Un atelier de traitement des peaux à Burdigala

Le bâtiment abritant l'activité de traitement des peaux et de confection d'objets en cuir. Photo V. Elizagoyen, Inrap.

Par Bastien Florenty

Burdigala était une ville importante de la Gaule romaine, cité commerçante et productrice de vin. Peu de vestiges sont visibles dans le paysage urbain aujourd’hui, citons les ruines du palais Gallien qui était en réalité un important amphithéâtre, pour le reste, difficile de percevoir le passé gallo-romain à Bordeaux. Seule la littérature et l’archéologie nous permettent de documenter cette époque importante de l’histoire de la capitale d’Aquitaine. La fouille menée par Vanessa Elizagoyen avec une vingtaine d’archéologues, renseigne sur les pratiques artisanales de Burdigala entre le milieu du ier et le milieu du iie siècle après JC. L’emprise de fouille de 1 350 m² révèle un site dédié au travail de peaux de bovins, d’ovins et de caprins.

«C’est un site unique !» s’exclame Vanessa Elizagoyen. Et pour cause : «Il renseigne le travail artisanal du traitement de peaux à l’alun entre le milieu du ier et le milieu du iie siècle après JC, ce qui en fait un site unique dans le monde romain.» L’alun est un sulfate d’aluminium qui est utilisé dans le traitement des peaux, notamment pour donner de la blancheur et de la souplesse. Le site est situé au bord du Peugue, affluent de la Garonne, à 6m de profondeur, soit en dessous du niveau de la nappe phréatique, ce qui permet une excellente conservation des vestiges. Le choix géographique du site n’est pas anodin, car cet artisanat nécessite des quantités importantes d’eau. «On a retrouvé un bassin creusé dans le calcaire, qui est alimenté en permanence par un tuyau en bois. Il sert à la première étape du traitement des peaux appelée traitement de rivière.» Les peaux sont alors débarrassées de la chair, des poils, des pattes, du sang, et pourront être traitées à l’alun. Des traces de ce travail sont retrouvées, à l’intérieur du bassin, sous la forme de restes d’ossements d’animaux (crânes avec chevilles osseuses, extrémités de pattes et vertèbres de la queue), de fragments d’amphores à alun de Lipari (Iles Eoliennes, Italie) et à olive d’Espagne.

D’un autre côté, vingt-six morceaux de chutes de cuirs parmi les 8 800 chutes représentant un total de 14 kg, portent les noms des tanneurs, dont quatre qui se répètent. «Ces cuirs n’ont pas été tannés sur le site, mais ils ont été importés pour faire l’objet des dernières étapes de traitements des peaux à l’atelier. C’est le corroyage.» Ils ont bénéficié de traitements et sont donc conservés grâce au mécénat d’Eiffage. Des traces d’accroche de peaux sont présentes sur les chutes de cuirs, témoignant de leur mise en tension sur des cadres en bois, ils étaient découpés en forme rectangulaire puis assemblés, certainement pour en faire des tentes militaires. 

Chutes de cuir témoignant de la confection d’objets. Photo D. Baron

«Nous avons également retrouvé des traces d’un foyer circulaire et creux, qui peut être une chaudière, afin de chauffer les peaux pour faciliter l’imprégnation des produits. Mais aussi une cuve en chêne monoxyle, dans lequel les peaux étaient sûrement mises à tremper, et foulées au pied.» 

D’autres traces de vestiges venant confirmer la fonction du site sont répertoriées comme des traces de cuves plus petites, des tiges métalliques par centaines, utilisées pour tendre les peaux, ou encore des outils confectionnés pour ce type d’artisanat, comme un racloir, des compas, des aiguilles d’os ou des galets. «Le mobilier était tellement important qu’il nous permet de retracer l’évolution de l’activité artisanale sur le site» ajoute Vanessa Elizagoyen.

Objets fins et précieux

Ainsi, ce travail de peaux évolue au cours du temps. La deuxième moitié du ier siècle présente une activité dite de mégissage. «Des peaux fraîches de jeunes et très jeunes individus sont apportées à l’atelier, où elles sont traitées à l’alun et à l’huile d’olive», détaille-t-elle. L’alun provient de l’île de Lipari en Italie comme en témoignent les amphores retrouvées sur le site, alors que l’huile d’olive est importée d’Espagne. Si les objets confectionnés à partir de ce travail de peaux n’ont pas été retrouvés, l’utilisation de jeunes animaux indique probablement une production d’objets fins et précieux.

La première moitié du iie siècle est sujette à une évolution des pratiques. «Les jeunes ovins et caprins sont remplacés par des bovins adultes, et nous ne retrouvons plus de traces d’huile d’olive. Cette activité est appelée hongroyage, et avant la découverte du site de la rue Jean Fleuret, nous pensions que cette technique était apparue à l’époque moderne au xvie siècle. C’est une découverte exceptionnelle !» Cette évolution des pratiques suppose une production d’objets plus imposants, plus robustes et interroge, car l’absence d’huile d’olive a dû être remplacée par une autre substance grasse, produite localement, d’origine animale ou végétale, dont aucune trace n’a été retrouvée. Au-delà du traitement des peaux, le site héberge un atelier de tabletier, où est pratiqué un travail des ossements afin d’en faire des objets.

 «Les peaux d’animaux étaient livrées fraîches à l’atelier, car on retrouve des extrémités de pattes, des crânes, des cornes, des queues, des chevilles osseuses, des vertèbres. Un abattoir non référencé devait donc être présent aux alentours.» 

Cette fouille accroît considérablement les connaissances des pratiques artisanales de la Gaule romaine et plus particulièrement le travail des peaux. Les vestiges sont nombreux et dans un bon état de conservation grâce à l’eau. Certaines découvertes sont une première à l’image du travail d’hongroyage qui n’était pas connu pour cette époque. L’atelier a été abandonné suite à une montée des eaux qui l’a rendu impraticable, malgré les efforts fournis afin de le drainer.

Cet article fait partie du dossier 20 ans de l’Inrap.

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