivaient en province, de leur propre vie, si la réflexion n’y était trop rare et trop isolée, le fait seul de traiter la capitale du monde en pestiférée, de supprimer toute communication de lettres et de journaux, suffirait à faire juger un gouvernement. Vous avez peur de la vérité, donc vous mentez !
Les calomnies les plus honteuses, en effet, ont été répandues en province par les journaux de Versailles. Et maintenant que la durée de cette lutte inquiète enfin, agite la province, ébranle son préjugé, lui fait pressentir l’importance des revendications de Paris ; maintenant que les villes envoient à Versailles parler de médiation, le bombardeur de Paris annonce, presque en souriant, à la province, que tout cela est insignifiant, qu’il n’y a vraiment pas à s’en préoccuper, que si quelques coups de canons se font entendre, c’est pure feinte de la part des insurgés, qui veulent faire croire qu’ils combattent, n’osant se faire voir.
Il affirme ceci encore : on vide les principales maisons de Paris pour en mettre en vente les mobiliers, etc. Laissera-on donc cet infâme vieillard déshonorer Paris, d’une parole froidement envenimée tandis que le sang coule et que de braves citoyens des pères de famille, se font chaque jour mutiler et tuer pour la liberté ? Veut-on que la province et Paris deviennent enfin plus étranger l’un à l’autre, plus ennemis que ne le sont des peuples rivaux ?
Veut-on attendre que la barbarie des campagnes se rue sur la civilisation des villes et l’étouffe ? Que Paris tombe sanglant, martelé sous le sabot ferré du paysan ? C’est là pourtant le complot monarchique tramé depuis le 4 septembre suite des affaires de l’Empire, favorisé par l’isolement de Paris pendant le siège, entretenu d’ores et déjà par la calomnie et près d’aboutir enfin.
On vend la France, Paris est le seul obstacle, donc, écrasement de Paris. Voilà le plan en trois mots.
Mais quand il n’y aurait pas là un intérêt de vie ou de mort pour tout humain qui veut être libre, tous ceux qui sont doués d’une conscience ne sentent-ils pas que la vérité est le plus sacré des intérêts et le plus respectable des droits ? Voilà la religion de tout cœur honnête. Celui-là seul est athée qui ne l’a point.
Qu’un élan d’honnêteté, d’indignation, suscite donc une action prompte, énergique, en faveur de la vérité. Qu’on se réunisse, qu’on se cotise, qu’on se dévoue. Qu’un rapport succinct, impartial des faits, soit porté deux fois par semaine en province et publié, soit dans un journal spécial, soit adressé à tous les journaux des départements. Que des noms respectés signent ce rapport. L’Union républicaine semble l’agent indiqué de cette action. Qu’elle se hâte !
Il ne s’agit ni de soutenir, ni de combattre la Commune. Il s’agit de l’intérêt suprême de toute nation, de tout homme, la vérité. Des bases fausses ne peuvent préparer que des bouleversements ; le mensonge, les malentendus, ne peuvent que prolonger et envenimer la guerre civile. Les hommes du gouvernement révolutionnaire ont leurs défauts, leurs erreurs, soit ! Mais ils n’en soutiennent pas moins, à leurs risques et périls, la grande, la vraie, la seule révolution sérieuse de ce siècle ; la rupture de l’enveloppe monarchique, dans laquelle la révolution naissante étouffe depuis plus de 70 ans.
Le succès final de cette cause n’est pas douteux mais il peut être plus ou moins long, plus ou moins douloureux, plus ou moins sanglant, suivant que l’emporteront momentanément la vérité ou le mensonge. Le silence est lâcheté en une crise si grave. À l’œuvre donc, toute conscience honnête pour la vérité.
André Léo, La Sociale, 23 avril 1871.
Bonjour, Merci pour ce article sur les Femmes de la Commune.….