Résister dans la Vienne
Par Agathe Boé
Né en 1935, Louis-Charles Morillon est un «enfant de la guerre». Alors âgé de 8 ans, ses parents sont arrêtés par les Allemands. La famille parvient à quitter Poitiers et rejoindre la Normandie. La Vienne Occupée, les années grises 1939 – 1945 est une compilation de ses 41 articles publiés sur le site VRID (Vienne résistance internement déportation) dont il est le fondateur. L’ouvrage est illustré par de nombreuses photographies d’archives.
Louis-Charles Morillon retrace l’histoire de la Vienne sous l’Occupation en couvrant toute la période jusqu’à la Libération. Il présente l’organisation mise en place dans ce département traversé par la ligne de démarcation entre zone occupée et zone libre. Parmi les villes sous occupation allemande, il y avait notamment Poitiers et Châtellerault. L’auteur raconte ainsi le réseau de passeurs clandestins qui s’est organisé. Il relève le haut degré de risques qu’encouraient les résistants et les peines auxquels ils s’exposaient. La Résistance s’est incarnée dans plusieurs professions telles que les cheminots et les instituteurs, et plus particulièrement chez les ouvriers de la Manufacture de Châtellerault. Leur implication durant la guerre fut significative.
Parmi les instituteurs, ceux trop marqués par leur militantisme furent déplacés ou déportés. Dès les débuts de la guerre, le Régime de Vichy appliquait un contrôle renforcé sur les enseignants en réformant l’administration scolaire. Quelques témoignages d’anciens écoliers sous l’Occupation sont recueillis dans l’ouvrage.
Sans idéalisation, l’auteur insiste sur les figures de résistants et la place des femmes. Il explique les rouages de plusieurs de leurs missions. On comprend, à travers la lecture des différents articles, la manière dont étaient orchestrées les actions collaborationnistes ou résistantes. Louis-Charles Morillon montre notamment le rôle de la presse au sein de la guerre et son utilisation par les occupants allemands et leurs soutiens. En effet, la presse officielle, la radio ainsi que le cinéma étaient contrôlés par Joseph Goebbels, chef de la propagande nazie. En découle alors le développement de la presse clandestine comme Le Libre Poitou fondé dans la Vienne par le réseau Louis Renard dès 1940.
Les menaces à l’encontre des juifs, des communistes et des tziganes ainsi que de tous ceux qui voudraient leur venir en aide étaient courantes. L’auteur décrit parfaitement ce climat de tension et d’insécurité, «celui qui enfreignait la loi était poursuivi et puni : amende, internement dans le camp le plus proche tel le camp de la route de Limoges à Poitiers». Il évoque à Poitiers, une «section spéciale» qui siégeait dans l’ancien Palais de Justice. Le gouvernement de Vichy avait décidé la création de ces tribunaux d’exception dans un esprit de collaboration avec le régime nazi, l’objectif premier étant la répression des résistants. Ce cadre légal permettait de légitimer et de crédibiliser la violence des procédures.
Ces articles soulignent la force de la Résistance et de ses acteurs dans la Vienne. De nombreux jeunes y prirent part malgré le danger, on ressent au travers cet ouvrage le patriotisme puissant. L’auteur fait également mention du Conseil national de la Résistance, organisme aux ambitions sociale et humaniste prônant des valeurs de solidarité, de laïcité et de justice, fondé par Jean Moulin.
Dans l’article «Radio Londres» nous est révélée la signification des mystérieuses inscriptions que l’on aperçoit sur les maisons en remontant la rue du Faubourg du Pont Neuf à Poitiers. En 2013, le plasticien Christian-Robert Tissot, ancre l’histoire de ville sous l’Occupation, en apposant des messages en référence aux missions de parachutage émis par ce média résistant.
Morillon élabore le récit et la mémoire de la grande Histoire par les petites histoires qui la composent. Son travail s’appuie sur les récits de nombreuses familles originaires de la Vienne, alimentant certains articles de témoignages personnels. Il dédie un article particulier à la résistante récemment décédée Renée Moreau. À l’âge de 20 ans, elle entre à la Manufacture nationale d’armes de Châtellerault qui était sous contrôle allemand à cette époque. Les conditions de travail à la Manu sont pénibles et un mouvement gréviste s’organise dès 1940. Le 26 novembre 1942 fut une date de mobilisation importante rassemblant environ 1800 manifestants protestant contre le départ forcé des travailleurs. Renée Moreau fut arrêtée suite à une dénonciation en février 1943 et conduite à la prison de la Pierre Levée avant d’être envoyée vers le camp de Ravensbrück dont elle sera rescapée.
De nombreuses histoires poignantes sont retranscrites comme celle de la famille Forest lors du massacre d’Oradour-sur-Glane. L’auteur insiste sur l’immense drame des enfants déportés durant cette guerre. C’est un bilan catastrophique de 11450 enfants déportés que révèlera Serge Klarsfeld. On dénombre 502 de ces déportations depuis le camp de la route de Limoges de Poitiers. À Poitiers spécifiquement, « 53 enfants seront arrêtés et déportés parfois arrachés sur leur lieu d’étude telles que ces élèves du lycée Victor-Hugo».
Les derniers articles sont consacrés à la Libération. La traque des résistants s’amplifiant dans les derniers temps de la guerre, Morillon met en avant, le désir d’épuration de la part des résistants et des familles de victimes à la Libération. Ces derniers réclament réparation car les décisions judiciaires sont souvent jugées indignes.
Louis-Charles Morillon œuvre ainsi à un travail de mémoire qui témoigne de son plein engagement personnel. Il aborde, entre autres, les thématiques majeures de cette guerre telles que la Résistance, la répression, l’internement en prison et dans les camps et la collaboration par le récit de vies, quotidienne et culturelle, des Poitevins. Il évoque, par son regard objectif, le rationnement, le manque de libertés, les séparations… dans un ouvrage accessible.
La Vienne Occupée, les années grises 1939–1945, de Louis-Charles Morillon, La Geste, 200 p., 29,90€
Laisser un commentaire