Galerie d’Oiron – découverte de l’inscription perdue
Par Grégory Vouhé
L’inscription perdue de la galerie peinte s’est retrouvée. Heureux hasard forcé par de bonnes méthodes – d’interminables dépouillements systématiques – et une main heureuse. Par chance, elle avait été transcrite avant sa destruction et publiée, en 1872, dans les Mémoires de la société archéologique du Midi de la France. On comprend que personne n’ait songé jusqu’ici à l’aller chercher dans cette publication toulousaine. S’adressant aux membres de la société savante, l’auteur de l’article reconnaît d’ailleurs que n’étant pas « un monument de nos contrées » ce château des Deux-Sèvres ne semble « offrir que peu d’intérêt à notre compagnie ». Quelques rapprochements forcés avec des châteaux de Haute-Garonne paraissent d’ailleurs de pure forme. Ce ne sont que simples préambules à la publication des inscriptions inédites du château d’Oiron, qui n’avaient pas été reproduites dans la « Notice historique sur Oiron » des Mémoires des antiquaires de l’Ouest de 1839.
Le prince de l’archéologie chrétienne
Monseigneur Xavier Barbier de Montault adressa donc ses notes concernant « quelques points oubliés qui intéressent à la fois l’épigraphie et l’ornementation d’une si noble demeure ». Ce « prince de l’archéologie chrétienne » était né à Loudun en 1830. Entre 1852 et 1857, il donne aux antiquaires de l’Ouest deux carreaux émaillés et un fragment de plafond en bois du château (aujourd’hui au musée de Poitiers), plus des pièces d’archives, pour certaines présentées dans l’exposition « Oiron au temps de madame de Montespan et du duc d’Antin ». Il donne deux autres carreaux de la chapelle au musée de Cluny en 1861 et 1863. Dans une note adressée à la Commission des antiquités du département de la Côte‑d’Or, concernant un marbre gravé de la chapelle, il précise qu’il serait aisé de s’en procurer l’estampage, ou mieux encore la plaque de marbre elle-même, à laquelle les propriétaires du château ne paraissent aucunement tenir ! En 1886, il communique une note sur le mobilier archéologique de l’hospice d’Oiron. « Le grand savant de Poitiers », comme l’appelait Léon XIII, savait qu’il était essentiel de relever et de publier les inscriptions pour en assurer la diffusion et la sauvegarde. Sans cela, la dédicace de la galerie Renaissance, peinte sur un enduit qui s’est ultérieurement détaché du mur et émietté au sol, serait définitivement perdue.
Un grenier à blé
La peinture était déjà en mauvais état comme le montre le plus ancien cliché connu, publié en octobre 1884 par Jules Robuchon dans les Paysages et monuments du Poitou. Les prises de vue de Robuchon à Oiron datent sans doute de 1884 car le texte, de la même année, parle de travaux en cours à l’intérieur de l’église, dans laquelle entre avec une brouette l’un des tailleurs de pierre qui œuvrent devant sa façade, sur une autre photo des Paysages et monuments du Poitou. Pour en revenir à la galerie Renaissance, des moisissures maculent les peintures, dont d’innombrables parties sont tombées : à plusieurs endroits, on voit clairement la pierre de taille qui avait été piquetée pour une meilleure adhérence de l’enduit peint (à l’huile, et non à fresque), très encrassé. Il faut dire que l’usage de la galerie dans la première moitié du xixe siècle n’avait pas favorisé la bonne conservation des décors. On observe deux gros trous carrés sur le cliché Robuchon ; selon un état des lieux de 1866, « il existe dans les murs cinq trous qui paraissent avoir été faits pour recevoir des poutres […] la séparation en planches que monsieur le marquis d’Oyron avait fait mettre pour diviser ledit grenier en deux portions a été par lui enlevée. » Transformée en « grenier à blé », la galerie peinte servait à entreposer les récoltes ! En juillet 1840, Mérimée déplore ainsi l’insouciance du châtelain qui « met son blé dans la galerie de François Ier […] toutes les fresques de la guerre de Troie sont à peu près effacées. » Le rédacteur du procès-verbal de visite de 1866 consigne pareillement que les peintures sont effacées en beaucoup d’endroits et qu’il est difficile d’en distinguer les sujets. La notice lue en août 1838 à la SAO parle déjà de « fresques décolorées », rongées par le salpêtre, qui tombent en poussière dans ce qui n’est plus qu’un grenier (le froment est alors cultivé jusque dans les fossés du château). Dès 1810, le baron Dupin signale que le propriétaire a fait des magasins à blé de presque toutes les salles du premier étage ; l’humidité a tellement dégradé les peintures qu’il est difficile d’en reconnaître le sujet, ce qui était encore possible dix ans plus tôt.
La dédicace à François Ier
On comprend mieux l’urgence de relever l’inscription, peinte dans deux cartouches, de part et d’autre de la porte : celui de gauche est déjà incomplet sur la photo de 1884. Les premières lettres ont disparu avec la chute de l’enduit… En 1888, un autre érudit, l’abbé Bossebœuf, se borne à résumer cette « longue légende, en deux sections, [qui] célèbre pompeusement les qualités de François Ier, la vaillance, la libéralité, le goût des lettres et des arts […] La date de 1553, qui se lit au bas de l’inscription, est sans doute l’époque où fut exécutée cette partie des décorations. » Bossebœuf a dû l’observer et la relever lors de sa visite du 14 mai 1888, dont rend compte son article. Confirmée par la transcription de Barbier de Montault1, cette date s’accorde mal avec la quittance – jamais retrouvée – du 12 juin 1550, signée par un notaire d’Oiron, concernant le paiement de quatorze grandes histoires peintes en 1549, que Benjamin Fillon pensait pouvoir identifier aux peintures de la galerie… Quoi qu’il en soit, l’inscription n’est rien de moins que la dédicace de la galerie à François Ier. Mais la transcription de la première ligne de la partie détruite est défectueuse. Sans doute du fait de son mauvais état. Par une chance extraordinaire, cette seconde partie de l’inscription, et elle seule, avait été relevée par Pierre de Beauménil (sur celui-ci : L’Actualité n° 113, p. 88–90). Elle figure dans le manuscrit du Supplément des Antiquités du Poitou, recueillies en 1782, où elle est jusqu’ici complètement passée inaperçue. Au lieu de l’incompréhensible RE TAE publié en 1872, il faut lire RECEPTAE. La suite concorde en tout point avec la publication des Mémoires de la société archéologique du Midi de la France, y compris le millésime 1553, ainsi pleinement corroboré.
Un cliché pris début 1943 montre que tout le décor à droite de la porte, non décrit en 18882, a disparu. Il existait encore en 1931, mais était devenu très difficilement lisible : « À droite de la cheminée, entre celle-ci et la petite porte au mousquetaire, se voient deux femmes peintes dans des médaillons ovales, l’une tenant une lyre, l’autre une épée. Elles sont séparées par un panneau, où l’on distingue la silhouette d’un cavalier lancé au galop [qui s’avérera être Pégase une fois nettoyé]. Au-dessous, une double inscription latine, aujourd’hui à peu près indéchiffrable, célèbre, paraît-il, les vertus de François Ier et de Henri II. Dans le bas, l’abbé Bossebœuf avait pu lire “… Claudius… posuit restauravitque 1553”. »
En juillet 1926 l’architecte Brun s’était alarmé de l’état des peintures qui « se recouvrent de moisissures et sont appelées à disparaître si des mesures urgentes ne sont pas prises ». Les dégradations s’accélérèrent au début des années 1940. L’architecte en chef Camelot constate le 12 mai 1942 que depuis son précédent déplacement du mois de mars, la détérioration des peintures murales de la salle des gardes s’est accentuée. Dans la première travée de gauche, sur le mur opposé à la cour d’honneur, près d’un mètre carré d’enduit de support des peintures est tombé sur le carrelage, se brisant en morceaux très petits impossibles à sauver. Un an plus tard, en mai 1943, Camelot signale qu’une campagne photographique vient d’être faite ; les mortiers soufflés ont été refixés.
La partie du décor comportant la dédicace irrémédiablement disparue fut recréée avec un cartouche sans inscription lors de la restauration des années 1950–1960, reconstitution conservée lors de la dernière restauration (sur celle-ci : L’Actualité n° 86). À noter la découverte des consoles en trompe‑l’œil du soubassement, comme sur les autres scènes, masquées lors d’un changement de parti décoratif, possiblement lié, d’après le restaurateur, à la création de la porte et à la décision de rendre hommage à François Ier après sa disparition (31 mars 1547).
En 1995, Jean Guillaume publia la partie subsistante de la dédicace, dans le cartouche de gauche, avec sa traduction due à Pierre Laurens :
À François de Valois, roi des Français, prince très chrétien, très invincible et très puissant, doué de la plus haute et plus exceptionnelle prudence, vaillance, justice et autres qualités d’âme et de caractère que chacun peut admirer, eu égard à l’intégrité de sa parole et de sa conduite, à sa clémence envers les siens, à son gouvernement excellent et heureux en temps de paix comme en temps de guerre, après avoir célébré autant de triomphes qu’il a mis en déroute d’armées ennemies
Le mot justitia, dont ne subsiste plus que les deux dernières lettres, fut restitué au début de la cinquième ligne. La transcription de 1872 donne constantia ; les cinq dernières lettres étaient encore lisibles. Les vertus attribuées au roi sont donc la prudence, la justice et la constance. La phrase se continuait ainsi dans le cartouche de droite3, selon la traduction obligeamment effectuée par Pierre Martin :
… Claude Gouffier, Grand écuyer du roi, afin que la mémoire d’un si grand prince perdure à jamais, et en témoignage de gratitude, a érigé et consacré [cette galerie] au père de la patrie, au refondateur de la France, à l’excellent prince, au roi bienfaiteur, le restaurateur de tous arts et de toutes sciences. 1553.
1. L’article des Mémoires de la société archéologique du Midi de la France ne figure pas parmi les références citées par Bossebœuf.
2. Bossebœuf ne mentionne que la femme tenant une lyre, qui est en réalité Apollon, pourtant facile à identifier avec sa lyre, comme l’a remarqué Jean Guillaume. Il situe par erreur cette peinture à gauche de la cheminée, alors qu’il s’agit du médaillon à gauche de la porte, à droite de la cheminée.
3. Après quelques mots (receptae civitates provinciae imperio adiectae peperissent) qui ne permettent pas de comprendre comment ce début de deuxième partie de l’inscription s’articule à la première, la forme du verbe, que rien ne justifie, faisant obstacle à la compréhension. Les commentaires de nos lecteurs sont bienvenus !
Mes remerciements, pour les échanges amicaux et la communication de clichés, à Patricia Beaumont, Bénédicte Fillion-Braguet, Gilles Gaultier, Carine Guimbard, Pierre Martin, Olivier Neuillé, Jorge Saavedra, Christian Vignaud.
Sur le château d’Oiron
« De retour à Oiron », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine n° 119, hiver 2018, p. 56–59.
« Le recueil du duc d’Antin », L’Actualité Poitou-Charentes n° 110, automne 2015, p. 26–29.
« Tombeaux de marbre des La Trémoïlle et des Gouffier », L’Actualité Poitou-Charentes n° 107, hiver 2015, p. 46–47.
« Les Métamorphoses au plafond du château d’Oiron », L’Actualité Poitou-Charentes n° 106, automne 2014, p. 39.
« Oiron. La chambre du Roi », L’Actualité Poitou-Charentes n° 102, automne 2013, p. 22–25.
« L’orange cultivée au Grand Siècle », L’Actualité Poitou-Charentes n° 93, juillet-septembre 2011, p. 45.
« Oiron. Un visage retrouvé », L’Actualité Poitou-Charentes n° 87, janvier-mars 2010, p. 46–47.
« Oiron. La galerie restaurée », L’Actualité Poitou-Charentes n° 86, octobre-décembre 2009, p.40–41.
« Madame de Montespan à Oiron », L’Actualité Poitou-Charentes n° 78, octobre-décembre 2007, p. 40–41.
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