S’enforester avec Cyril Herry et Aude Samama

Dessin d'Aude Samama pour L'Actualité Nouvelle-Aquitaine (n° 132, spécial «Faits divers»).

Entretien avec Cyril Herry, invité en compagnie de la dessinatrice Aude Samama, aux Rencontres de Montmorillon Littérature & Territoire, du 2 au 4 juin. Il signent ensemble La Meute.

Entretien Jean-Luc Terradillos Dessin Aude Samama

En arrivant à La Croisille-sur-Briance, au pied du mont Gargan, il y a comme un air de déjà-vu, ou plutôt déjà-lu dans un roman noir de Cyril Herry. Au milieu de carcasses de matériels en tout genre et hors d’usage, on croirait reconnaître la maison de John, un personnage de Nos souvenirs jamais. «C’est bien de lui que je me suis inspiré», affirme l’auteur dans cet entretien publié en 2021 dans L’Actualité Nouvelle-Aquitaine (n° 132, spécial «Faits divers»). Et d’assurer que sa recette de foie de sanglier (p. 113–115) est «succulente». Rien d’anecdotique dans ce détail, au contraire cela nous conduit directement dans ces territoires que l’Insee qualifiait, autrefois, de «rural profond». Pas de discours, on y est. À bonne échelle, avec empathie mais sans gommer les frictions, les conflits, les non-dits.

C’est ce que l’on retrouve dans Scalp, distingué en 2019 par le prix de La Voix des lecteurs et le prix Calibre 47 du festival Polar’Encontre, et dans son dernier roman paru, Tempête Yonna, où un hameau est coupé du monde, sans eau, sans électricité, sans téléphone…

Cyril Herry est né à Limoges en 1970. Il a créé les éditions Écorce en 2009, dont la collection «Territori» a été repérée par La Manufacture de livres, maison qu’il a rejoint pendant trois ans où il a publié, notamment, Franck Bouysse, Séverine Chevalier, Patrick K. Dewdney, Antonin Varenne, avant de se consacrer entièrement à l’écriture.

Il a écrit le scénario de La Meute, une bande dessinée publiée chez Futuropolis en 2023 par Aude Samama, qui signe aussi l’affiche de Rencontres de Montmorillon.

L’Actualité. – Dans Scalp, il y a une sensation de grand espace. Une mère et son fils de 9 ans tentent de retrouver le père de l’enfant qui s’est retiré du monde en installant sa yourte dans la forêt. C’est peut-être à 10 minutes du village en voiture mais cela paraît loin, presque inaccessible.

Cyril Herry. – J’ai écrit ce roman comme un huis clos : une forêt, un étang. On y entre dès le début et, quand on en sort, c’est pour y revenir presque aussitôt. On a l’impression que c’est grand parce qu’on y est tout le temps.

Le personnage d’Alex s’est consacré à lutter contre de «grands projets inutile» et il a vraisemblablement participé à différentes ZAD, mais je n’entre pas dans le détail à ce sujet dans le roman. Dégoûté, il ne veut plus avoir affaire aux hommes, installe sa yourte bien loin, dans cette forêt, mais on veut le déloger sous prétexte qu’il n’est pas chez lui. Son mode de vie dérange. En fait, il n’est nulle part chez lui.

Dans certains villages, on n’aime pas les yourtes, et cela se termine parfois au tribunal comme c’est arrivé dans la région.

À Bussière-Boffy, plusieurs familles s’étaient installées sur leur terrain avec des yourtes. Ce mode de vie, cette différence ne convenaient pas au maire qui s’est acharné à leur pourrir la vie pendant des années. Finalement, ils ont obtenu gain de cause, mais trop tard. Tout le monde était épuisé, trop de mauvais souvenirs partout, ils sont tous partis.

En suivant cet enfant dans la forêt, on découvre que la sauvagerie ne vient pas de la nature mais des humains, aussi bien des parents que des enfants.

Pour Baptiste Morizot, nommer la nature revient à s’en exclure, puisque nous sommes des ingrédients de la nature. Mais on ne la comprend plus, nous nous en sommes déconnectés. Il nous faut des modes d’emploi pour la lire et la parcourir. Voilà ce qui me préoccupe. Je suis adepte de la forêt, c’est mon élément. Je l’ai beaucoup arpentée, j’y ai construit des cabanes, c’est différent d’une randonnée dans la nature. Dans son ouvrage Sur la piste animale, Baptiste Morizot emploie le très beau terme «s’enforester», au lieu de «promenade dans la nature».

Pas de solitude dans la forêt, il y a toujours des yeux humains qui guettent !

Il y a des années, en Creuse, un agriculteur m’a dit : dans la forêt, il y a toujours quelqu’un pour te suivre des yeux. Je n’ai jamais oublié. Par la suite, dans la forêt, y compris à l’écart des chemins (que je n’aime pas suivre en général), je me suis parfois demandé si quelqu’un était en train de m’observer, mais je n’ai jamais surpris personne. En revanche, il m’est arrivé d’observer moi-même des promeneurs.

Dans Nos secrets jamais, la photographie est au cœur du roman. Elona découvre des photos de famille dans le grenier. Est-ce la mise au jour d’une pratique ou des études à l’école d’art de Limoges ?

Adolescent, je rêvais de devenir dessinateur de bande dessinée. Je suis entré l’ENSA de Limoges et j’ai découvert la photographie grâce à deux profs, Bruno de Clerfayt et Roger Vulliez. J’ai cessé de faire de la BD. La photo et l’écriture sont devenues pour moi des alliées précieuses.

J’ai fait aussi quelques courts métrages, des vidéos expérimentales et des installations, notamment avec la Vitrine et des collectifs de la région. En 2004, j’ai obtenu une aide pour le développement d’un scénario de court métrage. Je souhaitais le tourner en 35 mm, mais aucun producteur n’a voulu me suivre. C’est à partir de cette époque que je me suis concentré sur la littérature.

Pour revenir au roman, disons qu’il y a des choses vraies et beaucoup d’inventions. La maison dont hérite Elona existe, j’y ai vécu pendant huit ans. Dans le grenier, j’ai découvert des négatifs sur verre datant de 14–18, des photos prises dans le village. On y voit notamment des enfants très jeunes. Une petite fille de 4 ou 5 ans qui regarde fixement le photographe. Elle a grandi, elle est devenue une femme, puis une vieille dame, et elle est décédée. Cette plaque de verre nous raconte tout cela, et c’est troublant.

Une autre petite fille a été photographiée post-mortem dans son berceau. Elle n’a peut-être jamais appris à marcher.

«Se peut-il qu’on hérite des souvenirs qui ne sont pas les nôtres ?» se demande Elona. Les photos du grenier éclairent un passé que tout le monde veut oublier dans le village.

Ils n’oublient rien. Ce sont juste des taiseux. On leur a appris à ne pas transmettre les choses potentiellement traumatisantes. Un mur a été érigé, notamment à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Contre ce mur, Elona se casse le nez, mais elle veut comprendre pourquoi certains rêves l’obsèdent, pourquoi sa mère ne lui a jamais rien raconté de son propre passé, et pourquoi elle lui a raconté différents mensonges au sujet de son ascendance. Nous touchons au sujet du roman : la transmission inconsciente des traumatismes de génération en génération.

Comment les habitants de La Croisille-sur-Briance ont-ils lu ce roman qui fourmille de détails ?

Certains se sont amusés à deviner de qui je m’étais inspiré pour créer tel ou tel personnage. Tout le monde se connaît ici. Mais beaucoup ne m’ont rien dit du tout. Cela se passe souvent comme ça. On garde pour soi ce qu’on a lu, même si on connaît bien l’auteur. Soit parce qu’on n’a pas aimé, soit parce qu’on n’ose pas dire, ou parce que ce n’est qu’un roman ?

Derniers livres parus de Cyril Herry : Scalp (Seuil, 2018, prix de La Voix des lecteurs en 2019), Nos secrets jamais (Seuil, 2020), Tempête Yonna (In8, 2021), J’ai misé sur le feu, avec des photographies de Chrystèle Lerisse (La Manufacture de livres, 2022), La Meute, dessins d’Aude Samama (Futuropolis, 2023).

Rencontres de Montmorillon avec Cyril Herry et Aude Samama
Jeudi 1er juin à 19h, rencontre avec Aude Samama à la médiathèque de Lathus-Saint-Rémy.

Samedi et dimanche 10h-19h, exposition de planches originales d’Aude Samama à l’espace librairie.

Samedi 3 juin à 14h30 : «Le Limousin, territoire d’écrivains», avec Franck Bouysse, Cyril Herry, Christian Vigué, rencontre animée par Sophie Quetteville, à 16h30, «Disparaître dans la nature», avec Aude Samama et Cyril Herry, rencontre animée par Clément Massé.
https://lesrencontresdemontmorillon.com/

A propos de Jean-Luc Terradillos
Journaliste, rédacteur en chef de la revue L'Actualité Nouvelle-Aquitaine.

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