« Si je viens à la pharmacie, c’est pour sortir »

Pharmacie. Photo Noémie Prébonnaud.

Par Noémie Prébonnaud

17 mars 2020, marche vers l’inconnu, mise en place des nouvelles réglementations sanitaires, gestion du stress : le nôtre, à la pharmacie, et celui imposé par les autres. Je me souviens encore de cette vague de panique, des patients qui n’arrêtaient pas d’affluer depuis la veille, depuis qu’ils avaient compris que la vie allait changer, et ce, pendant une période indéterminée. Il y avait une file d’attente jusque sur le parking et cela toute la matinée, sans interruption.

12 h, arriva le début d’une nouvelle vie. Le confinement commençait. Il n’aura pas été synonyme d’ennui pour ma part. En effet, il fallait être tous les jours présent à la pharmacie et gérer l’évolution perpétuelle des réglementations sanitaires qui pouvaient aller dans un sens une journée, et dans le sens inverse à la fin de la semaine notamment pour la gestion des masques pour les professionnels de santé. Il fallait aussi gérer la colère et les interrogations des patients quant aux ruptures pour les masques, les gants et les thermomètres ainsi que pour un grand nombre de médicaments. Ils avaient l’impression qu’on les abandonnait et nous étions impuissants.

Des inquiétudes variées

Finalement, le confinement aura été plutôt synonyme de rebondissements avec des profils de patients allant d’un extrême à l’autre.

Mme B, septuagénaire au visage fermé, cheveux grisonnants et parsemés, des lunettes pour durcir les traits, la démarche dandinante, toujours avec ses sacs à la main. Pas de sourire ni de bonjour au rendez-vous. Une femme plutôt sèche me direz-vous ? Et pourtant, Mme B n’était pas la dernière à vouloir plaisanter. Elle était maligne. Elle m’a confié, avec un petit sourire en coin : «Vous savez, si je viens à la pharmacie, c’est pour sortir.» Mme B avait trouvé la combine pour détourner le confinement qui était, je crois, plus une contrainte qu’une inquiétude pour elle et ce n’était pas la seule.

Femme de 30 ans, élancée, avec une queue de cheval et le sourire, pas du tout pressée. Elle venait récupérer son traitement immunosuppresseur pour son asthme. J’entendais ma titulaire crier derrière : «Il faut vite servir cette dame, elle est asthmatique sévère.» Elle est venue lui rappeler qu’elle était une personne à risque et qu’il fallait qu’elle limite ses sorties mais, en réalité, ma titulaire s’inquiétait plus pour elle que cette femme elle-même qui m’a dit : «Ne vous inquiétez pas, ça ne me fait pas peur.» Si cette patiente ne s’inquiétait pas, d’autres patients l’étaient pour deux personnes voire plus.

Femme d’environ 50 ans aux cheveux bouclés, attachés, légèrement repliée sur elle-même, totalement terrorisée par la situation. Elle venait pour faire renouveler son ordonnance. Chaque geste était calculé, le moindre contact évité. Elle me disait, en commençant à partir : «Vous allez peut-être trouver ça bête mais quand je vais rentrer, je vais tout de suite prendre une douche.» J’essayais de la rassurer mais rien n’y faisait, je crois que cette dame était impatiente de se réfugier chez elle. Elle me répétait : «J’essaie de sortir le moins possible, et à chaque fois que je sors, je vais tout de suite prendre une douche et tout laver.» Si certains ont découvert l’hygiène, d’autres sont devenus pour le moins excessif.

Lavage obsessionnel

Homme, plutôt jeune et fort, la peau blanche avec absence de barbe, portant des lunettes, vêtu d’un t‑shirt large et d’un jogging noir. Il venait chercher une crème pour les mains. Avec les recommandations sur le lavage des mains, de grosses irritations s’étaient installées. Je m’entends encore lui dire : «Une fois que vous rentrez chez vous, vous vous lavez bien les mains, vous le faites avant de manger et en sortant des toilettes mais ce n’est pas nécessaire de vous les laver à chaque fois que vous touchez un objet.» Il me répondit «Ah bon !» d’un air totalement perdu. Je crois que l’anxiété de la situation avait conduit à un lavage obsessionnel.

Le confinement aura été également une période d’attention particulière pour nos amis les bêtes avec des demandes très fréquentes de vermifuges et de produits antipuces mais aussi pour des compléments alimentaires pour la pousse des cheveux ou des cosmétiques anti-âge qui ne relevaient pourtant pas d’un caractère d’urgence mais ces dames «n’avaient que ça à faire».

Noémie Prébonnaud est étudiante en master 2 microbiologie et immunologie dans le cadre de son internat de pharmacie en innovation pharmaceutique et recherche, à l’université de Poitiers.

Cet article a été rédigé dans le cadre d’une formation à l’écriture journalistique (UE Médiation scientifique).

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