La Duchesse d’Amalfi – Une tragédie sanglante
Entretien Jean-Luc Terradillos
The Duchess of Malfi est une pièce contemporaine de Shakespeare écrite par John Webster en 1612–1613. La pièce est au programme du concours de l’agrégation d’anglais 2019–2020. Pascale Drouet, professeur de littérature anglaise à l’université de Poitiers, et William C. Carrol, professeur d’anglais à l’université de Boston, publient un ouvrage critique pour aider les étudiants à la préparation du concours.
L’Actualité. – John Webster est un auteur peu connu en France. Qui est-ce et que représente-t-il dans la culture anglaise ?
Pascale Drouet. – C’est un contemporain de Shakespeare, dont l’œuvre est éclipsée par celle de Shakespeare. Webster a beaucoup moins écrit que Shakespeare, mais il a lui aussi traversé les siècles, notamment grâce à deux tragédies sanglantes : The White Devil (1612) traduit par Le Démon blanc, et The Duchess of Malfi (1614) dont le titre en français est La Duchesse d’Amalfi. Ces deux traductions sont accessibles dans la Bibliothèque de la Pléiade, dans le second volume du Théâtre élisabéthain. Dans le film de 1998 de John Madden, Shakespeare in Love, c’est le petit gars qui attrape des souris pour les donner à croquer vivantes aux chats des rues ; c’est lui qui dit à Shakespeare, dans le film, «plenty of blood. That’s the only writing» qu’on pourrait gloser par «un bain de sang, il n’y a que ça de vrai dans l’écriture dramatique». Bien sûr, ce n’est qu’une fiction, mais c’est révélateur de la façon dont le grand public appréhende Webster : un dramaturge qui fait couler le sang sur scène dans le genre qui faisait fureur à l’époque, la tragédie de la vengeance.
Pour la culture anglaise, John Webster appartient donc à ces dramaturges de l’époque élisabéthaine et jacobéenne (Shakespeare certes, mais aussi Marlowe, Dekker, Middleton, Fletcher, Ben Jonson, pour n’en citer que quelques-uns), à cette période où le théâtre populaire vivait son apogée, avec, comme on sait, le célèbre théâtre du Globe à Londres et des troupes d’acteurs exclusivement masculines. La Duchesse, dans l’Angleterre de Webster, c’est un rôle tenu par un jeune homme ! L’œuvre de John Webster est beaucoup plus connue outre-manche. En témoigne, l’été dernier, la mise en scène de The Duchess of Malfi par Maria Aberg à Stratford-upon-Avon, avec la prestigieuse Royal Shakespeare Company.
Compte rendu en français de la mise en scène de Maria Aberg
Bande annonce de la RSC
Entretien avec l’actrice Joan Iyiola
Et en mai-juin 2019, cette tragédie se jouera au Royal Lyceum Theatre à Edimbourg, dans une adaptation de Zinnie Harris.
Entretien avec Zinnie Harris qui a mis en scène la tragédie.
Ce sont ces mises en scène contemporaines qui font que le théâtre de la Renaissance anglaise ne tombe pas dans l’oubli.
Quelle est la trame de The Duchess of Malfi ?
Comme Shakespeare, Webster s’inspire de plusieurs sources narratives pour créer ses pièces. La trame est inspirée d’une histoire réelle, la vie de Giovanna d’Aragona, Duchesse de Malfi (1478–1511), histoire dont l’Italien Matteo Bandello tire une nouvelle, nouvelle que revisite dans une version française François de Belleforest dans ses Histoires Tragiques, version française que traduit en anglais, en y apportant sa propre touche William Painter. Webster prend connaissance de l’histoire tragique de la Duchesse grâce à la traduction anglaise et la porte à la scène en 1614. Sa pièce sera publiée plus tard, en 1623
Non sans rapports avec Hamlet, La Duchesse d’Amalfi est une tragédie de la vengeance, un règlement de compte en famille. Jeune veuve, la Duchesse brave l’interdit de ses deux frères tyranniques et se remarie en cachette, qui plus est avec un homme qui ne partage pas sa condition sociale, et donne rapidement naissance à trois enfants. Webster met en scène la vengeance ignoble des frères, dont l’un est Cardinal, la perversité avec laquelle ils torturent leur sœur et l’anéantissent.
Au-delà de l’histoire personnelle, c’est aussi une satire acerbe de la religion catholique, de l’hypocrisie et de la corruption de ses représentants – ce n’est pas un hasard si Webster situe sa pièce en Italie. Même si on se doute que de nombreux cadavres joncheront la scène dans le dernier acte, Webster a produit une tragédie riche en effets spectaculaires et pleine de suspens. Les candidats à l’Agrégation d’anglais n’auront pas le loisir de s’ennuyer !
Comment se conçoit un tel livre ? Est-ce une commande de l’éditeur pour le concours de l’agrégation ?
Le programme de l’Agrégation d’anglais génère toujours des publications spécialisées qui ciblent les attentes du concours. Le CNED prépare également les candidats à ce concours. Ce recueil d’articles que j’ai dirigé avec William C. Carroll de l’université de Boston (MA) s’inscrit dans la préparation du CNED et est également disponible en librairie.
Nous n’avons eu que quelques mois pour faire ce livre, entre le moment où le programme est annoncé et le moment où il doit paraître chez les libraires, à temps pour que les agrégatifs aient le temps de le lire et de se l’approprier (le concours interne est en janvier et le concours externe en février). Il faut donc être extrêmement réactif et trouver des contributeurs à la fois experts et fiables, capables d’envoyer un chapitre sur un sujet précis en quatre ou six semaines. C’est un véritable marathon. Mais cela en vaut la peine. Si l’ouvrage ne paraît pas dans les temps, alors il est inutile pour les agrégatifs.
Le concours est-il très prisé ? Existe-t-il beaucoup de concurrence ?
L’agrégation est un concours national très sélectif. Pour la session de 2019, il y a 151 postes sur toute la France pour l’agrégation externe. Pour l’agrégation interne, il y en a 70. La concurrence est vive. Il est donc crucial que les étudiants soient le mieux préparés possibles. William C. Carroll et moi espérons que ce livre, qui aborde les questions de la création et de la réécriture, des variations génériques, du contexte socio-politique, médical et religieux, et de la mise en scène, pourra leur être utile.
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